Ces petites haines qui montent…

Avec l’approche du second tour des élections législatives anticipées, les clivages entre citoyens augmentent, conséquences des montées en puissance des petites haines personnelles.

Les discours haineux empoisonnent autant ceux qui en sont l’objet que ceux qui les prononcent. Foto: O’micron / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Jean-Marc Claus) – Peu après le premier des trois confinements, le sociologue et philosophe Edgar Morin nous incitait à changer de voie. Hier, à J-3 du second tour des législatives anticipées, il appelait à former des « oasis de fraternité », face aux mensonges, aux illusions et aux hystéries collectives. Dans un contexte où la parole raciste se libère, la stigmatisation de l’autre, quelle que soit son altérité, connaît une croissance exponentielle, au point de fracturer la société française de la même manière qu’aux USA où, depuis la défaite de Donald Trump, électeurs républicains et démocrates réinstaurent un système ségrégationniste. Il n’est plus tant question de couleur de la peau ou des origines, que d’orientation politique.

L’Europe demeurant sous l’influence de « l’american way of life », après l’implantation des cantines à malbouffe, nous voilà contaminés par les officines à mal vivre. A la « junk food » succède la « junk thought ». Une pensée de pacotille, car poussant la simplicité jusqu’à la stupidité. Une pensée poubelle, car collectant toutes les bassesses dont l’humain est capable. Cette pensée, qualifiable aussi d’indésirable, est pourtant désirée, par nombre de nos concitoyens, y trouvant des marqueurs identitaires forts, témoins évidents de leur faiblesse d’esprit. Nous sommes revenus au temps de l’affaire Dreyfus, époque où le seul fait de l’évocation d’une conviction personnelle, pouvait transformer une réunion de famille en pugilat.

« Gauchiasses » d’un côté, « Nazillons » de l’autre, les invectives vont bon train sur les réseaux sociaux, mais aussi dans la vraie vie. Il va devenir de plus en plus difficile d’entretenir des relations de bon voisinage, avec celles et ceux ne pensant pas et ne votant pas comme soi. A la fracture sociale, identifiée dès les années quatre-vingt et jamais réduite, s’ajoute aujourd’hui une fracture morale, propice à la montée en puissance de toutes les petites haines. Les petites phrases macronistes sont autant de cocktails Molotov lancés dans le débat public, que les « dérapages » de l’extrême-droite ainsi que les sorties et oukases du « boulet » de la gauche.

Nous voilà très loin des « oasis de fraternité » qu’Edgar Morin nous incite à créer face aux mensonges, aux illusions et aux hystéries collectives. L’heure d’une nouvelle résistance est venue, affirme-t-il dans sa prise de parole, publiée hier par Libération. Mais de quelle fraternité s’agit-il ? De celle des armes ou de celle nous ramenant sur le socle d’une humanité commune ? Ce commun qui renvoie à des mots faisant peur, tels que communisme et communautarisme, pourtant antinomiques. A qui profite l’atomisation de la société, générant des millions de « Moi je » ? A qui profite la mise à l’écart des corps intermédiaires, déniant aux citoyens tout pouvoir dans la marche de la société ? A qui profitent des concepts aussi fumeux que les théories du ruissellement et de la méritocratie, confondant habilement égalité et équité ?

En s’invectivant, plutôt que de se parler, en se stigmatisant, plutôt que de s’écouter, nous faisons le jeu de ceux qu’au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, dans son sublime monologue intitulé « Le corridor », Germain Muller appelait « les grands croupiers ». Alors, saurons-nous réagir à temps, pour à l’heure d’une nécessaire nouvelle résistance, créer des oasis de fraternité ?

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