Canada : Le niqab s’invite dans la campagne électorale.

Notre grand reporteur Antoine Spohr est allé voir au Canada comment les choses se passent là-bas avant les élections fédérales qui y auront lieu le 19 octobre.

Au Canada, en amont des élections, le niqab fait l'objet de maintes discussions. Qui toutefois, se passent de manière plus détendue que chez nous. Foto: Antoine Spohr / Eurojournalist(e)

(Par Antoine Spohr) – Dans moins d’un mois, tous les citoyens canadiens sont invités à se rendre aux urnes pour élire les 338 députés (30 de plus qu’en 2011 en raison de l’évolution démographique, sans conflits majeurs dans la répartition) qui investiront le nouveau parlement au terme d’une campagne électorale de 78 jours sur tout le territoire (15 fois la surface de la France). Les débats sont largement relayés par tous les médias, particulièrement par les TV quand s’affrontent, on devrait dire se rencontrent, les trois grands leaders des principaux partis.

Trois grands partis portés par leur chef : Conservateurs du Premier Ministre sortant Stephen Harper (NPD – Nouveau Parti Démocrate) ; Tom Mulcair, un tant soit peu socialiste ou travailliste et le Parti Libéral du jeune et bouillonnant Justin Trudeau, fils de P. Elliott Trudeau, longtemps Premier Ministre (1968 à 1979). Les écologistes du Parti Vert de Elisabeth May comme le Bloc Québécois de Gilles Duceppe seront invités aux prochains débats de politique générale. Ils ne l’ont pas été au dernier sur l’économie. N’auraient-ils rien à dire ?

Jusqu’à présent, ces débats ont été très courtois bien que le quotidien francophone «La Presse» ait titré sur cinq colonnes à la une : «Echanges Musclés» rappelant que le Conservateur voulait continuer, le libéral revenir au déficit et le néo-démocrate préférer une hausse du fardeau fiscal surtout sur les entreprises. La belle affaire ! La Verte E. May a tout de même pu tweeter (sic) de concert.

Cette belle modération est due à l’absence de parti extrême, ni à droite des Conservateurs ni à gauche des néo-démocrates, dans ce Canada exemplaire en volonté et politique d’intégration. On serait tenté de titrer : «Débat à fleuret moucheté et en plastic». Evidemment les jeunes électeurs auraient quand même préféré une animation plus agitée. Iront-ils voter pour autant ? Le dernier sondage du 20 septembre donne en pourcentage une infime avance à Stephen Harper à 31% des intentions de vote, Tom Mulcair à 29,1% et Justin Trudeau à 29,4% le talonnent, tandis que l’écologiste progresse à 5,5%. Intéressant dans cette longue campagne épuisante pour les ténors nationaux (fédéraux) et même les candidats dans leur circonscription.

Le Parlement est forcément déserté, les députés battant la campagne. De plus, l’édifice est en travaux mais les visites par un public bigarré (voir photo en bas) continuent. Les électeurs de leur côté risquent de se lasser et faire un choix très peu réfléchi au dernier moment ou de s’abstenir (38% en 2011).

Il n’y aura pas de sang, tout juste quelques ecchymoses si tout venait à aller plus mal dans ce pays où le «multi-culti» comme on dit en Allemagne, est une réalité incontournable et généralement bien ressenti. Le vivre ensemble s’impose comme un intérêt bien partagé et enrichissant. Sauf que parfois, lois, règles, cultures et coutumes s’opposent ou se télescopent et troublent les magistrats et les politiques et surtout les citoyens qu’ils soient «old block canadians», comme nous dirions «français de souche», néo-citoyens ou en passe de le devenir avant le 19 octobre.

Dans cette période de crise mondiale, le Canada, par ses réponses macro-économiques efficaces, se situe bien en tête des pays développés avec un bilan somme toute favorable au gouvernement sortant. Alors où est le bug qui viendrait gripper cet harmonieux fonctionnement démocratique? Une fois de plus dans la religion ?

La loi ou us et coutumes: visage découvert ou niqab ? – La constitution canadienne ne se résume pas à un seul texte originel, mais résulte d’abord de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 et d’une dizaine d’actes, de règles constitutionnelles, de textes issues de la jurisprudence donc des tribunaux. Le plus important est la loi constitutionnelle de 1982 qui contient l’article qui nous intéresse ici, à savoir la Charte des Droits et des Libertés, soit «liberté de conscience, liberté de religion, liberté de pensée, liberté de croyance, liberté d’opinion, liberté d’expression et liberté de la presse, liberté de réunion pacifique, et liberté d’association». Que manque-t-il là, dans cette merveilleuse déclinaison ? Le droit de se vêtir ou peut-être de se dévêtir selon son humeur, ses goûts, ses coutumes, en tout lieu et en toute circonstance ? Le législateur ne peut pas penser à tout mais considérer aussi que certaines dispositions vont de soi. Dans le contexte de la campagne électorale, cette lacune provoque de profondes dissensions parmi les Canadiens.

La requête en justice d’une dame pakistanaise de 29 ans, Zunera Ishaq qui sollicite la nationalité canadienne qui lui serait d’ailleurs accordée au bout de 7 ans de présence dans le pays si elle voulait bien prêter serment à visage découvert en enlevant le niqab qu’elle tient à garder au moment de la cérémonie que prévoit la loi. Elle l’a bien fait pour passer son permis de conduire.

Elle s’oppose donc au gouvernement, mais les juges des différentes instances, de la première, celle du juge des assermentations jusqu’à la cour d’appel fédérale lui ont fait droit, rien ne l’interdisant formellement dans la loi. La coutume religieuse de cette musulmane l’emporte donc, bien que le Coran ne prescrive absolument pas le niqab qui cache tout le visage sauf les yeux. On voit aussi des burqas. ( photo)

Reste la Cour Suprême, ultime juridiction, mais son jugement prendrait beaucoup trop de temps compte tenu du calendrier électoral. C’est d’ailleurs cet aspect d’urgence qui a présidé à la hâte des juges à prononcer un jugement au banc, entendez un jugement oral non enregistré, rendu immédiatement après les débats.

Le gouvernement par la voix du premier ministre demande un sursis d’application dans l’attente de l’élection des successeurs (de préférence eux-mêmes).

«La raison pour laquelle nous agissons ainsi maintenant est qu’un jugement a été rendu et que nous y répondons maintenant le plus rapidement possible… Quand [on se joint] à la famille canadienne, il y a des temps où on doit s’identifier. C’est la nature de notre société ouverte et pluraliste», a-t-il plaidé et ce n’est pas l’avis d’un ancien ministre libéral de feu Trudeau père, Jean-Jacques Blais, avocat de formation qui plaide pour la requérante dans la presse : «Mme Ishaq rend service à tous les Canadiens en insistant sur le respect de cette liberté en faisant appel aux tribunaux qui sont à tous les niveaux, non seulement à la Cour suprême du Canada, chargés de protéger nos droits contre l’expression contraire des majorités électorales et des éditoriaux». Jean-Jacques Blais est un ancien député libéral et ministre de Pierre Elliott Trudeau.

Mais cette divergence de vue agite aussi l’opinion publique dans tout le Canada et risque fort de profiter à Stephen Harper. Les Canadiens sont embarrassés et discrets sur la question mais vraisemblablement, n’en pensent pas moins.

Un député sortant qui ne se représente pas, considère que même les musulmans très souvent bien intégrés n’approuvent pas la conduite de leur coreligionnaire dans une exigence qui tend à les stigmatiser. A suivre, donc.

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