Chypre : Je vois du gaz, beaucoup de gaz

Union Européenne et Turquie entre Grèce et Israël

Famagouste, à l'Est de Chypre Foto: muffin/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 2.0Gen

(Marc Chaudeur) – Par la faute de prospections gazières au large de Chypre, la tension monte ces tout derniers jours entre l’Union Européenne et la Turquie. Chypre appartient à l’UE depuis 2004 ; mais la Turquie, en  1974, s’est emparée du Nord de l’île lors de l’Opération militaire “Attila” – et elle ne cesse de jeter de l’huile sur le feu à la moindre occasion.Cette semaine, elle a entrepris des forages en prétendant que l’endroit fait partie du territoire turc. 

L’an dernier, grâce à des forages décidés par les autorités chypriotes, on a découvert un riche gisement de gaz à l’Ouest de Chypre ; actuellement, les recherches se poursuivent au Sud. Mais les dirigeants turcs contestent cette activité, en essayant de faire valoir que de telles recherches ne peuvent être entreprises sans l’aval des Turcs de Chypre.

Conséquence : la Turquie a envoyé des navires près de la côte Est de l’île. Voici quelques semaines déjà, des navires turcs ont commencé à prospecter les gisements de gaz. Lundi, le Yavuz est arrivé tout près du golfe où scintille le port de Famagouste, où Ankara prétend commencer des forages. Et au Sud, un navire scientifique mène des recherches sur la sismicité de l’endroit.

Donald Tusk, le président du Conseil européen, a déclaré que malgré la volonté des dirigeants européens d’entretenir de bonnes relations avec Ankara, cette dernière poursuit un inquiétant mouvement d’escalade. Avant-hier mercredi, les diplomates des pays membres de l’UE se sont réunis pour commencer à envisager de possibles mesures contre la Turquie : gel de certaines structures de dialogue, diminution des subventions européennes. Et si la situation ne se calmait pas, on pourrait envisager, ont déclaré les diplomates, des sanctions contre des personnes, voire des secteurs entiers de l’économie turque. Peut-être de telles mesures seront-elles décidées lundi prochain.

Que dit Ankara ? Après la séance de mercredi à Bruxelles, le ministre des Affaires étrangères turc a déclaré que les richesses de Chypre devaient être partagées « équitablement » – ce qui signifie : elles ne sauraient être la seule propriété de l’UE – et profiter à la population turque de l’île aux Cèdres. Et Ankara poursuivra donc ses prospections.

Mercredi soir, les Etats-Unis ont réagi à leur tour : ils ont prié instamment la Turquie de cesser ses activités provocantes ; elles ne feraient selon eux qu’aggraver les tensions dans cette région explosive du monde…

Ces bisbilles peuvent surprendre : le droit maritime ne définit-il pas précisément le territoire de chaque Etat ou entité politique ? Mais ce n’est justement pas le cas de Chypre, pour 2 raisons essentielles : la présence, au Sud, de 2 zones britanniques résiduelles, puisque Chypre a en effet été une colonie britannique durant un siècle, jusqu’en 1960 ; et surtout, par suite de l’invasion de l’ile, en 1974, par l’armée turque.

La côte Nord et les eaux afférentes restent donc contestées : pour la Turquie, elles sont turques, excepté l’extrême Nord-Ouest. Certes, elles ne le sont que pour la Turquie : la « République Turque de Chypre du Nord » (38 % du territoire chypriote) n’est reconnue par personne d’autre qu’Ankara… Pour des raisons politiques et culturelles avant tout, la délimitation frontalière maritime entre l’île et Israël, très au Sud, est d’ailleurs contestée elle aussi par les Turcs. Et cette zone contient, semble-t-il, des réserves de gaz de plus de 10 milliards de m³…

Nicosie a fait son entrée dans l’UE en même temps que les pays baltes et ceux, malencontreux, de Visegrád (Pologne, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie). Le pays n’était pas pauvre, avant 2010 – avant la crise. Il était et demeure un paradis fiscal : les milliards russes et, surtout en temps de guerre, libanais, ont coulé à flots et s’y sont  installé confortablement dans les coffres des banques de Nicosie. Carrefour de l’Europe et du Proche-Orient, à quelques centaines de miles de la Turquie, de la Syrie, du Liban et d’Israël… Et poudrière potentielle.

En somme, comment le problème chypriote pourrait-il enfin être réglé, après plus d’un demi-siècle de tensions et de violences ? Ce problème qui pourrait devenir crucial pour les relations entre l’Union Européenne et l’une des régions les plus dangereuses du globe ? Elle le pourrait si les Turcs se retiraient complètement de l’île – cela n’arrivera pas. Ou bien en intégrant la totalité de Chypre, y compris sa partie Nord, dans l’Union Européenne. Des manifestations en ce sens ont eu lieu naguère, dans cette partie précisément.

Ce serait la voie de la raison pour Nicosie, mais plus la voix des intérêts d’Ankara, qui parlent sur un ton plus rauque et plus brutal. Surtout depuis qu’il n’est plus question pour ce grand pays d’entrer dans l’Union Européenne.

 

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