Ce chômage qui menace une « génération sacrifiée »
Alain Howiller analyse la situation du marché de l'emploi et les conséquences de la corona-crise.
(Par Alain Howiller) – On s’y attendait, certes, mais les chiffres sur l’état du chômage au mois d’avril publiés par « Pôle-Emploi » ont tout de même provoqué un choc : les données du mois de mars avaient laissé planer un doute (et un faux espoir !) puisque l’INSEE avait fait état d’une… petite baisse du chômage, tout en attirant l’attention sur le fait que les chiffres concernant le premier trimestre de l’année devaient être accueillis avec une grande prudence ; car, compte tenu du confinement intervenu mi-mars, ils relevaient du « trompe l’oeil ». Le réveil est d’autant plus brutal maintenant que les chiffres d’avril traduisent un chômage record : une hausse exceptionnelle de 22,6% (+22,3% dans le Grand Est) par rapport au mois précédent ! Un chiffre qui reflète un double phénomène, lié au confinement et au quasi-arrêt de l’économie.
Si les entrées de nouveaux chômeurs dans les statistiques de « Pôle Emploi » ont diminué de -19%, en raison notamment des mesures de soutien aux entreprises (chômage partiel, incitations fiscales), les entrées ont, elles, augmenté de +35% par rapport à Mars ! Le chômage touche particulièrement les jeunes (+29,4%) au moment où 700.000 jeunes vont se présenter, à l’automne, sur le marché du travail. Au moment où on ne peut que constater que les déclarations d’embauche ont diminué de… 65% en avril, on comprend que le chômage des jeunes dont le Covid-19 et ses conséquences (diplômes fortement dévalués, absence d’enseignement cohérent pour cause de confinement, chute des offres de stages et des postes d’apprentis) risque de faire une « génération sacrifiée ».
Les jeunes : une priorité vitale ! – La situation des jeunes préoccupe tout particulièrement les pouvoirs publics : « L’accès à l’emploi des jeunes est une question absolument vitale qui devra être une priorité du plan de relance, on devra en faire une priorité nationale », devait souligner Bruno Le Maire, le Ministre de l’Economie et des Finances dont les services peaufinent, non sans débats, un plan de relance de l’économie pour le mois de septembre lors de la traditionnelle rentrée. En attendant, les mesures d’aide et de soutien à l’économie décidées par les pouvoirs publics permettront-elles de passer l’été sans trop de problèmes ? Un été qui semble être redevenu pour des Français, dont pourtant le moral n’a jamais été aussi bas, la période des vacances où, les sondages le soulignent, ils veulent tout oublier entre « l’apéro, les amis, la plage ou la montagne ».
La réalité, pourtant, illustrée par la situation de la compagnie « Air France » ou le constructeur automobile « Renault », qui ont apparemment retrouvé dans l’opinion leurs atours de symboles nationaux, risque fort de les ramener rapidement à une prise de conscience activée non seulement par l’évolution du taux de chômage, mais aussi par la situation du pays. Sans revenir sur la progression spectaculaire du taux d’épargne en France (comme du reste en Allemagne)(1). Trois chiffres permettent de jauger cette réalité : la consommation des Français a chuté de 33,7% en avril, le Produit Intérieur Brut (PIB) qui traduit l’état de la croissance a régressé de 5,8% au premier trimestre de l’année et, seul point modérément positif, la hausse des prix (l’inflation) a ralentie de 0,2% en un an, selon l’INSEE. Les conjoncturistes n’ont pas manqué de relever qu’il faut remonter à… 1949 pour retrouver un plongeon pareil : il est vrai qu’en 1968, la chute avait été de 5,3%.
Allemagne : la pire récession des 50 dernières années ? – La situation est proche, sous ses divers aspects (y compris l’impact sur les jeunes et sur la valeur des diplômes) à celle générée par les grèves et les manifestations de Mai 1968. A cette (grande) différence près qu’il y a 52 ans, la France était à l’apogée des « trente glorieuses », que le chômage tournait autour de 2%, que le taux de croissance s’inscrivait en moyenne annuelle à +5%, qu’on ignorait la « globalisation » et que, dans la mise en œuvre de la « relance par la demande », les effets de la crise avaient pu être relativement rapidement effacés. Cette fois, il faudra attendre, au mieux, 2021 pour que l’économie reprenne son souffle et que les effets des mesures adoptées par les Etats et l’Union Européenne relancent fortement la croissance et pèsent sur le chômage qui menace.
Car si les prévisions pour cette année restent dans l’ensemble réservées, il faudra attendre 2021 pour que la situation se redresse : en France, le gouvernement après avoir avancé une croissance (le PIB) de -6,3%, a aggravé les prévisions à -8% alors qu’en Allemagne, où Peter Altmaier, le Ministre de l’économie, s’attend à la « pire récession des 50 dernières années », les prévisions s’établissent à -6,5% pour 2020. Pour ce qui est du chômage qui préoccupe les salariés, les prévisions portent, pour cette année, sur un taux de 10,1% en France, 5,8% en Allemagne, les chiffres étant pour la zone euro de 9,6 %. En 2021, les taux seraient de 9,7% pour la France et de 5,5% pour l’Allemagne. C’est dire que les progrès pourraient être relativement limités l’année prochaine qui sera, comme nous l’avons déjà relevé, une année électorale tant en France (élections régionales et départementales) qu’en Allemagne (renouvellement de certains parlements régionaux et, surtout, élections au Bundestag). Les rendez-vous politiques contribueront-ils à inciter davantage encore les gouvernements à éviter les catastrophes qui pourraient s’annoncer ? Comme écrivait André Gide dans son roman « Les Faux Monnayeurs »(!) : « Il est bon de suivre sa pente, à condition que ce soit en… montant ! »
(1) eurojournalist.eu des 21 et 28 Mai 2020.
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