Crise des agriculteurs aux Pays-Bas

Au « Micro Européen » sur franceinfo, José Manuel Lamarque interviewe le journaliste néerlandais Roger Stryland.

Aux Pays-Bas, les agriculteurs sont en colère et ils le font savoir. Foto: Carmen Schlicklin / CC-BY 2.0

(José Manuel Lamarqque) – Aux Pays-Bas, la colère des agriculteurs ne faiblit pas, après deux mois d’actions de la profession contre un plan du gouvernement destiné à réduire considérablement les émissions d’azote, avec un objectif de réduction de 30% du bétail. Décryptage du journaliste néerlandais Roger Stryland, correspondant à Paris. Car cela fait deux mois que le monde agricole aux Pays-Bas est en pleine « révolution ». Une crise qui remonte aux années 50, après-guerre, explique Roger Stryland.

Que se passe-t-il chez nos voisins néerlandais ?

Roger Stryland : La situation est bien compliquée et pour la comprendre, il faut comprendre que les Pays-Bas, c’est un tout petit pays : chaque hectare est optimisé et la crise qui existe aujourd’hui, est le fruit d’une politique néerlandaise agricole qui remonte aux années 50, après-guerre. À l’époque, il y avait de petits agriculteurs qui avaient de petites terres. Ils étaient forcés de les échanger contre d’autres bouts de terre, ailleurs, pour s’agrandir. Et c’est comme ça que beaucoup plus tard, on est arrivé à une situation de l’industrialisation de l’agriculture aux Pays-Bas. Une agriculture devenue intensive, à tel point qu’il y a énormément de têtes de bétail.

Par exemple, aujourd’hui, il y a 11 millions de cochons, 4 millions de vaches, 100 millions de poulets, pour 18 millions d’habitants. L’agriculture est très intensive et très polluante. Et l’un des polluants, l’azote, pose aujourd’hui problème. Cette pollution est telle qu’elle affecte des régions naturelles, désignées dans le programme de Natura 2000.

Ça, c’est le point d’échauffement principal. L’azote en soi n’est pas un polluant, c’est dans l’air. C’est un produit qu’on trouve partout, mais en très grande quantité, ça retombe sur terre, ça rentre dans l’écosystème et ça pollue. Donc, il fallait s’attaquer à ce problème.

Et les agriculteurs sont contre le gouvernement néerlandais, le gouvernement de Mark Rutte ?

RS : Absolument, contre le gouvernement de Mark Rutte, et comme plusieurs gouvernements, toujours menés par Mark Rutte depuis 2010, ils ont laissé un peu filer ce problème. Ça revient comme un boomerang aujourd’hui, et pour résoudre cette question d’une façon pragmatique, les mesures sont radicales. Radicales, parce que le gouvernement dit que pour lutter contre l’azote, il faut qu’un tiers des exploitations agricoles arrêtent leurs activités, qu’un autre tiers se reconvertisse, ce qui fait quand même 60% des exploitations agricoles.

Aujourd’hui, on est à 50 000 exploitations, et ça veut dire que grosso modo, 30 000 exploitations aujourd’hui sont en danger. Donc, on peut comprendre la colère des agriculteurs et notamment celle des plus jeunes.

30 000 agriculteurs, comment le pays va-t-il se nourrir ? 

RS : Ça, c’est justement la grande question. Mais aussi, il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, les Pays-Bas est le deuxième pays exportateur agricole. Vous voyez à quel point l’industrie est devenue intensive. Les agriculteurs ne sont même pas des exploitants, ce sont des chefs d’entreprise.

Et vous ne serez plus le deuxième exportateur…

RS : Ce sera une des conséquences. Les Pays-Bas, normalement, c’est un pays relativement paisible, mais pas cette fois. Les agriculteurs ont manifesté d’une façon violente qu’on a rarement vue. Des politiciens, et notamment des ministres, ont été intimidés. Les actions étaient particulièrement violentes, des voitures de police ont été « caillassées ». Une violence qui paralyse les Néerlandais.

Aujourd’hui, ce qu’on propose aux agriculteurs, c’est déjà d’utiliser des technologies qui polluent moins. Mais cela demande de grands investissements et les agriculteurs ont déjà investi énormément dans leurs entreprises. Donc, ils ne sont pas tous en capacité de le faire. Aujourd’hui, pour calmer les esprits, le gouvernement a désigné un médiateur qui est lui-même issu du gouvernement qui, il y a trois ans, a conçu le projet actuel. Donc, il est moins médiateur que ça, mais c’est une éminence grise. En tout cas, il connaît son dossier.

Donc quoi offrir justement à ces agriculteurs ? Le médiateur est parti avec un chèque de plus de 7 milliards d’euros qui effectivement, peut aider des agriculteurs à se reconvertir. Le seul avantage est que la plupart des agriculteurs néerlandais ont plus de 50 ans, 60% d’entre eux pour être précis. Donc, je pense que Monsieur Remkes, le négociateur, joue la course contre la montre en espérant que sans vraiment régler le problème, avec le temps, ça va s’atténuer.

Est-ce que la population, les Néerlandais eux-mêmes, défendent leurs agriculteurs ?

RS : Je pense qu’il y a une différence avec la France, où chaque Français se sent proche des agriculteurs. Aux Pays-Bas, la situation est quand même un peu différente. Le pays est divisé en deux : une partie dans l’ouest, le centre économique et politique, qui ne comprend absolument rien du problème des agriculteurs, et de l’autre côté, loin du pouvoir, dans les villages, ils ne comprennent rien de ce qui se passe à La Haye au gouvernement.

Cet article est d’abord paru comme émission radio sur franceinfo, dans le format « Micro européen » de José Manuel Lamarque. Pour l’écouter, CLIQUEZ ICI !

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