Collectivité Européenne d’Alsace

Alain Howiller se pose la question si cette nouvelle collectivité constitue un nouveau départ ou un cadeau empoisonné…

L'identité alsacienne s'est forgée dans les errances de l'Histoire - et elle résiste à toutes les intempéries... Foto: Oktobersonne / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Par Alain Howiller) – Est-ce vraiment un hasard ou une coïncidence qui laissent rêveur ?… La « commission mixte Assemblée Nationale-Sénat » se réunissait pour mettre la dernière main au projet de loi sur la « Collectivité Européenne d’Alsace (C.E.A.) » dont la création devait symboliser la « renaissance » d’une identité alsacienne perdue pour beaucoup au sein de la grande région de l’Est. C’est le moment choisi par la « Région Grand Est » pour annoncer le lancement d’un appel d’offres pour mettre en place « une stratégie de communication externe globale, permettant de construire le fait régional et écrire un récit commun faisant sens auprès des habitants et des partenaires de la collectivité ». Les partisans de la « C.E.A. », approuvée les 24 et 25 Juillet par le Sénat puis par l’Assemblée Nationale, célébraient après l’adoption du projet par le Parlement « une renaissance institutionnelle de l’Alsace » (Brigitte Klinkert, Présidente du département du Haut-Rhin dixit) ou affirmaient avec Frédéric Bierry, Président du département du Bas-Rhin que « les conditions d’une unité alsacienne ont été créées, et nous avons maintenant l’occasion d’écrire une belle page de l’histoire alsacienne ! »

La « Région Grand Est » qui dans son appel d’offres avait pris la précaution (plutôt cosmétique !) de préciser qu’il s’agissait de promouvoir une « stratégie de communication externe », semble relancer, en quelque sorte, un débat « identitaire » devant lequel les partisans de la future collectivité (elle doit exister à partir du premier Janvier 2021) ne se dérobent pas. Bien plus que ces derniers, qui considèrent la loi adoptée comme un premier pas vers une extension future de pouvoirs, persistent et signent, Frédéric Bierry lançant à son tour un discret appel d’offres pour trouver « un expert » (qui sera) en charge de la stratégie de communication et de notoriété dans le cadre de la construction (de la future collectivité Européenne d’Alsace). Alors « identité grandestienne » contre « identité alsacienne ».

La division, un démon dans les gènes des Alsaciens. – Pour les uns, la loi créant la « C.E.A. » est une « coquille vide », pour d’autres, « c’est une étape à développer » en application du vieux slogan « soixante-huitard » : ce n’est qu’un début, poursuivons le combat !. Pour d’autres encore, d’extrême-gauche ou d’extrême-droite, descendants lointains des « conscrits de l’An II de la République », la « C.E.A. » constitue une différenciation qui porte atteinte à… l’unité de la Nation ! Pour d’autres encore, la nouvelle collectivité met un point final au chapitre ouvert le 7 Avril 2013 avec l’échec du referendum sur la création d’une « collectivité territoriale d’Alsace », née de la fusion (retoquée) entre les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin !

Cette fois, la « C.E.A. » ouvre la voie à une fusion décidée par les deux départements eux-mêmes ; elle entend permettre la mise en place le 1er Janvier 2021, d’une institution qui reprend les prérogatives des deux départements et se voit reconnaître des spécificités d’action dans les domaines de la coopération transfrontalière, de l’enseignement de l’allemand, dans le schéma de développement du tourisme, des routes et autoroutes (non concédées), de l’environnement (éco taxe possible).

Les compétences (à préciser) en matière de transfrontalier incitent certains à baptiser la nouvelle collectivité du terme « d’euro-département ». Mais la loi ne précise pas le lieu du siège de la future institution, et ses imprécisions entraîneront des négociations parfois difficiles. Négociations en interne d’abord (comment fusionner, avec quels effets pratiques sur les services, les effectifs). Négociations, plus délicates, avec le « Grand Est » voire l’Eurométropole de Strasbourg pour éviter des chevauchements. Le risque est grand de voir les Alsaciens retrouver leur « démon génétique » : la division ! La « C.E.A. » deviendra-t-elle un cadeau empoisonné ?

Quand les présidents virent leur « cuti » – Curieusement, les deux présidents alsaciens qui se sont succédé à la tête du « Grand Est » ont été des partisans convaincus de la nécessité de conserver une Région Alsace à identité forte avant de devenir les « intégristes » d’une région Grand Est que 66% des Alsaciens rêvent de quitter selon un sondage de l’IFOP. Selon le même sondage, 85% des Alsaciens aimeraient être consultés par referendum sur cette sortie, et 58% d’entre eux tiendront compte, lors des prochaines consultations électorales, de la manière dont ils auront été entendus ! Jadis, cette forme de changement s’appelait « virer sa cuti »…  Les deux présidents ardents partisans du maintien de la Région Alsace jusqu’à leur élection à la tête du « Grand Est », sont devenus des acteurs du nouveau regroupement décidé par François Hollande soucieux de ramener à 13 les 21 régions qui existaient jusque-là. Il s’agissait, alors, de faire des économies et de créer des régions de « taille européenne » tout en essayant, par d’habiles rapprochements, de protéger le PS en freinant le développement électoral de l’extrême-droite !

