Causeries psy – délit ou délire d’entrave ?

Les psychiatres pratiquent aujourd'hui quotidiennement ce qui demain, pourra relever du délit d'entrave. Ce dernier constituera de fait une entrave aux soins psychiques et constituera un frein de plus à l'accès aux soins.

Prescrire des psychotropes ou prescrire la « kill pill » ? Foto: Manos Bourdakis / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Geneviève Henault) – Pratiquer la psychiatrie, c’est faire au quotidien avec les idées de mort, que l’on soit psychiatre, infirmier ou psychologue ; que l’on travaille auprès de personnes hospitalisées ou de patients venant en consultation. Le psychiatre est attendu à toutes les étapes : il doit déterminer la présence ou non d’idées suicidaires, évaluer le risque de passage à l’acte et proposer des soins adaptés, prenant en compte les facteurs cliniques, psychologiques et environnementaux conduisant à l’émergence des pensées suicidaires (détresse psychologique aiguë, dépression…), qui peuvent parfois être « imposées » par des hallucinations ou encore être en lien avec des idées délirantes. Le psychiatre doit d’abord, cela paraît une évidence, rechercher par tout moyen d’empêcher la personne en souffrance de mettre fin à ses jours avant d’envisager la mise en place de soins psychiques. 

Évident aujourd’hui, mais demain ? La proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir adoptée en première lecture à l’Assemblée Nationale le 27 mai 2025 comprend la création d’un délit d’entrave. L’article 17 introduit la sanction de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende pour « le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir par tout moyen (…) » et précise : « Soit en exerçant des pressions morales ou psychologiques, en formulant des menaces ou en se livrant à tout acte d’intimidation à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur l’aide à mourir, des personnels participant à la mise en œuvre de l’aide à mourir, des patients souhaitant recourir à l’aide à mourir ou de l’entourage de ces derniers ou des professionnels de santé volontaires mentionnés au III de l’article L.1111-12-12. »

La psychiatrie et les psychiatres se trouvent ainsi pris dans une double injonction paradoxale. En effet, comment assumer l’une de ses missions fondamentales : prévenir le suicide, tout en respectant le cadre légal imposé par le délit d’entrave ? Autrement dit, comment accompagner un patient en crise suicidaire vers un lieu de soins où l’on pourrait l’accueillir, l’écouter, l’accompagner, tout en construisant un cadre de soins le plus protecteur possible prévenant un geste suicidaire, sans risquer de se voir opposer un « droit » au suicide (assisté), voire des poursuites pour « délit d’entrave », en cas d’insistance à proposer des soins ? 

Aujourd’hui, quand l’examen psychiatrique conclut à un danger extrême de risque de réalisation de geste létal, le psychiatre est autorisé – et même assigné, à mettre en œuvre une hospitalisation, qui doit parfois s’organiser sans le consentement de la personne concernée. Il fait alors en général appel à l’entourage de la personne : famille, amis, tuteur. La phase initiale de soins sous contrainte à l’hôpital psychiatrique permet le plus souvent d’avoir le temps de créer une relation, de comprendre avec la personne ce qu’il se passe pour elle, de débuter un traitement. Ce temps, souvent de quelques jours, est parfois nécessaire pour protéger le patient de ses pulsions de mort et permet lors d’une seconde étape une acceptation des soins psychiques.

Qu’en sera-t-il demain, lorsqu’une personne « éligible » au « droit à l’aide à mourir » (c’est-à-dire majeure, de nationalité française, atteinte d’une affection grave et incurable engageant le pronostic vital et en phase avancée) viendra frapper à la porte d’un bureau de consultation de psychiatre, en demandant l’accès au suicide assisté ? Que se passera-t-il si le psychiatre diagnostique un épisode dépressif sévère non traité – et donc probablement curable, ou encore une schizophrénie en décompensation ? Pourra-t-il s’engager pleinement dans le chemin complexe de l’évaluation clinique, sans arrière-pensée ? Quelle sera sa marge de manœuvre pour proposer des soins ? Pour les imposer s’il juge la contrainte nécessaire ? Prendra-t-il le risque de la sanction, que l’on rappelle aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende, ou le risque éthique, moral, de donner l’adresse du médecin le plus proche pratiquant « l’aide à mourir » ?

Verra-t-on dans les services de soins psychiatriques, partageant la même chambre, des patients hospitalisés sous contrainte après une tentative de suicide, côtoyer des patients sur le point de recevoir l’injection létale parce qu’eux, auront décroché le droit à une mort médicalement assistée ? Le psychiatre passera-t-il de prescripteur de psychothérapie, d’activités sociothérapeutiques et d’antidépresseurs pour l’un, à prescripteur de « kill pill » (pilule létale) pour son voisin ? N’y perdra-t-il pas le sens de son travail, de son engagement d’accompagner coûte que coûte vers le désir de vie ? N’y perdra-t-il pas lui-même sa raison d’être, confronté à cette situation délirante ? 

Les psychiatres pratiquent aujourd’hui tous les jours, ce qui demain pourra relever du délit d’entrave. Ce dernier constituera de fait une entrave aux soins psychiques et constituera un empêchement de plus dans l’accès aux soins, dans le contexte actuel de très grande dégradation du système de soins psychiatriques en France. Ne pas considérer ces points lors de la poursuite de l’examen du texte, qui doit reprendre au Sénat à l’automne 2025, serait une grave erreur. Ce serait laisser s’installer une situation intenable pour les soignants de la psychiatrie et ne favoriserait certainement pas l’engagement de professionnels dans la spécialité, déjà tellement abîmée par la pénurie de moyens face à une demande en constante augmentation. Ce serait… un délire d’entrave. 

Il semble opportun de laisser la conclusion de cet article à une personne concernée. Marie Rabatel a demandé à un médecin, il y a dix ans lorsque cela n’était pas inscrit dans la loi, d’être aidée à mourir. Elle écrit un texte adressé « À ceux qui débattent de l’aide à mourir » :

« Il y a 10 ans, j’ai demandé à mourir. [] Au delà de cette douleur insupportable dans mon corps, c’était cette sensation d’être un fardeau que la société me renvoyait. J’avais l’impression de leur voler leur présent pendant que le mien disparaissait. De leur prendre de leur vie, pendant que la mienne s’effaçait. [] Cette impression d’être un poids mort au milieu des vivants. Être ressentie comme de trop. Je pensais que disparaître, ce serait rendre service à tous. Une façon de leur offrir la paix. Alors, j’ai demandé d’être aidée à mourir pour mettre fin à l’enfer. [] Ce non m’a sauvé. Une voix, une main, un soin, une présence, je ne saurais dire quoi exactement, a empêché que ma fin soit actée ce jour là. Parfois, ce que l’on croit être une demande de mort est un appel à la vie que personne n’a su accueillir avec le cœur grand ouvert. [»

L’intégralité de ce très beau texte est à lire sur Linkedin.

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