Ces temples du savoir

Il est des endroits qualifiés pompeusement par les pisse-vinaigre de temple de la culture. Comme si cette dernière, par une connotation métaphysique empreinte d'austérité, devait s'élever au-dessus du commun des mortels ! La connaissance demeure d'autant plus accessible à tous qu'elle s'appréhende dans la dimension éminemment humaine du joyeux désordre invitant au gai savoir.

C'est quand même autre chose que de commander ses livres dans la froideur des grands commerçants sur le Web... Foto: Collection personnelle

(Par Jean-Marc Claus) – « Quand est-ce qu’on va chez vingt-centimes ? » C’est ainsi que m’interpellait ma fille aînée il y a une plus de vingt ans lorsqu’elle voulait vivre une expérience Lewis-carollienne dans le coin jeunesse le temps que je me prenais pour dans le reste de la boutique. Vingt-centimes, c’est la librairie fondée en 1841 par Georges Urscheller, devenue Vincenti-Urscheller à la 4ème génération, tenue depuis la fin des années 1980 par Jean-François Vincenti, cinquième libraire de la dynastie tombé dans la littérature quand il était enfant et bien décidé à y demeurer, résistant admirablement à l’offensive de nivelage par le bas menée de concert par les boutiques en ligne au nom d’archères grecques et les magasins de prêt-à-penser sur papier glacé dont la dénomination renvoie à tout sauf aux livres.

Initialement atelier de reliure et librairie, pour devenir papeterie et librairie à la Libération et enfin exclusivement librairie peu avant le 21ème siècle, la maison Vincenti-Urscheller a connu au fil du temps tous les soubresauts historiques subis de ce côté-ci du Rhin. Le fils de Georges Urscheller vécut le Siège de Paris en 1871 et garda des privations endurées des séquelles qui raccourcirent considérablement son espérance de vie. Ainsi ne quittait-il plus l’atelier de reliure par crainte de ne pouvoir contrôler sa colère à la vue d’un Prussien dans la boutique. Pour Jean-François Vincenti, la librairie cultive aujourd’hui une dimension internationale avec un rayon consacré aux livres en version originale et joue la carte du régionalisme intelligent car les alsatiques se retrouvent, selon leurs thématiques, dispersés en différents endroits.

Différents endroits est bien le terme ad hoc pour définir cette caverne d’Ali Baba qualifiée de Capharnaüm par les non-inités et surtout les mal-comprenants. Ici, c’est le livre qui vous trouve et non l’inverse. Par contre, si vous avez une demande précise Jean-François et Jean-David, son employé, sont tous deux capables de géolocaliser le titre recherché en un temps record au milieu d’un océan de volumes de toutes sortes. A l’informatique échoit dans cet établissement la portion congrue, par contre l’humain y occupe la première place. « Tant qu’il y aura de bons livres, il y aura des libraires », affirme tranquillement l’actuel propriétaire de cette maison plus que centenaire. Entendez par libraires, libraires indépendants car c’est bien en cela que Jean-François se distingue. Cette profession est, selon ses propres termes « un métier de passeur » et il n’est pas avare de son temps pour continuellement offrir aux lecteurs un choix d’ouvrages dignes du slogan de France Inter des années 1980 : « Pour ceux qui ont quelque chose entre les oreilles. » Mais il n’est pas pour autant ici question d’élitisme masochiste car le plaisir demeure le moteur de l’action et se faire du bien en explorant ces piles de livres ouvre infiniment plus l’esprit que l’académisme austère d’autres établissements plus prestigieux dont, par souci d’humanité, nous ne citerons pas les noms.

Lire encore et toujours, lire et relire, tel est le quotidien de Jean-François Vincenti pour qui « Le meilleur livre, s’il ne trouve pas de lecteurs, est un livre inutile. » Le contenu fait figure de boussole dans ses choix de référencement, plus que l’originalité ou l’actualité. Une librairie n’est pas un magasin de frivolités, serais-je tenté d’écrire pour résumer la pensée de celui que je surnomme affectueusement Le Sphinx. N’ayant jamais moins d’une vingtaine d’ouvrages simultanément en cours de lecture, il est en continuelle quête de temps à consacrer à son activité favorite. Bouleversé par « Ulysses » de James Joyce lorsqu’il avait dix-huit ans, il tient aujourd’hui Roberto Bolaño pour le meilleur auteur de sa génération et apprécie l’art poétique sous différentes formes. En fait, quand on va chez « vingt-centimes », on y laisse parfois de l’argent mais c’est toujours pour ressortir plus riche qu’on y est entré…

Librairie Vincenti-Urscheller – 41, Grand Rue 67000 Haguenau – Tél. : 03.88.93.84.13

http://www.editionsluigicastelli.com/editionsluigicastelli/index.php?sp=page&c=7002
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