Covid-19 et pauvreté dans le Grand Est

Le poids de la réalité – Alain Howiller sur une évolution qui devient de plus en plus inquiétante.

La "nouvelle précarité" se montre en premier dans les villes. Foto: Jerzy Gorecki / Wikimedia Commons / CC0 1.0

(Alain Howiller) – Alors que, sous la poussée des opinions, les mesures liées à la lutte contre la Covid-19 se desserrent (durablement, on l’espère !), de nombreux observateurs qui, oubliant que la crise n’a pas encore trouvé de conclusion, commencent à dresser des bilans qui convergent vers un constat : « l’après Covid » ne sera pas -ne pourra pas- être un retour vers le monde et la société de « l’avant Covid ». Même si, finalement, la situation économique sanctionnera sans doute moins sévèrement que redouté, la sortie de crise(1). Jusqu’ici, les mesures prises par les gouvernements ont réussi à contenir les désastres annoncés : mais, à vrai dire, personne ne sait, en l’état, les effets qu’aura, demain, la levée -même progressive- des dispositions qui seront inévitablement prises pour débrancher les systèmes respiratoires inventés pour soutenir les économies et repousser les crises sociales auxquelles on s’attend !

Réussira-t-on à ne pas laisser sur le bord de la route d’une timide croissance retrouvée, ces deux segments de la statistique du chômage : d’une part, les jeunes qui entrent sur le marché du travail et dont beaucoup -étudiants- ont perdu ces petits boulots qui leur permettaient de survivre, d’autre part, les seniors de plus de 50 ans (!), éternelles victimes des plans sociaux d’entreprises en quête de rentabilité !

Un étonnant constat allemand ! – Qu’en sera-t-il demain des statistiques portant sur la pauvreté ? Certes, ceux qui avançaient que la crise provoquerait, en France, une augmentation de 1 million de personnes en état de pauvreté, ont été démentis par la réalité : le seuil de pauvreté étant fixé, pour une personne seule, à 60% du revenu médian du pays. Il n’en demeure pas moins que le nombre de pauvres a singulièrement augmenté avec la crise et les pertes de revenus qu’elle a engendré. 1 Français sur 3 a déclaré qu’il avait subi des pertes de revenus du fait de la crise et si 33% des ménages (sondage OXFAM) ont souligné qu’ils arrivaient tout juste à boucler leur budget, ils sont 18% à ne pas y arriver. Un quart des ménages affirmait, selon une étude de l’INSEE, avoir fait face à une dégradation de sa situation financière dès le premier confinement de 2020.

Pour la première fois, selon des estimations actuelles, le taux de pauvreté en France (que certains situent à 18-19%) dépasserait le taux allemand (qui est apparemment resté stable à 16% et ce, malgré la crise). La note de conjoncture du DIW-Berlin (Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung) en arrive même à curieux constat : « …L’inégalité de revenus (Einkommensungleichheit) a diminué lors de la deuxième phase de confinement… » Et pour éclairer le propos, le Dr. Markus M. Grabka, chercheur au DIW, relève sous le surprenant titre « La pandémie de la Corona a diminué les inégalités de revenus » : « Cette diminution de l’inégalité a déjà pu être constatée lors de la crise financière (ndlr : à partir de 2008, crise dite des « subprime ») parce que les revenus supérieurs se sont davantage dégradés au contraire des bas revenus… dont certains (ndlr : dans la catégorie des employés) ont même pu progresser de +5% ! »

Strasbourg, Mulhouse et Colmar : une réalité. – Et si en France, comme le relève l’INSEE (dans « Analyses Grand Est n°132, Mai 2021 » : « Les mesures de soutien ont pu permettre de sauver des emplois… la mise en place massive du chômage partiel a pu réduire les revenus des salariés, l’indemnité pouvant être inférieure aux salaires dépassant le SMIC. » Les revenus ont baissé dans de nombreuses secteurs d’activité (ouvriers, intérimaires, salariés en micro-entreprises, employés dans le commerce, l’hébergement, la restauration, les loisirs, travailleurs indépendants), aggravant souvent la situation des familles modestes et dégradant encore la situation -déjà préexistante- des territoires où le chômage avait déjà généré faibles revenus et pauvreté.(2)

Comme a pu le constater, dès avant la pandémie, l’étude de l’INSEE consacrée à « La vulnérabilité économique suite à la crise de la Covid-19 » : « La pauvreté est très présente dans les grandes villes. Dans le Grand Est, 15% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté en 2018, mais cette part atteint 22% dans les pôles d’attraction des villes contre 10% dans leurs couronnes et 13% dans les communes situées hors de l’influence des villes. » Pauvreté et faibles revenus sont particulièrement présents dans les plus grands pôles de la région : Strasbourg (en tête : voir eurojournalist.eu du 21.12.2020), Metz, Nancy, Mulhouse, Colmar… Le seuil de pauvreté s’y situe entre 20 et 25% ! alors qu’en Alsace, il est inférieur à 10% dans certains secteurs comme Niederbronn-les-Bains, Soultz-sous-Forêts, Rouffach, Fessenheim (ce secteur grâce à la centrale nucléaire arrêtée désormais).

Centres urbains : les loyers pèsent. – Chômage, contrats d’intérim, baisse des ventes, pertes de « petits boulots », perturbations dans l’emploi transfrontalier, difficultés à « faire des actes positifs de recherche d’emploi » liées aux perturbations dans l’activité des services publics spécialisés, augmentation des charges et des dépenses, sont autant d’éléments qui ont pesé, qui pèsent encore sur l’évolution des revenus. Dans les centres urbains, les loyers, le remboursement des crédits en cas d’accession à la propriété, constituent des exemples significatifs du poids des charges qui pèsent lorsque les revenus chutent ! L’étude de l’JNSEE a souligné que ce poids-là pèse très majoritairement sur les tranches d’âge des moins de 50 ans.

En confiant au « Conseil National des Politiques de Lutte contre la Pauvreté et l’Exclusion Sociale (CNLE) » le soin d’étudier l’évolution de la pauvreté dans le cadre de la crise sanitaire, le Premier Ministre a souligné une prise de conscience : la crise sanitaire a lourdement pesé sur les catégories sociales que la vie avait déjà frappées : il ne faudrait pas les oublier maintenant que la « lumière au bout du tunnel » semble enfin poindre.

(1) Voir eurojournalist.eu du 1er. Mai 2021.

(2) « Vulnérabilité économique suite à la crise de la Covid-19:malgré des disparités tous les territoires sont touchés », par Thomas Ducharne et Sophie Villaume.

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