Bien que le président du Grand Est ait affirmé que la grande région a permis d’économiser plus de 700 millions d’Euros, un sondage de l’IFOP souligne que 85% des Alsaciens voudraient être consultés par référendum sur une sortie du Grand Est souhaitée par 66% d’entre eux ! Si on peut douter que les objectifs (notamment électoraux) recherchés par François Hollande lorsqu’il a ramené le nombre des régions de 21 à 13, aient été atteints, force est de constater que la réforme a failli faire oublier que le développement des régions n’est pas lié à leur taille mais bien à leurs pouvoirs…

Voilà une approche qui, inévitablement, bute en France sur l’appréciation de la politique dite « décentralisation » qui n’est, pour l’essentiel, qu’une politique de « déconcentration » cosmétisée ! Notre professeur de droit administratif nous expliquait (je résume) que la politique en la matière reposait sur une similitude de base : dans l’une et l’autre politiques, Paris tenait solidement le manche du marteau qui « traitait » les collectivités.

Il ne manquait plus que « l’ethno-régionalisme » ! – La différence entre la décentralisation et la déconcentration réside dans le fait que dans la première approche, le manche du marteau est plus long ! C’est dire, l’inanité des débat qui secouent le Grand Est et l’Alsace en particulier sur les notions d’autonomie voire sur l’émergence nouvelle de l’incroyable notion « d’ethno-régionalisme ». En Alsace, ce débat-là ne cache que trop souvent des rappels historiques nauséeux et nationalistes.

Avant son récent discours à l’inauguration de la Foire aux Vins de Colmar, Jean Rottner, Président du Grand Est (et ancien Maire de Mulhouse), visant ses contradicteurs – dont les médias pourtant bien prudents – avait déjà déploré le « Grand Est bashing » qui serait mené contre la région qu’il préside. A Colmar, il devait déclarer : « Je ne me pose pas la question tous les matins de savoir qui je suis. Je suis alsacien, mulhousien et qui plus est, fier de l’être… L’Alsace n’est pas une île. Elle fait partie du monde et doit vivre ! » Il réclame « une Alsace bien dans ses baskets, à l’aise avec le monde, qui ne s’invente pas des frontières imaginaires : une Alsace qui sait s’ouvrir, accueillir, rayonner… une Alsace qui n’a pas peur de se perdre en se mêlant aux autres ».

Changer de « baskets » ! – Il faut croire que ce grand partisan du Grand Est ne chausse pas les mêmes baskets que ceux qui rêvent d’une Alsace clairement identifiée, celle amorcée avec la création de la « C.E.A. »… Il y a les discours et la réalité… Le fondement du projet de « C.E.A. », c’est de répondre aux réalités du terrain. Pour le faire, nous n’avons pas besoin des leçons de certaines collectivités à d’autres, mais de l’alliance des territoires et des énergies. « L’Alsace n’est pas une île, c’est un poumon, un cœur européen. Notre but est de faire à nouveau battre ce cœur », lui répond Brigitte Klinkert dans les D.N.A. Ambiance !… La mise en place de la « C.E.A. » oblige à des concertations entre collectivités : il faudra des négociations, des compromis, des alliances : les prochains mois ne seront pas des plus tranquilles !

La « C.E.A. », pour la plupart de ses partisans, n’est pas un aboutissement, mais une étape. Pas sûr que le gouvernement, sa majorité qui préparent une réforme constitutionnelle avec un droit à la différenciation entre territoires, l’entendront de cette oreille ! D’autant que la « C.E.A. » a ouvert des appétits dans d’autres régions, voire à l’intérieur même du Grand Est : le département de la Moselle revendique déjà un statut comparable à celui obtenu par l’Alsace. La « C.E.A. » n’est peut-être pas un tsunami comme avait cru devoir le souligner Jean Rottner, mais c’est le début de quelque chose. Pourvu que ce ne soit pas un… cadeau empoisonné ! La suite dans les… prochaines éditions !

1 Kommentar zu Collectivité Européenne d’Alsace

  1. LEHMANN Alexis // 4. August 2019 um 15:00 // Antworten

    Cher Alain,

    Comme toujours tu fais des Edito remarquables bien documentés et bien structurés, bravo !
    J’ai écrit à KAI suite à mon Courrier des Lecteurs dans les DN du 27 ! que tu as certainement lu !
    J’aimerai beaucoup rediscuter avec toi de vive voix à ce sujet !

    Amitiés,

    Alexis

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