Croatie : le combat contre la corruption

L’heroïne modeste de la lutte anti-corruption se lance dans la politique

A Zagreb, Saint-Georges terrasse le dragon Foto: Sergey / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 2.0Gen

(MC) – En République croate, une jeune femme brune à l’air fragile, à la chevelure brune, au regard intense et un peu farouche, Dalija Orešković, est devenue l’incarnation de la lutte contre la corruption. Elle a décidé tout récemment de se lancer dans la politique. Ses très nombreux admirateurs aiment la comparer à l’ex-Procureure anti-corruption qui a produit un excellent travail en Roumanie, Laura Codruţa Kővesi.

Mais la modeste Dalija, si elle se dit flattée, fait pourtant remarquer que la situation est différente dans son pays : Madame Kővesi était à la tête d’une véritable institution qui dispose du pouvoir de mener des investigations et d’ intenter des procès à l’occasion d’ activités considérées comme criminelles. Au contraire, l‘organisme que Dalija Orešković a dirigé durant plusieurs années, qui se nomme Commission des Règlements des Conflits d’Intérêts, joue un rôle surtout informatif et éthique et ne peut s’attaquer directement qu’à des violations mineures du droit. La CRCI présente plus d’ analogies avec l’ ANI roumaine, estime la jeune croatienne, avec laquelle elle a travaillé naguère.

Et pourtant, la CRCI, sous la direction de Madame Orešković, a produit une activité pour le moins efficace ! En juin 2016, la Commission a découvert que Tomislav Karamarko, vice Premier Ministre à l’époque et président du HDZ (l’Union démocratique croate, le parti conservateur et nationaliste fondé par Franjo Tuđman juste avant l’éclatement de la Yougoslavie), était impliqué dans un conflit d’intérêts dû aux relations personnelles de Karamarko avec un lobbyiste qui oeuvrait pour la grande compagnie d’énergie hongroise MOL (pétrole et gaz). Cette découverte a contraint le vice-PM à renoncer à toutes ses responsabilités publiques.

Depuis lors, l’activité de la CRCI a permis de mettre à jour d’autres agissements suspects et de soulever des scandales, notamment l’ « Affaire Hotmail » : des journalistes publient des échanges de mails entre la ministre de l’Economie, Martina Dalić, ses consultants et des avocats ; ces mails mettent en évidence leur rôle plus qu’indélicat dans la résolution d’une crise impliquant la plus importante entreprise croate de vente au détail, Agrokor (qui emploie 40 000 personnes), menacée de banqueroute à cause d’une mauvaise gestion. C’est d’ailleurs cette dernière affaire qui a servi de déclencheur pour la jeune femme : elle avait constaté à cette occasion que la loi avait été bafouée, mais que le public n’en savait rien, et qu’il montrait une grande indifférence à cet égard. De même que le premier ministre, M. Plenković…

Dalija Orešković s’est ensuite engagée dans certains des procès les plus importants concernant des cas de corruption : notamment les procès contre la Présidente, Kolinda Grabar-Kitarović, le maire de Zagreb Milan Bandić, celui de Split, Zeljko Kerum, et d’autres ministres et députés… Mais les institutions concernées en principe dans le traitement de tels scandales ont réagi très mollement et sans efficacité. Pourquoi ? Sans doute parce qu’en mars de cette année, la CRCI a remplacé Madame Orešković par une personne plus proche du parti HDZ au pouvoir, en l’occurrence Nataša Novaković. Dalija Orešković avait d’ailleurs retiré sa candidature pour ce poste, en déclarant qu’elle ne disposait à l’évidence pas de l’appui du Parlement pour continuer son action.

Selon la jeune femme (lire son interview dans le média online Balkan Insight), la population dans sa grande majorité est apathique. Les citoyens sont convaincus que la corruption et diverses activités illégales gangrènent le gouvernement et le système politique, mais contrairement à ceux d’un pays comme la Roumanie, par exemple, et en dépit de cas fréquents de corruption et de malversations, les Croates demeurent étrangement silencieux, voire indifférents. « Je pense que l’absence d’une réponse institutionnelle adéquate à des comportements inappropriés a créé un état d’apathie totale »(extrait de son interview à Balkan Insight) …

Dalija Orešković se situe au centre gauche, mais elle insiste sur le fait qu’elle veut être une espèce nouvelle de politicien(ne)… Elle vise avant tout les déçus, les jeunes notamment, qui ne supportent plus le ressassement de la vieille idéologie nationaliste glorifiant le passé de la Croatie et le rôle des Oustachis et/ou des Partisans en 1939-1947. Elle vise aussi les femmes , sous-représentées dans la politique croate. Non pas seulement à cause de l’attitude patriarcale et conservatrice des gens et des institutions, mais aussi à cause de l’absence de support pratique qui leur permettrait de mener des activités professionnelles : par exemple, des horaires mieux adaptés. Il est vrai que ce problème n’est nullement propre à la Croatie, et que certain pays riche et sûr de lui le partage avec elle !

Madame Orešković ne sera pourtant pas candidate aux Présidentielles de 2019 : cette fonction ne l’aiderait pas à atteindre son but. Et puis, estime-t-elle, celui qui viendra après Kolinda Kitarović aura fort à faire pour restaurer l’importance, la dignité et le consistance même de cette responsabilité…

Il est fort possible, espèrent les ennemis croates de la corruption et les admirateurs de Dalija, que des transfuges du SDP, le principal parti d’opposition (centre gauche) pourraient la rejoindre – d’autant plus que le SDP connaît une crise assez grave cette année… Par exemple. le député Bojan Glavašević, qui actuellement siège comme indépendant, pourrait être intéressé…. Mais Dalija insiste sur le fait qu’il existe dans tous les partis des personnes honorables et de valeur avec lesquelles elle pourrait travailler. Il faudra d’abord, pense-t-elle, établir une plateforme avec des gens venus de toutes les branches et sphères d’activité. Créer un parti ? Le cas échéant, oui.En dernière instance.

Dalija Orešković, qui a à son actif de nombreux exploits, représente un véritable espoir d’assainissement de la vie politique et économique dans son pays. Elle devra veiller très lucidement à ne pas se laisser neutraliser par les partis, comme le parti gouvernant a presque réussi à le faire en Roumanie.

Et à se méfier beaucoup du fameux « A droite ET à gauche ».

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