DAESH : et maintenant ?

Les têtes du dragon

2004 : Fallujah, la ville natale d'Al Baghdadi, sous le feu des Américains Foto: CPL Joel A.Chaverri/Wikimédia Commons/USMC/CC-BY-SA PD

(Marc Chaudeur) – Le dirigeant et fondateur de DAESH, le Calife sans califat Abou Bakr al Baghdadi, semble donc mort. Les chiens policiers américains ont reniflé sa culotte et Trump l’a traité de « lâche » et de « chien ». Tout va bien ? Le monde, et l’Europe, sont désormais en sécurité ?

L’intervention de Donald Trump, dimanche dernier, est pleine de sens. Dans de nombreuses cultures, on insulte l’adversaire mort pour le tuer complètement, pour l’anéantir. Et on sait en même temps que ces insultes ont le caractère d’une provocation : la famille ou le clan du vaincu viendront et reviendront le venger, et montrer qu’ils sont bien là. Voilà sans aucun doute ce qui se passera ces prochains mois, après les paroles (« lâche », « chien ») prononcées dimanche par le dirigeant du plus grand pays du monde. Mais voyons-y de plus près.

Le désir un peu infantile d’anéantir Abou al Baghdadi en le traitant de « chien » va de pair avec la dispersion de ses cendres au-dessus de la mer. Comme Barack Obama l’avait fait des restes d’Oussama bin Laden, en 2011. Il s’agit d’éviter toute matérialisation d’un éventuel culte du Martyr – et du Modèle djihadiste à suivre… La comparaison entre la fin des deux chefs islamistes et leur postérité s’impose.

Une grande différence : quand bin Laden a été abattu, son influence était presque réduite à rien. Il se terrait à Abbottabad, sa confortable tanière pakistanaise, et les attentats et autres opérations étaient organisés par d’autres dirigeants d’Al Qaida. Le présumé numéro deux de l’organisation lui-même, le sexagénaire Aiman al Zawahiri, se cachait avec son « état-major » quelque part à la frontière afghane ou peut-être, dans une partie reculée du Proche-Orient ; il consacrait son temps à sa survie, et non à la préparation de nouveaux assassinats. Mais pour autant, Al Qaida n’était nullement anéantie, bien au contraire : elle est présente, et bien présente, en Afrique Noire, en Asie et… au Proche Orient. En Occident, si les grandes opérations semblent avoir connu un frein depuis au moins 3 ans, on ne compte cependant pas moins de 315 attentats perpétrés par l’organisation dans la seule année 2018 !

Sans doute la situation est elle analogue pour ce qui concerne DAESH. A fortiori parce que al Baghdadi n’exerçait pas un rôle de direction militaire : il s’ était auto-proclamé Calife, ce qui supposait un Califat – donc un territoire à conquérir, et effectivement conquis, du moins sur une période de 3 ou 4 ans. Une fois le territoire repris à DAESH, il n’existe plus de Clifat, et pas davantage de Calife… Et le charisme d’al Baghdadi auprès de certaines populations, notamment les sunnites d’Irak et de Syrie, s’est largement évaporé. C’est là, apparemment du moins, que réside la fragilité de DAESH : les alliés et affidés d’al Baghdadi avaient conclu avec lui personnellement un serment d’allégeance, que les musulmans appellent Bai’ah – mais non avec DAESH…

Et cela n’empêche nullement que DAESH puisse, hélas !, continuer à jouer un rôle diabolique et essentiel dans une grande partie du monde, d’ailleurs de moins en moins précisément délimitable. En Afrique noire (notamment au Nigeria), le lien des « succursales » de DAESH avec la personne d’al Baghdadi ne joue à peu près aucun rôle : ce qui importe le plus, c’est manifestement de pouvoir se réclamer de l’organisation, à raison ou faussement. Au Proche-Orient, une donnée fondamentale fait craindre la perpétuation des opérations : c’est le rapport conflictuel entre sunnites et chi’ites.

En Irak en effet, l’invasion américaine de 2003 a favorisé les chi’ites (majoritaires) au détriment des sunnites, qui grosso modo, occupaient tous les postes-clés grâce à Saddam Hussein, lui-même sunnite. Et c’est la raison pour laquelle beaucoup d’officiers sunnites, après le départ des Américains en 2011, ont rejoint DAESH et en ont formé l’armature militaire – sans eux, l’organisation n’existerait sans doute plus. En Syrie, le gros des troupes de la rébellion contre al Assad était sunnite : et DAESH s’est arrangé pour apparaître comme son protecteur attitré. Souvent à son corps défendant…

Ce qui assure la perpétuation de DAESH : car les antagonismes irakiens et syriens se poursuivront, et continueront à être importés en Occident. Les Etats-Unis, en 2003 – et bien avant, dans les années 1990 – ont piétiné un nid de guêpes en furie qui n’est pas prêt de se calmer.

Cela d’autant plus que Bachar al Assad, qui s’entête à conserver le pouvoir en Syrie, a de plus en plus intérêt à apparaître comme le rempart contre les hordes islamistes. Le théâtre des opérations se situe aujourd’hui, comme on sait, dans le Nord du pays : sous la bénédiction cynique de certains politiciens au pouvoir ou non comme le symptomatique Hubert Védrine, qui entérinent ce rôle de sauveteur de l’Humanité en danger et gomment d’un trait pudique l’existence même de nos amis et alliés kurdes.

Couvrons nous bien : ces prochaines années, Allah va s‘entêter à demeurer furieusement akbar.

 

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