Brexit : Messieurs les Anglais, sortez les premiers!

Michel Theys s'interroge sur la position française par rapport à la Grande Bretagne et sa menace du "Brexit".

David Cameron ressemble de plus en plus à Margaret Thatcher... Foto: Midnightblueowl / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Michel Theys) - Faut-il vraiment «tout faire» pour éviter que la Grande-Bretagne décide de quitter l’Union? Ou pour formuler autrement la question, convient-il réellement d’aller plus loin encore dans la voie des renoncements par rapport au projet politique qui sous-tend l’aventure européenne bien comprise des six dernières décennies ? Entre irrésolution française et agacement belge, l’Europe pourrait ne pas survivre si une clarification fondamentale n’est pas rapidement actée sur le sort à réserver in fine au projet européen.

Lors de la dernière grand-messe de Davos, Manuel Valls a jugé que « ce serait un drame si la Grande-Bretagne quittait l’Europe ». Le Premier ministre de François Hollande a considéré qu’il convenait, par conséquent, de « tout faire pour qu’elle reste » au sein de l’Union européenne, tant il est vrai que voir un Etat membre larguer les amarres… « risquerait de provoquer une montée des populismes ».

Par charité (chrétienne ou laïque, c’est selon), on ne lui opposera pas ici que Marine Le Pen et/ou Mélenchon n’ont guère attendu les humeurs et entourloupes européennes de David Cameron pour croître sur le terreau hexagonal. En réalité, on peut même opposer à l’hôte actuel de l’hôtel Matignon que c’est plutôt parce que Paris se complaît depuis toujours dans une pathétique ambiguité européenne que le bon peuple de France prête désormais massivement l’oreille aux dévots du souverainisme et aux nostalgiques de la France éternelle. Faute d’espérance européenne portée par les élites du cru, il lui fallait bien s’en retourner aux recettes éculées pour affronter l’avenir en ces temps de stagnation économique et de mondialisation angoissante…

Un supermarché où l’on se sert comme on l’entend - C’est là que le propos de Manuel Valls interpelle et, plus encore, met mal à l’aise. Faut-il vraiment « tout faire » pour éviter que la Grande-Bretagne décide de quitter l’Union ? Sur le plan européen, il existe en France deux écoles de pensée : celle, d’une part, de Jean Monnet qui, anglophile résolu, était un partisan farouche de l’entrée du Royaume-Uni dans l’Europe communautaire ; celle, d’autre part, de Charles de Gaulle qui, par deux fois dans les années 1960, refusa l’admission de ce pays dans le club européen. En l’occurrence, sur ce coup-là, De Gaulle avait raison et Monnet tort. Pourquoi les dirigeants français, si enclins d’ordinaire à se réclamer du fondateur de la Vème République, ne l’écouteraient-ils pas dans ce cas précis ?

Après tout, depuis l’adhésion du Royaume-Uni en 1973, tout confirme que les Britanniques, en tout cas les Anglais, sont entrés dans un club de buveurs de bourgogne avec la ferme intention de le transformer en salon de thé. Et, à vrai dire, leur efficacité a été si grande – sur le plan européen, le Quai d’Orsay n’a eu que des leçons à recevoir du Foreign Office ! – qu’ils sont arrivés, pour l’essentiel, à leurs fins, transformant l’Europe en un supermarché où l’on se sert comme on l’entend. Les dernières revendications de David Cameron ne sont jamais, dans ce contexte, qu’une station de plus dans le long chemin de croix que Londres fait subir au projet européen depuis Margaret Thatcher…

Dès lors, c’est à une seule question qu’il faut désormais répondre : est-il bien raisonnable de céder une fois encore – une fois de trop, sans doute ! – aux caprices d’un « partenaire » britannique dont le très policé Valéry Giscard d’Estaing avait déjà jugé les agissements avec lucidité le 4 avril 2007 : « Les Britanniques ont atteint leur objectif : à la fois être dans le système européen et empêcher tout progrès de l’intégration ». Ou, pour la formuler autrement, convient-il réellement d’aller plus loin encore dans la voie des renoncements par rapport au projet politique qui sous-tend l’aventure européenne bien comprise des six dernières décennies ?

Cacher sa propre irrésolution européenne - Cette question, on se la pose aujourd’hui ouvertement dans d’autres pays de l’Union. Ainsi, l’ancien ministre belge des Affaires étrangères et ex-commissaire européen Louis Michel a récemment avoué sur l’antenne de la RTBF : « Je ne sais pas pour quelle raison on a des élégances aussi doucereuses pour M. Cameron ». Voilà qui détonne par rapport à la complaisance de Manuel Valls. Et l’une des composantes de la Belgique fédérale a déjà averti que le compromis négocié par Donald Tusk, le président du Conseil européen, avec l’actuel locataire du 10 Downing Street n’était pas recevable en l’état vu qu’il empêcherait de facto « les Etats qui le souhaitent d’envisager de véritables perspectives d’intégration renforcée ».

Sans doute certains argueront-ils, dans les travées du pouvoir à Paris, que les états d’âme européistes émanant d’un pays petit et fragile n’ont pas à être pris sérieusement en compte par la France héritière de Clovis, de Louis XIV et de Napoléon. Sans doute. Mais serait-ce leur faire insulte de suggérer que, a contrario, cette France attachée au maintien envers et contre tout du Royaume-Uni dans le club européen cherche avant tout, par ce biais, à ne pas… perdre le paravent fort commode qui lui permet de cacher sa propre irrésolution européenne ? Et si Laurent Fabius était bien à la réunion du « front du refus du délitement » qui s’est ébauché à Rome à l’initiative de l’Italie, est-il garanti que celui ou celle qui le remplacera très vite  au Quai d’Orsay lui emboîtera le pas ?

Or, l’heure est grave, car l’Europe ne survivra pas si une clarification fondamentale n’est pas actée rapidement sur le sort à réserver in fine au projet européen. Plus de 250 ans après la bataille de Fontenoy, ce dont l’Union européenne a besoin, c’est d’un « Messieurs les Anglais, sortez les premiers », si vous en décidez ainsi. Et elle a tout autant besoin d’un « qui vous aime vous suive » ! Il appartiendra alors à la France – ou, mieux, aux Français – de décider une fois pour toutes si, sur le plan européen, elle préfère toujours suivre De Gaulle plutôt que Monnet…

Michel Theys est journaliste, directeur de l’agence EuroMedia services

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