Cinq ans après « Wir schaffen das ! »…

… le bilan est mitigé. Alain Howiller explique pourquoi.

Angela Merkel en 2015, quelques mois avant le célèbre "Wir schaffen das!" Foto: Kleinschmidt / MSC / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0de

(Par Alain Howiller) – C’est un anniversaire qui est presque resté inaperçu en France. On aurait pourtant pu (du ?) s’y intéresser, parce que il revient sur un épisode marquant de l’histoire européenne proche : il y a un peu plus de cinq ans, le 25 août 2015, Angela Merkel confrontée au flux d’une immigration massive venue essentiellement de Syrie, d’Afghanistan et d’Irak, ouvrait les portes de l’Allemagne aux immigrés.

A ceux qui, alors, la mettaient en garde contre les effets éventuels d’une politique d’ouverture qui interpellera, elle lançait, évoquant l’intégration des immigrés, son fameux : « Deutschland ist ein starkes Land… Wir schaffen das. Das schaffen wir! » (« L’Allemagne est un pays fort…Nous réussirons cela. ») Confrontée d’emblée à de vives critiques, elle qui montre si rarement ses émotions rappelait (qui s’en souvient ?) à ses concitoyens : « Il ne suffit pas, le dimanche, d’aller au culte et de prier pour les autres et d’oublier ses engagements en semaine ! »

340.000 retraités de plus ! – La fille du pasteur Horst Kasner retrouvait ces convictions de chrétienne-démocrate que de nombreux adhérents de la CDU lui reprochaient de trop souvent oublier ! Convictions affirmées ou raisonnement froid prenant en compte le vieillissement d’une population qui générera à moyen terme un manque de main d’œuvre préjudiciable à l’économie ? L’Allemagne a, par exemple, perdu 340.000 actifs partis à la retraite en 2019. En tout état de cause, la décision de la chancelière marquera un tournant dans la politique allemande : hier encore pays d’émigration, la République Fédérale confirmait une vocation de pays d’immigration, amorcée dès les années 1950/60 et confirmée dans les années 1990 avec l’arrivée des populations chassées de leur pays par les conflits dans les Balkans ou – disons – le mal-être des descendants des déracinés de la… Volga !

Mais cette fois, la situation connaît une ampleur inattendue : on redoutait l’arrivée de 800.000 migrants, on en accueillera largement plus d’ un million en 2015/2016 et jusqu’à 1,8 million en quelques années. L’accueil fut enthousiaste pendant cette période où s’installait, à travers le pays, une « Willkommenkultur » (« une culture de la bienvenue ») qui mobilisait les bonnes volontés et les énergies avant qu’une partie de l’opinion ne se retourne pour s’investir dans un mouvement (« Pegida ») puis un parti (« l’AfD ») où prospéraient les sentiments anti-immigrés dont la parution, en août 2010, du best-seller de Thilo Sarrazin « Deutschland schafft sich ab » (littéralement « l’Allemagne s’auto-dissout), véritable pamphlet anti-musulman, laissait déjà présager l’émergence. 7 ans plus tard, l’AfD envoyait 94 députés au Bundestag !

Dix ans pour exclure… Sarrazin. – Le parti social-démocrate mettra 10 ans pour… exclure Sarrazin du SPD et, si 5 ans après son ouverture aux immigrés, Angela Merkel dit qu’elle ne regrette pas ses décisions de 2015 et qu’elle les maintient pour l’essentiel, c’est pour rappeler que « Nous avions à faire face au plus important flux de réfugiés depuis la deuxième guerre mondiale. Accueillir était un devoir national… Quand les réfugiés se massent à votre frontière, il faut les traiter comme des êtres humains qu’ils sont… Mais 2020 n’est pas 2015 : à chaque crise correspondent ses éléments de langage et je n’ai plus eu, depuis la crise, l’idée de reprendre la phrase de l’époque. » Autrement dit, les choses et la situation ont changé ; et le propos, ampoulé, de la chancelière sonnent, quoi qu’elle dise, comme une sorte de marche arrière !

