Danemark : victoire des Sociaux Démocrates

Le socialisme en bocal

L'idéal de la société danoise Foto: Angelo deSantis/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 2.0Gen

(Marc Chaudeur) – La gauche – le « Bloc rouge », comme on l’appelle dans ce pays – a gagné les élections au Folketinget (c’est-à-dire les législatives). Les Rouges l’ont emporté sur les Bleus, la coalition de droite. Et, surprise, le Parti Populaire danois (Danske Folkepartiet) eurosceptique et d’extrême-droite s’est, on peut utiliser ce mot, effondré. Un score réjouissant ? Oui, mais…

Les législatives précédentes, celles de 2015, avaient vu une minuscule victoire de la droite, d’où était issue une coalition rassemblant le grand parti libéral Venstre, deux autres partis libéraux-conservateurs et… un parti eurosceptique, climatosceptique et migrantophage – moins féroce cependant que le groupuscule de droite Stram Kurs (Ligne dure, ou raide, suivez mon regard) qui se propose de faire du boudin avec le sang des musulmans (demandez à son dirigeant, l’avocat Rasmus Paludan, trop présent sur youtube – il ne me démentira pas).

Eh bien, 4 ans plus tard, le mouvement s’est inversé, et le « Bloc rouge » l’a emporté avec 49 % des suffrages contre 45,9% pour les Bleus. Hier, on a pu voir Lars Løkke Ramussen, le dirigeant de Venstre, remettre sa démission à la Reine Margrethe (qui n’a toujours pas cessé de fumer). Mercredi soir à Christiansborg, le lieu du Parlement danois, Mette Frederiksen, la cheffe du parti Social-Démocrate, a prononcé un discours très retenu dans lequel cependant elle parle de « victoire historique » pour son parti et pour le Bloc. Les inquiétudes de la population danoise l’ont emporté , puisque la droite, en ces temps d’après-crise, n’a pas réussi à construire une politique solidaire et de progrès, ne serait-ce « qu »‘ économique.

Mais la « victoire » des Sociaux-démocrates est discutable ; et on peut craindre même que pour l’ensemble de la société danoise, il s’agisse d’une victoire à la Pyrrhus : elle risque d’y perdre autant au moins qu’elle y gagne.Le meilleur journal danois, Politiken, qui occupe le bâtiment le plus central de Copenhague, ne s‘y trompe pas – il n’a pas l’ habitude de se tromper.

D’abord, un simple regard sur les résultats montre que le parti SD lui-même sans ses alliés n’a remporté que 25,9% des suffrages : il est donc en léger recul par rapport à son score de 2015 (26,3%). Le Venstre, lui, n’a certes « fait » que 23,4%, mais ce score est meilleur que celui des précédentes élections (19,5%). Il pâtit surtout de la dégringolade de son soutien d’extrême-droite, le Danske Folkepartiet, qui perd 12,4 points ! Dans l’autre camp, le Parti populaire socialiste, post-communiste, bénéficie d’un gain remarquable de 3,5% par rapport à 2015, et la Gauche radicale (en réalité centre gauche libéral) gagne, elle, 4 points.

De manière à première vue surprenante, les Ecologistes n’ont fait que 3 % : sans doute un effet, comme en tant d’autres pays européens, de la diffusion étale et de la banalisation de leurs revendications dans quasi tout l’éventail politique, au moins jusqu’à la droite libérale .

Une « victoire historique » pour la SD, donc ? En réalité, les résultats des SD ne cesse de baisser depuis 1990, avec la montée de l’idéologie post-libérale à l’américaine, et un certaine érosion de l’idéologie de l’État providence : de 37% aux législatives de 1990, elle passe à 26% en 2005, et persiste dans cet ordre de grandeur jusqu’à nos jours.

Par ailleurs, comme le pointent fort bien les analystes de Politiken, le problème de ce parti est double. D’une part, bien que les allusions à l’État providence à la scandinave soient omniprésentes dans les déclarations de Mette Frederiksen et lors de ses meetings, on peut se demander s’il ne s’agit pas là en réalité d’un appel à l’élément le plus persistant, au point d’en devenir constitutif, de la mentalité collective – et cela sans que rien ne garantisse qu’on se donnera le moyen de le restaurer, après les coups de canifs des années 1990. Des coups de machette, même, que les électeurs des SD espèrent voir suturés. Mais la gauche le pourra-t-elle ? C’est loin d’être sûr.

Par ailleurs, du point de vue de la social-démocratie « orthodoxe », Mette Frederiksen a vendu au diable, celui qui divise, un morceau de l’âme de son parti : en effet, elle s’entend expressément avec le Folkepartiet (d’extrême-droite) sur la nécessité d’une politique migratoire très restrictive – et très répressive. Sur une poli-trique, en somme. Et elle reconnaît avec un certain cynisme que c’est ce apport-ci, celui des voix du DF, qui lui a permis d’être élue… Plus encore, elle affirme que la restauration, sinon la reconstruction, de l’Etat providence danois n’est possible qu’au prix d’une fermeture assez draconienne des frontières.

Mette Frederiksen joue ainsi sur l’un des ressorts fondamentaux des sociétés scandinaves : celui de la communauté, à partir de laquelle on peut comprendre même leurs motivations implicites.

Socialisme, oui ; mais socialisme pour une communauté plutôt fermée sur ses smørrebrød et ses bougies. Un socialisme de poissons rouges dans leur bocal.

 

 

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