Croatie–Monténégro : ami-ami ?

Les cornes d’escargot de la diplomatie balkanique

L'ancien Palais du Roi à Podgorica Foto: Colomen / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(MC) – Une affaire fait actuellement beaucoup jaser dans les milieux politiques monténégrins : Ivan Mašulović, un attaché militaire, s’est rendu ces jours ci à Knin, en Croatie, pour y assister aux cérémonies de commémoration (et dans l’esprit de beaucoup de Croates, de célébration) de l’Opération Storm, accomplie en 1995.

L’offensive a permis alors à Zagreb de reprendre le Nord du pays aux Serbes de Croatie qui l’occupaient depuis la fin de 1991. Ces Serbes étaient alors soutenus par l’armée yougoslave et des forces serbes paramilitaires. Malheureusement, en même temps qu’elle délogeait les Serbes rebelles, l’armée croate a chassé au moins 200 0000 personnes de leur foyer. Le Comité Helsinki croate rapporte que 677 civils ont alors été tués lors de l’Opération.

Ivan Mašulović est un personnage important au Renseignement et à la Défense. Attaché militaire à Zagreb, il était naguère actif, durant de longues années, dans le Renseignement, puis comme ministre adjoint au ministère de la Défense. Que faisait-il donc à Knin ?

Le président Đukanović, au pouvoir depuis 1991 avec 2 interruptions de 2 ans chacune (durant lesquelles il jouait le rôle d’éminence grise) est trop rusé et trop présent pour qu’une quelconque manifestation soit le fruit du hasard du côté de Podgorica. Même si la Défense n’avait pas prévenu les autorités croates de la visite de Mašulović. Quel message le gouvernement monténégrin veut-il donc faire passer ? Quels fruits escompte-t-il récolter de ce qui peut apparaître comme une provocation ?

A l’intérieur, levée de bouclier à la fois des militants des droits de l’Homme, qui ont lancé une pétition, et de l’opposition, essentiellement le parti pro-Poutine qui se nomme étrangement Front Démocratique et le Parti Uni du Monténégro ; de la gauche jusqu’à l’extrême-droite. A l’intérieur, le bénéfice de l’apparition semi-officielle de l’attaché serait manifestement de réaffirmer l’autorité de Đukanović, réélu le 20 mai de cette année. Et de desserrer ce que le pouvoir ressent comme une emprise trop forte sur son indépendance.

A l’extérieur, il semblerait que le gouvernement Đukanović veuille se distancier de la Serbie, avec laquelle le Monténégro, depuis 1991, entretient des relations étroites, emmêlées et paradoxales. Rappelons que la Croatie est membre de l’Union Européenne, et que la Serbie… aimerait bien l’être, de même que le Monténégro. Sans doute, au moment même où par l’effet d’affaires patibulaires (meurtre d’un journaliste, gambisation toute récente d’une journaliste, liens nauséeux entre crime organisé et politique sur fond de trafics solidement installés autour de Kotor et de Nikšić…), le masque tombe et que la Commission Européenne s’aperçoit enfin que si la cocaïne et l’argent sont blancs, le reste l’est moins, Podgorica veut-elle paraître plus respectable que sa voisine de l’Est. En ce sens, un voisinage avec Zagreb inquiéterait moins, pense-t-on, qu’une persistance de liens trop forts avec Belgrade.

Ainsi, l’apparition surprise d’Ivan Mašulović présente-t-elle au moins pour avantage de marquer la singularité du Monténégro, et plus encore, de son gouvernement, dans le concert à couacs des nations balkaniques.

De toute manière, nous ne sommes jamais au bout de nos surprises. Sans les Etats des Balkans, quel ennui ce serait dans la vieille Europe !

 

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