Il est vrai que l’approche des migrants a évolué ces derniers mois et, sous la pression de Horst Seehofer, le ministre de l’Intérieur, les expulsions ont repris et les refus (213.000 en 2019) du droit d’asile aussi. On retrouve comme un écho lointain des propos de deux premiers ministres français : l’un disait : « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Et l’autre soulignait : « L’Etat ne peut pas tout ! » Et lors de sa traditionnelle « interview de l’été », Angela Merkel s’est fixée, comme présidente de l’Union Européenne, l’élaboration d’une politique commune face aux migrants. 2020 n’est pas 2015 !

Une opinion qui change. – Cinq ans après, peut-on tirer un bilan du « Das schaffen wir » ? Comme dans les arènes espagnoles, le bilan a un « côté soleil » (positif) et un versant « ombre » (plus réservé). En faisant la synthèse des études et analyses d’experts, un premier constat – politique – frappe : tous les sondages mettent en évidence que si chez les immigrés, la frustration et la déception ont progressé depuis leur arrivée en Allemagne, l’opinion allemande, malgré les menaces sur l’emploi nées de la Covid-19 et malgré des faits divers exploités par l’extrême-droite, est moins hostile aux réfugiés, et les intentions de vote en faveur de l’AfD se stabilisent à près de 10% (contre 12,6% de voix obtenues aux élections de 2017). Il est vrai que ce score reflète aussi l’effet des divisions internes dans le parti.

Sur un plan sociétal plus large, l’intégration des femmes immigrées connaît un échec relatif : chez elles, le poids des traditions qui les destinent à élever les enfants au foyer et à s’occuper des tâches domestiques est resté majoritairement le plus fort. Seuls 29% d’entre elles ont trouvé un emploi ou une formation contre 57% des hommes ! « L’intégration réclame du temps, nous devons faire preuve de patience », souligne le Docteur Katharina Spiess, responsable du secteur « Education et Famille » du « Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung-DIW » de Berlin.

Le pari sur les jeunes. – Ce temps qui joue tout particulièrement au profit des jeunes qui, dans leur immense majorité, se sont parfaitement intégrés dans leur école, qu’ils aiment, et qui manient la langue allemande sans difficultés. Une étude du « DIW » met en relief que 90% des enfants d’immigrés ayant 12 ans parlent allemand avec leurs camarades d’école, 80% d’entre eux se sentent bien en classe et ont des copains allemands, 50% ont adhéré à un club de sport (ils sont 70% dans cette classe d’âge à le faire dans la population non immigrée). Cette approche (à laquelle, une fois de plus, les jeunes filles adhèrent nettement moins) facilite évidemment l’intégration et est prometteuse pour le futur.

Pour ce qui concerne les adultes, 50% des immigrés ont des contacts réguliers avec leurs voisins allemands et la moitié des réfugiés a trouvé un emploi qualifié. Plus de 60% d’entre ceux qui n’ont encore ni travail, ni formation, s’attendent à trouver l’un ou l’autre dans un délai maximum de deux ans.

Un souvenir amer venu des Balkans. – Le bilan du « Das schaffen wir » est porteur d’espoir, mais il doit être approché avec prudence : 5 ans après, rien n’est joué. A preuve, les flux migratoires des décennies précédentes qui ont parfois laissé des souvenirs amers, comme ces études le montrent à propos des immigrés des années 90 au cours desquelles les réfugiés venus des Balkans se sont moins bien intégrés que ceux venus de Syrie, d’Afghanistan ou d’Irak. La crise économique nourrie par la crise sanitaire risque de peser sur la situation de nombre d’immigrés dont beaucoup ont des emplois précaires. Notamment là où, selon les statistiques officielles, ils ont trouvé du travail : dans les secteurs de l’hôtellerie-restauration, la santé, les maisons de retraite, la sécurité.

Le léger redressement de la natalité ne compensera pas les effets du vieillissement, et les réfugiés seront indispensables à terme. Le bilan des décisions engagées il y a cinq ans est certes bien moins positif qu’on l’espérait, mais il ouvre des perspectives favorables. A condition que dans nos sociétés du « vite et tout de suite », on intègre ce proverbe trop souvent oublié : « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ». Mais comment faire passer le message notamment aux illuminés qui, manifestant à Berlin, ont essayé d’envahir le Reichstag : malgré (voire même à cause !) de la devise qui orne le fronton du bâtiment : « Dem Deutschen Volke. »

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