Construire le principe d’hospitalité et l’appliquer !

D’un débat à l’Hotel de Ville le 20 septembre dernier

A propos de la construction du principe d'Hospitalité : Ledi Bianku, Mireille Delmas-Marty, Kai LIttmann, Irena Guidikova, Nawel Elmrini. Foto: Rédaction

(MC) – Il est urgent de formaliser juridiquement l’hospitalité telle qu’elle est pratiquée et pensée actuellement : chaque jour et chaque nuit nous en rappellent la nécessité ! Pour déblayer le terrain, une rencontre-débat a été organisée par la Ville de Strasbourg et le Conseil de l’Europe jeudi dernier. Etaient conviés : Mireille Delmas-Marty, juriste et principale tête pensante de cette initiative, Ledi Bianku, juge à la Cour européenne des Droits de l’Homme et Irena Guidikova, directrice de programme au Conseil de l’Europe. L’incomparable et majestueux Kai Littmann modérait le débat. Ce débat, présenté et introduit par Nawel Elmrini, a attiré un public très nombreux, ce qui est en soi encourageant.

Mireille Delmas Marty a rédigé un texte pour la tribune du Monde, les 12-13 avril derniers. Un texte très dense, qui expose déjà l’importance essentielle de la construction d’un principe d’hospitalité à valeur juridique et applicable.

La population mondiale a déjà dépassé les 7 milliards d’individus (humains), rappelle Mireille Delmas-Marty. En 2050, la population urbaine atteindra 6,5 milliards d’habitants. Mais actuellement déjà, la mobilité des populations s‘accélère, vertigineuse, qu’elle soit volontaire ou forcée. Les mineurs arrivent en nombre fortement accru ces dernières années : ce qui devrait entraîner une coopération renforcée entre les Etats membres de l’Union Européenne ,avec la collaboration du Conseil de l’Europe. Bonne idée, car l’UE est dépassée, elle a perdu beaucoup de temps ! Il existe bien une Convention sur les droits de tous les travailleurs migrants et de leur famille : elle date de 1990, et elle n’a pas été ratifiée par l’UE…

La politique de l’Union a été largement stérile : elle a appuyé gravement ses aspects répressifs, créant l’agence Spontex de refoulement aux frontières et votant la « directive retour », qui rend possible une détention des migrants d’une durée de 6 mois à parfois un an et demi. Une politique répressive qui emporte l’adhésion des gouvernements populistes européens, de la Hongrie à l’Italie en passant par la quasi totalité des pays d’Europe centrale.

En France, iI y a un véritable problème juridique, souligne Mme Delmas-Marty. Et il se traduit – comme l’exprime un avis du Conseil d’ Etat publié le 15 février dernier – par 3 urgences pressantes.

Pour commencer, on a voté une multitude de lois (16 grandes lois depuis 1980, une tous les deux ans depuis 2005, à savoir depuis le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Mais on n’en a pas évalué les effets ni les conséquences . Un réexamen s’impose donc.

Ensuite, il existe actuellement 9 catégories de mesures d’éloignement avec leurs sous-catégories, et 4 titres de séjour avec leurs 17 mentions différentes ! Ce régime, il faut absolument le simplifier et pour cela, se donner des objectifs précis et chiffrables.

Enfin, il faut installer une gouvernance mondiale réelle et solide. Il existe bel et bien des efforts en ce sens : le rapport d’ António Guterres, secrétaire général de l’ONU en décembre 2017 a donné naissance à un Pacte mondial pour une migration « sûre, ordonnée et régulière ». Ce Pacte devrait être adopté en décembre de cette année lors d’une conférence intergouvernementale qui se tiendra au Maroc.

Mme Delmas-Marty insiste sur le fait que le modèle d’inspiration de ce Pacte est celui envisagé pour une gouvernance mondiale du climat : car on constate nécessairement la même interdépendance de tous les Etats du monde à cet égard… Kant, en 1795, remarquait déjà que la sphéricité de la Terre obligeait les hommes à s’entendre sur l’occupation du terrain, et donc sur le caractère inévitable d’un tissage de plus en plus serré des mobilités migratoires. Ce qui est vrai pour la lutte contre le réchauffement climatique l’est pour la régulation juridique des déplacements de population sur la planète bleue.

