Cinéma : «Une enfance» de Philippe Claudel.

Nicolas Colle présente le nouveau film de Philippe Claudel «Une enfance». Un film d’un réalisateur accompli.

Le nouveau film de Philippe Claudel "Une enfance" est une formidable réussite - à voir absolument ! Foto: Distribution

(Nicolas Colle) – En attendant la sortie imminente du prochain roman de l’écrivain, c’est le cinéaste Philippe Claudel que nous retrouvons lors de cette rentrée, pour la sortie de son quatrième long métrage, «Une Enfance».

Après avoir réalisé «Il y a longtemps que je t’aime», un mélodrame poignant et acclamé aussi bien par la critique que le public à travers le monde, «Tous les Soleils», une comédie à l’italienne, absolument réjouissante et lumineuse, tournée essentiellement à Strasbourg, ainsi que «Avant l’hiver», un film troublant et limpide, qui mélangeait habilement les codes du film à suspens et du drame intimiste avec un casting prestigieux, c’est un retour à la simplicité que le cinéaste opère à travers cette belle chronique qu’il nous donne à voir aujourd’hui. Il nous le dit très simplement :

«Je voulais inaugurer une nouvelle forme de travail, avec une équipe technique beaucoup plus réduite et des comédiens qui ont plus d’envie que d’autres, qui soient plus jeunes et qui débutent dans un rôle principal, et des non professionnels qui ont un désir plus ardent que les comédiens qui ont une longue carrière derrière eux. En somme, je voulais retrouver l’esprit et l’énergie de l’époque où j’étais un jeune étudiant qui tournait ses courts métrages.»

Une enfance ? Oui. La sienne ? Non… mais quand même… – Un autre élément nous fait penser que ce film marque un tournant important dans la carrière de Philippe Claudel puisque pour la première fois, il nous emmène sur le parcours initiatique d’un enfant de treize ans, Jimmy. Le jeune garçon essaye de vivre et de «protéger» son enfance du mieux qu’il peut, alors qu’il est contraint d’assumer toutes les responsabilités d’un chef de famille : sa mère et son beau-père vivotent tous deux à coup d’aides sociales et de petits trafics.

Quand commencent les longues vacances d’été, Jimmy trompe son ennui en chevauchant son vélo au milieu des sites industriels et de la nature sauvage qui jalonnent sa petite ville. Une colère violente habite alors l’enfant qui assiste impuissant à la dérive de sa mère, totalement sous la coupe d’un homme aussi irresponsable qu’elle. Les conditions d’un drame se tissent peu à peu.

Un film très personnel. – Il s’agit probablement du film le plus personnel du metteur en scène puisque tourné dans la petite ville de Dombasle, en banlieue de Nancy, où il est né, a grandi et vit encore : «Je tenais à montrer à quel point un décor pouvant paraître ingrat, pouvait également recéler de la beauté. Notamment en raison de son originalité, du fait que l’on se trouve sur un site industriel avec la nature sauvage à portée de mains. Tous les décors présents à l’écran sont en réalité à 500 mètres les uns des autres. De plus, même si mon enfance ne ressemble pas en tout point à celle de Jimmy, mes parents sont notamment très différents des siens, j’ai néanmoins connu ces longs moments d’ennui au cours d’un été interminable. Mon vélo était alors mon seul moyen de liberté et la nature était un vrai lieu de ressourcement pour moi.»

La grande réussite attendue pour l’originalité du film tient probablement au fait que le réalisateur se permet plusieurs envolées lyriques et poétiques tout en évitant de plonger dans un misérabilisme qui aurait été bien tentant comme il nous le dit lui-même : «Je ne voulais pas faire un film social de la même manière que les frères Dardenne ou que Ken Loach qui accentuent beaucoup le naturalisme dans leur cinéma. Je tenais à réaliser un film social, avec un personnage vivant des situations complexes mais je voulais aussi l’élever vers quelque chose de solaire. Que ce soit avec la saison choisie, du fait que le film se déroule en été, mais aussi avec la présence de la nature et toute la poésie qu’elle dégage ainsi que l’énergie qu’elle donne à cet enfant qui, bien que vivant dans un milieu difficile, n’est ni brisé ni malheureux à un point extrême.»

Une poésie probablement aussi soutenue par les mélodies de Ray Lamontagne qui parcourent le film. En effet, la musique conserve toujours une place de choix dans l’œuvre cinématographique de Claudel: «J’écris toujours mes scénarios avec une chanson en tête mais je ne l’utilise pas toujours au moment du montage. Là, j’ai d’abord pensé à «Beautiful Child» puis j’ai abandonné l’idée pendant le tournage car j’ai réécouté des chansons de Ray Lamontagne et j’ai compris que son univers était beaucoup plus proche de celui que j’essayais de construire avec ses ballades américaines et ses grands espaces. Ses chansons raisonnent comme une voix qui murmure à l’oreille de l’enfant, sa voix intérieure en somme. Cela permettait également de ne pas seulement faire un film régionaliste mais de le rendre universel, même si j’ai également utilisé des musiques de groupes Nancéens comme «Général Bizzare».»

Un autre élément qui constitue une des marques de fabrique du cinéma de Claudel, c’est sa capacité à plonger le spectateur dans ses histoires en occultant volontairement certaines informations mais en laissant tout de même des pistes au public pour qu’il puisse être amené à se poser des questions. Ainsi, à l’instar de son roman «Le Bruit des Trousseaux» ou de son premier film «Il y a longtemps que je t’aime», l’univers de la prison est ici suggéré mais sans jamais être directement nommé :

«C’est un lieu qui m’a fortement marqué puisque j’y ai enseigné pendant plusieurs années, du coup j’essaie toujours d’en parler, même de façon indirecte car j’ai du mal à envisager de tourner dans le lieu même de la prison. Selon moi, tout ce qu’on voit au cinéma sur ce milieu est très caricatural. Ce qui m’intéresse c’est de montrer comment la prison peut déformer, fracasser ou briser des êtres humains. Rendez-vous compte qu’il y a actuellement en France, près de 70000 personnes qui sont en prison… C’est comme une ville Française invisible. Par ailleurs, c’est vrai que j’essaie toujours de laisser de la place aux spectateurs. Je n’aime pas les films où, quand on sort de la salle, il n’y a plus rien à dire ni à faire, tout est dit et expliqué. Là, on a un sujet ambigu, avec un scénario qui n’est pas vraiment narratif. Il s’agit plus de séquences posées les unes à coté des autres et au montage tout pouvait évoluer. Le spectateur a donc de la place pour s’intéresser par exemple à la relation de la grand-mère et de ses petits-enfants ou au vieux voisin, ou même à Jimmy qui en réalité parle très peu. Du coup, on peut être amené à se demander ce qui peut se passer dans sa tête ?»

Outre l’aspect propre à l’Est de la France qu’il aime illustrer dans ses films, ce qui ressort le plus du cinéma de Claudel, c’est probablement son humanité et la justesse du traitement de ses personnages toujours à travers des thèmes universels. Ainsi, c’est tout le portrait d’une certaine France d’aujourd’hui qui nous est présenté ici, à travers notamment le personnage du beau-père, incarné avec force et conviction par le Nancéen Pierre Deladonchamps, et qui tient un discours caricatural qui s’avère être celui d’un grand nombre de français qui se tournent dorénavant vers les extrêmes pour protéger et justifier leur situation sans avoir à se remettre en question.

Un aspect politique également présent à travers la mixité sociale de Dombasle, où l’on passe aisément d’une cité ouvrière à une maison bourgeoise : «Du fait de l’implantation de l’usine Solvay, beaucoup d’habitants de Dombasle sont issues de la classe ouvrière. Mais il y a aussi les contremaîtres et les ingénieurs de l’usine qui vivent dans la ville. Du coup, même si on ne le voit pas directement à l’écran, il faut savoir que la belle maison un peu bourgeoise où a lieu le goûter d’anniversaire, se trouve juste en face de la cité ouvrière dans laquelle habite Jimmy. En effet on a la cité des ouvriers d’un côté de la rue, et les maisons des cadres et des ingénieurs qui se trouvent juste de l’autre côté. Cela témoignait d’une possibilité de vivre ensemble alors que maintenant on sépare, on ghettoïse, on communautarise. Le film a également une valeur documentaire qui témoigne de cette époque hélas révolue, puisque la cité ouvrière a été rasée dès la fin de notre tournage.»

