Colloquios, enfin en version espagnole !

L'oeuvre polémique d'Erasme de Rotterdam, traduite complètement en espagnol, est enfin à disposition du grand public.

Façade principale de la Faculté de Philosophie te de Lettres de l'Université de Córdoba. Foto: Tibor Kovacs / Wikimedia Commons / CC-BY 2.0

(Jean-Marc Claus) – « Colloquios », œuvre de l’humaniste Erasme de Rotterdam (1466-1536) interdite au 16eme siècle par l’Inquisition Espagnole, a enfin été traduite dans une version grand public. Un groupe de 40 philologues, coordonné par l’Université de Córdoba (UCO), s’est attelé à cette tâche conduite par le professeur Julián Solana Pujalte, spécialisé en philologie latine. La réalisation tardive de la traduction de cette critique acide de la société de la Renaissance est à l’initiative de la « Bibliotheca Erasmiana Hispanica » faisant partie intégrante de l’Université de Córdoba.

Remettant en question de nombreuses pratiques et croyances religieuses, « Colloquios », publié en 1522, passait très mal à une époque où l’union des Couronnes d’Aragon et de Castille (1469) avait donné naissance à la Monarchie Catholique Espagnole (1479-1716) et faisait entrer le pays dans son Siècle d’Or (Siglo de Oro), qui dura en réalité près de deux cent ans (1492-1681). Pèlerinages, interdiction de consommer de la viande durant le Carême, misère engendrée par les guerres, mariages de complaisance, culte de l’apparence, Erasme a mis en lumière certains maux de son époque dont plusieurs restent d’actualité au 21eme siècle.

Évidemment, l’obscurantisme de l’Inquisition Espagnole, qui dura trois siècles et demi (1478-1834), se chargea d’éteindre la lumière bien au-delà du siècle du même nom. Dans cette perspective historique, il importe de ne pas oublier que juste un siècle après la longue Inquisition Espagnole, arriva l’inquisition franquiste (1939-1977). D’où le retard dans la traduction complète de certaines œuvres telles que « Colloquios » d’Erasme de Rotterdam. Traduction complète, car une version partielle en catalan a vu le jour en 1911, grâce au dramaturge et traducteur taragonais Josep Pin y Soler (1842-1927).

Selon Julián Solana Pujalt, « Colloquios » a suscité admiration et rejet. Les ordres religieux accusaient le chanoine théologien, philosophe et humaniste, de propager par ses écrits les thèses de Martin Luther. Pourtant, Erasme de Rotterdam ne s’est jamais converti au protestantisme, mais sa devise « Nulli concedo » (« Je ne fais de concessions à personne ») devait en déranger plus d’un, les pouvoirs temporel et spirituel s’entendant alors pour exploiter le peuple qu’ils maintenaient très adroitement dans l’ignorance.

La version actuelle des 63 textes de « Colloquios » est précédée d’une introduction et accompagnée de 3.000 notes permettant de contextualiser les propos de l’auteur. Avant la version de Josep Pin y Soler (1911), plusieurs traductions ainsi que le texte original en latin circulaient parmi les lettrés, mais sans atteindre le grand public. La version traduite et publiée récemment sous l’autorité de l’Université de Córdoba fait date, car elle vise un lectorat bien plus large que le monde des seuls universitaires.

Alors juste pour le plaisir, dans la version française de Victor Develay (1975), un extrait du chapitre intitulé « Le menteur et le véridique » aux pages 235-236 :

Le Véridique : […] La langue n’a été donnée à l’homme que pour dire la vérité.

Le Menteur : Non, pour dire ce qui est avantageux. Or il n’est pas toujours avantageux de dire la vérité.

Le Véridique : De cette manière, il est quelquefois avantageux d’avoir les mains crochues, et le proverbe atteste que ce vice est parent du vôtre.

Le Menteur : Ces deux vices s’appuient sur des autorités respectables. L’un a pour lui Ulysse, tant loué par Homère ; l’autre le dieu Mercure, si l’on en croît les poètes.

Le Véridique : Pourquoi donc exècre-t-on généralement les menteurs, et pend-on les voleurs au gibet ?

Le Menteur : Ce n’est point parce qu’ils mentent ou qu’ils volent, mais parce qu’ils ne savent ni mentir ni voler, soit défaut de nature, soit insuffisance de talent.

Le Véridique : Existe-t-il un écrivain qui ait enseigné l’art de mentir ?

Le Menteur : Vos rhéteurs ont démontré une bonne partie de cet art.

Le Véridique : Ils enseignent pourtant l’art de bien dire.

Le Menteur : Oui, mais bien dire consiste en grande partie à bien mentir.

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