A une question posée, Ledi Bianku répond que le principe d’hospitalité est omniprésent dans le droit, mais de manière seulement implicite. Par exemple, le Besuchsrecht (droit de visite) auquel KANT bornait l’hospitalité que pose la construction du droit international est niché (déjà chez Grotius et Pufendorf, d’ailleurs) dans les décisions concernant le droit à la vie, la protection contre la torture, etc . Reste à expliciter le principe, à le compléter et peut-être, à le généraliser.

A l’occasion d’une question apparentée, Irena Guidikova remarque que le terme d’hospitalité implique sans doute un peu trop lourdement la distinction entre un « nous » et un « eux » dans le droit international même, et y introduit originellement la possibilité d’une discrimination entre nationalités.

Mais l’Europe n’est-elle pas largement la cause du problème, demande Kai Littmann ? Par le colonialisme, puis le néo-colonialisme qui a organisé dès les années 1950 l’exploitation des ressources, notamment africaines, grâce à une pseudo-indépendance, et mis au pas la circulation des marchandises au profit des puissances, avec tout ce que cela a pu entraîner? Ledi Bianku répond que le droit d’asile est présent dans la Constitution française ; c‘est donc que le principe d’hospitalité y est présent, déjà. Et concrètement ? Le texte a été utilisé en 1956, par exemple, lorsque 200 000 Hongrois ont fui leur pays et la répression stalinienne. Mais les applications concrètes de ces textes sont variables. Elles dépendent très fortement de la solidarité de fait entre les Etats.

Irena Guidikova s’est demandée alors s’il fallait faire de la solidarité une obligation… C’est bien  ce caractère obligatoire qu’introduisent lois et règlements juridiques, bien évidemment. Mais cela concerne d’abord les Etats avant que de concerner les citoyens pris individuellement ; or, hospitalité et solidarité s’incarnent d’abord dans la vie quotidienne, dans les relations interindividuelles et sociales. Il faut donc oeuvrer, travailler beaucoup par la voie politique, à l’intérieur de la société même. Y compris dans les entreprises (par exemple, par la diversification des équipes de management), par nombre de pratiques innovantes.

Que peut-on faire pour inscrire le principe d’hospitalité dans la réalité ? Le combat, comme le reconnaissent Irena Guidikova et ensuite, les autres participants, doit se livrer d’abord sur la scène sociale et politique ; il faut mobiliser tous les acteurs pour défendre et concrétiser les valeurs qui sont celles de l’Europe – contre la discrimination, le rejet et les pestilences du populisme. Ainsi, les municipalités peuvent donner l’exemple, pour initier les conditions structurelles de la solidarité qui s’échafaudent ensuite, et créer une société ouverte. Irena Guidikova évoque ainsi le cas exemplaire d’Utrecht.

Mireille Delmas-Marty conclut le débat en répondant à la question : comment solidifier les éventuels résultats ? Eh bien, par l’innovation ; par le contrôle du savoir et du pouvoir. Il faut mobiliser les scientifiques : anthropologues et démographes notamment doivent devenir des lanceurs d’alerte. Le droit tout seul ne changera pas les choses ? Peut-être. Mais il y a feedback positif entre les prescriptions du droit et les réalisations de la société civile et donc, des citoyens mobilisés ! Le cas tout récent de Cédric Herrou, ce jeune homme qui a aidé des migrants sur la frontière et s’est fait traîner en justice, est très stimulant à cet égard : évoquant la fraternité (inscrite dans la devise de la République, n’est-ce pas…), Cédric réussi à entériner l’avènement du principe de fraternité. Voilà comment la praxis fait avancer le monde…

Il faut aller vite et prendre de vitesse le populisme, dit Mireille Delmas-Marty. Il faut engager modestie et obstination dans ce travail incessant.

Droit et pratique sociale se nourrissent ainsi l’un l’autre. A nous de faire tourner la seconde.

 

 

 

 

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