Cannes 2025 – PARTIR UN JOUR d’Amélie Bonnin

Esther Heboyan présente ce film « Hors Compétition » qui touchera le grand public. Un film poétique qui aurait tout autant pu faire partie de la compétition officielle...

Partir un jour, un film plein de musique et de tendresse. Foto: © 2025 Topshot Films - Les Films du Worso - Pathé Films - France 2 Cinéma / FDC2025

(Cannes, Esther Heboyan) – Partir un jour d’Amélie Bonnin relève de la sélection « Hors Compétition » qui se laisse visionner dans les marges ou les interstices de la « Compétition Officielle ». La reconnaissance est là, sans le stress d’être jugé par les membres éminents du jury, sans l’extrême tension de se voir attribuer ou non une récompense. L’équipe du film fait comme toutes les autres équipes : on pose, on sourit, on s’enlace ou on se la joue solo devant la haie de photographes et de caméramans ; on monte, avec grâce si possible, les marches rouges du Palais des Festivals ; on est accueilli au seuil du Grand Théâtre Lumière par Iris Knobloch (Présidente du Festival depuis 2023) et Thierry Frémaux (Délégué Général depuis 2007).

Quelquefois, on peut questionner le choix d’un long-métrage présenté « Hors Compétition ». Est-ce pour faire plaisir à tel ou tel professionnel du cinéma ? Est-ce parce que la foi en l’œuvre est immense et que le partage se veut pédagogique ? Est-ce pour redéfinir le cinéma comme divertissement ? Est-ce une manière de réfléchir à la place du 7ème art dans nos sociétés ? Est-ce parce que producteurs ou réalisateurs refusent d’être dans la compétition ?

Ces dernières années ont fait partie de cette catégorie « Hors Compétition » le drame musical Annette (2021) de Leos Carax, la comédie autocritique Le Deuxième acte (2024) de Quentin Dupieux, la fresque historique Killers of the Flowering Moon (2023) de Martin Scorsese, le blockbuster Indiana Jones et le cadran de la destinée (2023) de James Mangold, le biopic insolite Elvis (2022) de Baz Luhrman. C’est dire que le Festival de la « Hors Compétition » s’adresse à tous les goûts, en tous cas pioche dans une large palette d’œuvres, quelques-unes peu abouties, tièdes, prévisibles, ennuyeuses, d’autres qui dégagent une force inouïe.

Cannes 2025 va programmer 13 Jours 13 Nuits de Martin Bourbolon qui se passe à Kaboul en 2021, Dalloway de Yann Gozlan sur l’intrusion de l’IA dans la création artistique, Exit 8 de Genki Kawamura au sujet d’un homme coincé dans un couloir de métro, Sons of the NeonNight de Juno Mak qui traite du chaos dans Hong-Kong sous la neige, Highest 2 Lowest de Spike Lee qui livre un polar au ton inquiétant, Honey Don’t d’Ethan Coen tout aussi lugubre mais peut-être haletant, La Femme la plus riche du monde de Thierry Kalifa avec Isabelle Huppert, La Venue de l’avenir de Cédric Klapisch où les membres d’une famille fouillent le passé, Le Roi Soleil de Vincent Maël Cardona à propos d’un ticket de loto gagnant, Mission : Impossible – The Final Reckoning de Christopher McQuarrie dans lequel le sauveur du monde interprété par Tom Cruise supplie sa hiérarchie qu’on lui fasse confiance pour la toute dernière fois, Vie privée de Rebecca Zlotowski avec Jodi Foster dans le rôle d’une psychiatre menant son enquête et en ouverture du Festival le 13 mai au soir Partir un jour d’Amélie Bonnin.

Qui n’a pas rêvé de partir un jour ? Loin de chez soi et des êtres chers, loin de sa rue, sa ville, sa campagne, son pays, pour connaître, vivre autre chose ? Le cinéma, la littérature, la poésie foisonnent de désirs d’un ailleurs. Amélie Bonnin, elle, raconte non pas le désir de partir, mais l’histoire d’un retour dans l’espace familier – le foyer des parents (Dominique Blanc & François Rollin), leur hôtel-restaurant routier « L’Escale », le village où presque rien n’a changé, le copain de collège (Bastien Bouillon) qui aimerait peut-être revenir sur le devant de la scène. L’infarctus dont a été victime le père ramène la protagoniste (Juliette Armanet, magnifique comme actrice-chanteuse) chez elle.

Ce long-métrage fait suite au court métrage du même nom, sorti en 2021, récompensé à juste titre par un César, où les rôles principaux étaient inversés : Juliette Armanet y jouait Caroline restée au village, travaillant comme caissière, enceinte d’un jeune homme autrefois dénigré et Bastien Bouillon jouait Julien, devenu écrivain, bientôt père, rentré temporairement au village pour aider ses parents à déménager. Le court-métrage libérait beaucoup de fraîcheur, porté par la justesse des acteurs. Le long-métrage, sélectionné à Cannes, se veut comédie musicale puisque les personnages chantent pour exprimer émotions et sentiments. On dirait qu’un certain cinéma français tient à s’approprier ou à réinventer la formule de la comédie musicale qui a fait les beaux jours du Hollywood classique et qui a produit la filmographie d’un Jacques Demy. Citons Les Parapluies de Cherbourg (1964) ou Les Demoiselles de Rochefort (1967). Avec Emilia Perez (Cannes 2024) de Jacques Audiard, on a vu que tout thème – un redoutable narcotrafiquant mexicain aspirant à se transformer en femme – pouvait être adapté en musique, devenir un film chanté.

Partir un jour d’Amélie Bonnin ne triche pas, ne fait pas juste illusion. Le film compte d’authentiques morceaux chantés. Certains y verront de la mièvrerie, d’autres du génie. Le génie est dans l’idée que la mémoire des chansons est en nous tous. Tout comme partir un jour loin de son village natal est une des options de l’existence humaine. Se souvenir des chansons entendues autrefois fait aussi partie des parcours de vie. La musique, qu’elle soit de variété ou non, est une donnée réelle qui accompagne nos vies, une composante intrinsèque de notre identité. Wim Wenders n’en a-t-il pas fait la démonstration dans Perfect Days (2023) où la musique, enregistrée sur cassette, rythme, régule et enchante les journées du nettoyeur des WC publics à Tokyo sans que le personnage n’ait besoin de chanter ?

Certes, Amélie Bonnin n’a pas la maîtrise d’un Wim Wenders, mais la poésie n’est pas absente de son film. Certes, la narration est quelque peu prévisible, quelquefois lente et laborieuse, mais l’histoire contée reste universelle. Et au lendemain de la soirée d’ouverture, les spectateurs présents au Grand Théâtre Lumière pour la séance de 9 heures auront applaudi le film.

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste