Dans le « Grand Est », l’économie alsacienne attend toujours…

… le printemps !

C'est le printemps - mais pas (encore) pour l'économie alsacienne. Foto: cogdogblog / Wikimedia Commons / CC0 1.0

(Par Alain Howiller) – « Non, le temps n’y fait rien », chante Hugues Aufray dans « Quand le printemps revient ». Le printemps est revenu et le premier jour de la saison s’est inscrit maussade et pluvieux dans les annales de la météorologie : à l’image d’une conjoncture qui, décidément, peine à s’ouvrir sur un ciel serein. Du moins dans la région Grand Est qui, comme le relève la dernière note de conjoncture du « Conseil Economique, Social et Environemental (Ceser) », reste « en attente d’une reprise plus franche ». Le Ceser constate que « l’emploi industriel continue de décrocher », que si la création d’emplois a repris en 2016, c’est « encore sans effet sur le chômage », bien que la « région continue de bénéficier de la conjoncture favorable de ses voisins frontaliers ». Il est vrai que ce dernier constat justifie en bémol dans l’appréciation : en effet, constate l’analyse, si le Grand Est compte 5.300 emplois frontaliers supplémentaires sur un an, grâce au Luxembourg et à la Suisse, le nombre de frontaliers vers l’Allemagne… affiche un recul de près de 10.000 depuis début 2000 (-18%).

Ce qui justifie les efforts déployés sur le Rhin Supérieur pour développer le travail transfrontalier dans l’espoir de peser sur le nombre de chômeurs (9,9%) alsaciens recensés sur la rive française du Rhin, alors que le nombre de chômeurs est de l’ordre de 6,3% en Allemagne dont 3,8% en Bade-Wurtemberg (3,7% dans l’Ortenau où le chômage a très légèrement augmenté de + 0,2 % par rapport à Janvier).

Des créations d’emplois : mais le chômage persiste ! – L’analyse du Ceser vient corroborer les constats dressés par la Banque de France sur la conjoncture 2016 dans le Grand Est : celui-ci devra continuer à faire face aux problèmes du chômage, malgré une légère amélioration de la situation économique. Alors que l’amélioration s’est traduite sur le plan national par une amélioration de la situation du chômage, il n’en a pas été de même sur le plan régional où l’emploi industriel continue à souffrir d’une restructuration profonde que ni les implantations nouvelles, ni le ralentissement des défaillances d’entreprises, ni les emplois créés dans les branches d’activité non-industrielles n’arrivent à compenser. Le défi est d’importance ! (voir eurojournalist.eu du 22 février)

Dans la dernière note de conjoncture mensuelle que la Banque de France vient de publier, les préoccupations nées des perspectives de l’emploi industriel continuent à être présentes : « En février, la production industrielle accuse un nouveau repli, peu marqué cependant », note la Banque qui poursuit : « La demande stagne tant sur le plan domestique qu’à l’export. Les carnets se tassent légèrement et se situent désormais juste au niveau souhaité. Les prix des matières premières restent orientés à la hausse, alors que ceux des produits finis évoluent peu. La production pourrait s’intensifier à court terme, mais une grande prudence entoure l’évolution de l’emploi industriel ». Seul constat réellement positif : « L’activité et la demande sont en hausse dans les services (ndlr. : qui représentent près de 17% des effectifs). Ce mouvement pourrait se poursuivre au cours des prochaines semaines ».(1)

Une entreprise qui crée des emplois, si l’Euro est sauvé ! – Ces données s’inscrivent dans un contexte qui traditionnellement pèse sur la situation économique. Depuis des mois, la France est engagée dans une compétition électorale : des élections présidentielles suivies du renouvellement de l’Assemblée Nationale. Les rendez-vous électoraux ont généralement un impact sur la conjoncture : chez les investisseurs l’attentisme s’installe et on reporte à plus tard -après les élections !- les recrutements qui ne sont pas immédiatement nécessaires ! L’impact attendu risque fort d’être accentué, cette année, du fait des incertitudes quant aux résultats possibles sortis des urnes après des affrontements dans un climat délétère. Elle est significative la démarche faite par une société allemande du secteur de la distribution « on line » de pneus et d’accessoires automobiles, qui veut investir 60 millions d’Euros sur un site de 18 hectares où elle installerait un bâtiment de 100.000 mètres carrés employant 300 personnes dans un premier temps, 500 dans une seconde phase.

L’entreprise a introduit dans le compromis de vente des terrains nécessaires, une clause selon laquelle la décision d’implantation serait annulée si, après les prochaines échéances électorales, le gouvernement décidait une sortie de l’Euro ! Manifestement, les investisseurs prennent leurs précautions pour le cas où l’extrême-droite ou l’extrême-gauche arrivaient au pouvoir !…

C’est sans doute le climat électoral qui explique que dans la dernière mouture de « l’Observatoire de l’Economie Alsacienne »(2), la prudence des chefs d’entreprise consultés dans le cadre du panel, l’emporte largement : seuls 18% des entrepreneurs comptent augmenter leurs effectifs dans les trois mois, alors qu’ils sont 72% à prévoir un maintien et 10% à s’attendre à une diminution. Selon le même panel, 20% des entrepreneurs alsaciens s’attendent à une augmentation de leur activité, 61% au maintien et 18% à une diminution.

De Dusseldorf à Berlin : un optimisme prudent. – Pas de quoi s’enthousiasmer, d’autant que de l’autre côté du Rhin, le climat électoral se tend lui aussi. Pour 2017, pèsent sur le climat économique allemand : les incertitudes politiques quant aux résultats des élections de Septembre, les craintes d’un ralentissement de la croissance (certains experts prévoient un taux de croissance de 1,2% cette année, de 1,6% pour 2018 contre 1,8% en 2016), le risque d’un tassement de la croissance mondiale due aux réflexes protectionnistes initiés par la nouvelle équipe dirigeante américaine, le retour de l’inflation…. Mais la plupart des dirigeants d’Outre Rhin comptent sur une croissance de la consommation intérieure pour compenser l’effet des divers.

« Nous ne sommes plus en 2000 où l’économie allemande était entièrement dépendante des exportations. D’ailleurs, s’il en était encore ainsi, il y a longtemps que nous aurions connu un ralentissement de la croissance ! », a souligné récemment, à Dusseldorf, Gustav Horn, le directeur de l’Institut pour la recherche sur la macroéconomie et la conjoncture (Institut für Makroökonomie und Konjunkturforschung IMK) appartenant à la Fondation Hans Böckler, créée par les syndicats membres du Deutscher Gewerkschaftsbund DGB).

Les « frasques » du nouveau « Captain America » – L’Institut allemand pour la Recherche en Economie-(Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung DIW Berlin), après avoir constaté que l’économie allemande avait vécu un début d’année parti en fanfare, relève les incertitudes qui pèsent sur l’avenir et s’interroge tout de même sur le maintien du niveau de la consommation intérieure qui avait été soutenue, en 2016, par les hausses des salaires. Les investisseurs devraient hésiter à s’engager fermement, relève le DIW, devant les risques de montée du protectionnisme, des partis d’extrême-droite dans plusieurs élections en Europe et devant les interrogations suscitées par le « Brexit ».

Jamais sans doute, ces dernières années, les perspectives économiques n’ont été à ce point dépendantes de ce qui allait se passer… chez le voisin. Et c’est le moment choisi par le nouveau « Captain America » de renverser la table et de prôner « America first » : sur les bords du Rhin, nous savons bien que si les Européens n’en profitent pas pour resserrer leurs rangs, ils ne s’en remettront sans doute pas.

En plus de la pluie, ce printemps peine à sortir du brouillard !

(1) L’Industrie représente un peu plus de 19% de la valeur ajoutée dans le « Grand Est », soit 3 points de plus que la moyenne nationale. L’industrie manufacturière représente plus de 16% des emplois salariés du secteur privé contre 13% dans les autres régions (hors Ile de France).

(2) « L’observatoire » est réalisé, on le sait, sur la base d’un sondage trimestriel réalisé par « EM Strasbourg Partenaires », pour le compte du Crédit Agricole, de l’Ordre régional des Experts Comptables et du quotidien « DNA ».

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