Covid-19 : quand le fédéralisme allemand se grippe !

Alain Howiller explique les limites du système fédéral allemand qui, en temps normal, est un paradis pour la susidiarité. Mais les temps ne sont pas normaux...

Pour la première fois, Angela Merkel se heurte au fédéralisme allemand... Foto: Kasa Fue / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Alain Howiller) – « La lumière au bout du tunnel est encore loin… Nos hôpitaux doivent faire face à une situation critique… Le virus sanctionne notre indifférence… Il nous faut réduire les contacts partout où cela sera possible… Chacun et chacune d’entre nous a entre ses mains le fait que ce mois de Novembre soit un succès commun… (c’est le prix à payer…) si nous voulons vivre un Noël à peu près normal » – le ton n’est plus inhabituel chez Angela Merkel qui passait, du moins jusqu’à l’irruption de la Covid-19, pour une chancelière un peu froide, sachant cacher et dominer ses émotions. Mais depuis le début de la crise sanitaire, elle n’hésite plus à manifester son empathie dans sa lutte contre le virus de la pandémie.

Dès le printemps, elle avait alerté ses concitoyens sur la menace que fait peser la Covid : « L’Allemagne n’a pas eu à faire face à un tel défi depuis la réunification. La situation est très sérieuse, prenez-là au sérieux », avait-elle lancé lors d’un intervention à la télévision : cette télévision dont elle fera, à plusieurs reprises (ce qui est inhabituel pour elle), une arme de mobilisation de l’opinion dans la crise ! Car elle a, bel et bien, dû mobiliser face aux oppositions d’un certain nombre de ministre-présidents de Länder apparemment plus soucieux de… leurs électeurs que des menaces que faisait peser la pandémie sur… l’électorat ! En l’occurrence, le fédéralisme a montré ses limites !

Subsidiarité et fédéralisme en question. – La dernière déclaration du ministre-président de la Thuringe Bodo Ramelow a, en quelque sorte, mis le doigt sur ce qu’on pourrait appeler une crise du fédéralisme. Ramelow a réagi après la dernière vision-conférence organisée avec la conférence des ministres-présidents -que préside Markus Söder- et la chancelière qui devait décider des mesures de fermeture (hors commerces, écoles, compétitions sportives à huis clos). Le Thuringeois a revendiqué le droit à la différence d’un Land à l’autre et réclamé à nouveau la possibilité d’adapter aux conditions locales, les mesures décidées sur le plan an fédéral. Il insiste sur le fait que « Le principe de subsidiarité et le fédéralisme s’imposent en Allemagne ! » Rappelant l’interdiction des manifestations sportives décidées par la dernière conférence des ministre-présidents, il réclame le droit d’organiser des compétitions sportives pour les enfants et les jeunes.

Ultime protestation -sans conviction- pour rappeler que -fédéralisme oblige- les Länder ont des compétences en un certain nombre de domaines, dont la santé et la police, manifestation de défiance contre le pouvoir fédéral, mais aussi souci de ménager l’électorat dans les régions qui devront affronter des élections régionales (Bade-Wurtemberg, Rhénanie du Nord-Westphalie, Rhénanie-Palatinat en Mars, Thuringe en Avril, Saxe-Anhalt en Juin) ou locales (Hesse en Mars). A vrai dire, depuis le début de la crise, la chancelière, persuadée de la dangerosité de la pandémie, a engagé le fer avec les ministre-présidents de région pour imposer des restrictions au niveau fédéral. Et régulièrement, un certain nombre de ministre-présidents se sont opposés à ses demandes (1) pour freiner les mesures restrictives et accélérer les déconfinements ! On a même vu, lors de la première phase de lutte contre le virus, la police bavaroise contrôler non seulement ses frontières avec les pays voisins, mais également surveiller les limites du Land avec ses voisins allemands !

La « guéguerre » – Merkel contre ses barons régionaux ! – La guéguerre entre la chancelière et « ses barons régionaux » appartenant pour beaucoup à son propre parti, avait conduit Robert Habeck, co-président des « Verts », à déclarer : « C’est quasiment dramatique, la manière dont certains ministres-présidents ont mis en cause son autorité (ndlr : celle d’Angela Merkel) en se précipitant, sans concertation, dans leur propre voie de gestion de la crise. » Devant l’incapacité de la « conférence des ministre-présidents (dont d’ailleurs la plupart des citoyens… ignoraient l’existence jusqu’ici !) de trouver, des mois durant, un consensus. Angela Merkel, forte de son image, a décidé d’en appeler directement aux Allemands en s’adressant à eux à travers des interventions et des conférences de presse relayés par les médias. Sans relâche, elle a martelé : « Faites attention à vous et aux autres… restez chez vous. » Le léger frémissement (une stabilisation plutôt) dans l’évolution des infections qu’on vient d’enregistrer, n’a pas incité Merkel à dévier de sa route : elle n ‘a pas voulu, en l’état, prendre d’engagement quant à un desserrement des restrictions en Décembre !

Excédée par une nouvelle réunion sans consensus, elle a manifesté son mécontentement en laissant entendre qu’il fallait être plus prudent que ce que demandaient les ministre-présidents des Länder et en laissant le soin à Helge Braun, un médecin, ancien député CDU, collaborateur depuis 2018 de la chancelière avec un statut de ministre, de souligner : « Je me serais attendu à plus de la part des ministre-président(e)s ! » Le rebond de la pandémie aidant, une nouvelle réunion a permis cette fois -en 90 minutes- de dégager le consensus autour des mesures mises en place en ce mois de Novembre avec l’espoir (?) de pouvoir les desserrer en Décembre. En attendant, Jens Spahn, le Ministre de la Santé, mobilisé par les hoquets de l’approche de la Covid, réfléchit à une loi « de protection des citoyens, une loi en relation avec une épidémie de dimension mondiale ! »

Vers une loi de circonstance ? – Cette éventuelle loi (prudente), aura-t-elle plus de chances d’aboutir que la demande adressée par Wolfgang Schäuble, Président du Bundestag, à ses collègues députés leur demandant qu’en cas de crise du type « Covid », le quorum de parlementaires présents pour prendre une décision soit ramené de 50 à 25% ? Par contre, SPD,Verts et FDP ont tenu à rappeler que la crise ne peut pas être gérée par les seuls gouvernement et Conférence des Présidents, le Bundestag doit être consulté. Autre débat esquivé : le souhait gouvernemental de renforcer les pouvoirs de la police fédérale face aux Länder pour mieux lutter contre les menaces d’attentats et contre la montée des extrémismes, n’a jamais pu aller au delà des intentions.

Evoquant la gestion de la pandémie en France, état centralisé, l’ancien Préfet Cyrille Schott, ancien collaborateur de François Mitterrand, avait constaté dans une tribune : « L’Etat central a trouvé ses limites ! » L’Etat fédéral peut-être aussi ?

(1) Voir eurojournalist.eu du 08.06.20.

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