En plus de son aspect politique, sociologique, de son humanité et de son universalité, nous pourrons également retenir de ce film, toute la tendresse qu’il peut dégager. Que ce soit dans la relation qu’entretient Jimmy avec son jeune frère, incarnés tous deux avec beaucoup de sobriété par les débutants Alexi Mathieu et Jules Gauzelin. Ou encore dans le rapport de l’adolescent à son maître d’école très attentionné (formidable Patrick D’Assumçao) et même à sa mère, une jeune femme perdue, dont son interprète, Angelica Sarre, s’avère être d’ores et déjà, une très belle révélation.

Une totale implication, même à l’écran. – Une dernière preuve si nécessaire qu’«Une Enfance» occupe une place à part dans la filmographie de Philippe Claudel, serait, pour la première fois, son passage devant la caméra en incarnant avec beaucoup de justesse et de cinégénie, le rôle d’un entraineur de tennis bienveillant qui va peu à peu prendre sous son aile le petit Jimmy, après l’avoir vu longuement errer en curieux autour des terrains de tennis : «Au départ, il n’a jamais été question que je joue ce rôle. J’avais pensé à un copain qui entraine des gamins au tennis, et puis comme je me suis aperçu au fur et à mesure du tournage à quel point ce film m’était personnel, j’ai compris que ce personnage de l’entraineur de tennis, c’était moi. J’ai été ce gamin qui tournait autour d’une cour de tennis sans jamais oser y jouer puis je suis devenu quelqu’un qui joue au tennis, qui joue avec une caméra, qui joue avec des mots, donc c’était à moi de lui tendre la main pour mieux boucler la boucle.»

Une nouvelle réussite sûrement pour le cinéaste qui arrive à nous conter une chronique sociale dure mais solaire, réaliste et émouvante, sans jamais nous plonger dans une once d’ennui alors qu’elles’inspire justement de l’ennui : «Pour rendre le film intéressant alors qu’il ne s’y passe rien, il y a eu un travail de montage beaucoup plus important que sur mes précédents films où le montage suivait le scénario. Ici, tout était très millimétré car soit on versait dans un ennui total car le rythme était trop lent, soit ça allait trop vite mais le film ne racontait plus rien. Du coup, on a pu bouger des blocs de scènes, ou en couper un grand nombre, près de 45 minutes. Ça nous a permis de trouver un tempo où on sentait l’ennui mais sans le donner au spectateur. On a ainsi pu faire une chronique sans verser dans le film à suspens. Même si on a essayé de distiller une tension qui vient peu à peu… Ça a donc été un film très fragile à monter.»

Et quand vient le moment pour votre serviteur de conclure son entretien, forcément très émouvant, avec celui qui fût mon professeur d’université, mon maître de stage sur son troisième long métrage et… allez, j’ose le dire, un ami, c’est toute son espièglerie et son humour que j’apprécie tant que je retrouve en lui lorsque je lui demande si nous pouvons espérer voir un jour sous une forme ou une autre, les nombreuses scènes qu’il a dû supprimer du montage final.

Ce à quoi, il répond : «Je n’en suis pas sûr. Parfois il m’arrive de montrer les scènes coupées dans un bonus DVD, notamment pour les comédiens qui n’apparaissent plus dans le film. Mais après tout, ce que je coupe dans mes romans, personne ne le voit. Et au restaurant, le cuisinier ne vous apporte pas la poubelle…».

Oui, monsieur Claudel, votre film est un plat d’un «trois étoiles».

Pour visionner la bande annonce sur YouTube, CLIQUEZ ICI !

Affiche : Distribution

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