Comme elle vient…

Le deuxième film sur Georges Yoram Federmann plaide pour une médecine ouverte et pleinement humaine.

Le rédacteur Marc Chaudeur pendant l'entretien avec le Docteur Georges Yoram Federmann Foto: Eurojournalist.eu

(MC) – Georges Yoram Federmann, notre psychiatre strasbourgeois, personnage christique et provocant, fait l’objet d’un deuxième film de Swen De Pauw. De Pauw, après Le Divan du monde (en 2015), creuse cette veine artistique qui l’incite à poursuivre l’exposition des intentions et des propositions de Georges. Comme elle vient a été tourné en une nuit, entre le dernier tram et le premier. Douze bobines de 10 minutes, et pas de deuxième prise. Il s’agissait de préserver intacte l’immédiateté de la facture. Ici, on ne voit ni n’entend plus de patient comme dans Le Divan du monde ; le documentaire consiste en un entretien serré ente le réalisateur et le médecin. Patient à son tour, Yoram ? Son cheminement, de la Shoah à l’exercice ouvert et social de la psychiatrie, importe beaucoup.

Nous discutons longuement avec Georges dans une taverne strasbourgeoise. Il nous dit de sa voix douce que ce film permet de mettre en lumière le travail d’un « bon artisan », d’un « héros du quotidien » qui opère un travail de rupture depuis maintenant 35 ans. Georges veut par dessus tout sensibiliser par ce film à un regard différent sur la médecine, censée être au service de son usager.

Il y a complémentarité entre les deux films. Georges nous explique que le premier parle de la stratégie thérapeutique du psychiatre, de son usage des possibles dans la pratique – celle de Federmann, rappelons le, est principalement centrée sur les migrants et les personnes en déperdition de … de tout. Le second film, prolongeant cet élan, produit une parole politique. La question principale à laquelle Georges essaie de répondre là, c’est : au nom de quel référent politique, idéologique, le psychiatre travaille-t-il ?

Eh bien, ce référent diffère selon l’endroit et l’arrière-plan idéologique : par exemple, on pratiquerait autrement la médecine, on pratiquerait même une autre médecine qu’ici et maintenant si Marine Le Pen était au pouvoir… Et malheureusement, le praticien ne fait jamais allusion à cet arrière-plan. Des injonctions dont il n’est souvent pas même conscient l’interpellent sans cesse. Des facteurs implicites à dégager subsistent. On n’exerce jamais ex nihilo ; on est pris, et le médecin ô combien, dans une structure – et dans une superstructure idéologique.

Et la demande du patient elle-même est forgée par le contexte idéologique. Il y a transmission de quelque chose comme une tradition du rapport médecin-patient, qu’il faut interroger et sans doute transformer.

Au fond, Georges espère avoir produit un film-manifeste. Un manifeste oral pour la reconnaissance des sans voix et des sans papiers. Le psychiatre propose une action contre la pauvreté et les diverses formes de la misère : non plus quelque chose de l’ordre du « plus d’argent », mais plutôt une globalisation qualitative de cette action : la misère en effet ne se soigne pas au coup par coup et détail après détail, mais dans sa totalité bien comprise.

Georges Federmann émet ainsi des propositions assez pragmatiques, liées cependant à des considérations fondamentales. Par exemple, la question des revenus des médecins, et de leurs rapports avec les revenus des patients. Pourquoi existe-t-il une médecine à deux vitesses en France ? (ailleurs, en passant, il en existe à 3 ou 4 vitesses…) C’est que les médecins ne voient que les gens « de la même classe sociale qu’eux ». De gentils patients solvables et qui arrivent sagement à l’heure ; des patients qui parlent la même langue et qui se situent au même « niveau » de langage. En somme, des patients aux papiers en règle… Alors que la souffrance, elle, comme le postérieur d’Arletty, ne connaît pas de frontières !

Les médecins exercent une pratique insulaire,en définitive, à laquelle le patient est contraint de s’adapter – alors même qu’elle est censée être à son service.

Pour cette raison, Georges propose un enseignement de l’anthropologie en Faculté de Médecine. Et aussi de philosophie, éventuellement de géopolitique. Car le médecin devrait se rendre enfin capable d’aborder l’altérité (celle des migrants et des patients pauvres et/ou étrangers, principalement), et de ne plus rapporter toute sa compréhension de l’autre à ses propres conditions de vie, et donc à sa subjectivité à lui. L’Autre est autre, nom de Dieu !

L’Autre, oui : si on considère la rareté des témoignages des rescapés de la Shoah, on s’aperçoit en creux que les victimes traumatisées ne peuvent parler de leurs tortures, des mauvais traitements subis ; et ils le peuvent encore bien moins lorsque, comme en 1945, un juge les somme stupidement de le faire en rapportant la psychologie de l’Autre à sa propre normalité confortable et aveugle. Il en est de même pour les Syriens ou les Congolais, par exemple, qui arrivent à l’OFPRA : on leur enjoint de livrer leurs témoignages (de les délivrer), et donc en somme, de justifier le dérangement qu’ils occasionnent aux braves citoyens de notre pays… Il en est à peu près de même pour les médecins formatés par la Faculté lorsqu’ils se trouvent en présence de telles personnes. Georges observe que l’ altérité irréductible est aujourd’hui, à peu près, acceptée pour les juifs de la Shoah, mais non pour les Noirs et les Arabes. La discrimination persiste.

La proposition la plus conséquente que puisse faire Georges Federmann, c’est donc que les patients doivent prendre eux mêmes en charge la médecine. Ils devraient avoir accès à la matière même des cours dispensés à la Faculté de Médecine : un psychotique, une personne en deuil, une personne atteinte de quelque mal que ce soit, doit pouvoir enseigner aux médecins ce qu’est pour eux-mêmes leur maladie ; ce dont ils ont besoin et comment leur fournir ce dont ils manquent.

N’est-ce pas la moindre des choses, qui tombe sous le coup du bon sens ? Un bon sens qui permet d’ouvrir le propos et d’ouvrir la médecine, au lieu de contribuer par la passivité actuelle des soins – ou leur pure inexistence, pour les plus démunis- à la fermeture de la médecine et donc du médecin, à l’extériorité irréductible du malade et de sa subjectivité ?

Il s’agit, pour commencer, et ces deux films ne sont au fond qu’un commencement, de sensibiliser les citoyens ; de déconstruire les évidences. Cela suppose que les praticiens prennent des risques, trouvent leur liberté et gagnent leur indépendance. Rien n’est possible sans cette indépendance.

Comme elle vient, le docu de Swen De Pauw, 102 min (production : Projectiles), sortira au Cinéma Star le 19 septembre et en principe, restera au programme durant quelques semaines. A ne point manquer, rogntudju ! (Renseignements au 03 88 32 67 77)
Le film précédent « consacré » à Georges Federmann par le même réalisateur s’intitule Le Divan du monde (2015, Editions Seppia).

 

 

 

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste