De la forclusion du Nom-du-père…

Juan Carlos Ier, roi émérite en fuite, exclu du discours de Felipe VI, la monarchie espagnole entrerait-elle dans la psychose ?

En 2017, reçu par la maire de Madrid Manuela Carmen, Felipe VI pouvait encore se présenter aux côtés de son père... Foto: Diario de Madrid / Wikimedia Commons / CC-BY 4.0

(Jean-Marc Claus) – L’universitaire et écrivain espagnol Javier Pérez Royo, s’exprimant dans les colonnes du quotidien en ligne El Diario, soulignait au lendemain du discours de Noël de Felipe VI, que ce rituel sera dénué de toute pertinence, tant que l’ombre de son père planera sur son règne et que le roi émérite ne fera rien pour l’éviter. Le quotidien titrait d’ailleurs sans ambiguïté : « Un discurso estéril » (Un discours stérile).

C’était le second discours de Noël depuis la fuite de Juan Carlos Ier durant l’été 2020, où Felipe VI faisait totalement abstraction de l’exil de son père qui, selon les révélations parues alors dans El País, serait un « exil provisoire », ayant obtenu l’aval du gouvernement de Pedro Sánchez. Mieux encore, le roi en appelait à l’entente et à la collaboration, attitudes nécessaires pour légitimer les institutions, mais rien sur l’institution monarchique dont il est pourtant la figure de proue.

Le dire quelque peu gêné aux entournures, est alors un doux euphémisme. La question qui se pose ici, et deviendra avec le temps pour Felipe VI bien plus pénible que le sparadrap du Capitaine Haddock dans « Le Crabe aux Pinces d’Or », n’est pas tant celle de la survie ou de la disparition de la monarchie, que celle du déni de la réalité. Faire comme si le réel n’existait pas, le rend encore plus prégnant aux yeux et dans la pensée d’autrui.

Parler de forclusion du Nom-du-père, histoire de donner une connotation lacanienne à cette tentative d’analyse, n’a rien de comique. Comme dans beaucoup de familles régnantes en Europe, les liens entre membres ne sont pas simples, les unions souvent guidées par des intérêts dynastiques et les « pièces rapportées » ont d’autant plus de mal à exister qu’elles manquent de quartiers de noblesse. Alors, si à cela s’ajoutent scandales financiers et fuite en catimini, la tentation du déni peut s’avérer très forte.

Que l’on soit favorable ou défavorable à la monarchie, force est de constater objectivement que Felipe VI n’est pas le plus mauvais souverain qu’ait connu le Royaume d’Espagne. La monarchie espagnole a un coût sur les finances du pays, que pourtant tous les citoyens ne dénoncent pas, mais quand à cela s’ajoute malhonnêteté et omerta, la tendance pourrait bien s’inverser. Car à y regarder de près, ce sont plus les scandales financiers de la « Bourbon Connection » qui attisent la colère du peuple, que la monarchie en tant que telle.

Ainsi, pour revenir à la référence lacanienne, comme de la forclusion du Nom-du-père naît la psychose, il n’est pas exclu de penser que le déni dans lequel s’enfonce Felipe VI et avec lui toute la famille régnante, les fera à terme sombrer corps et biens dans un vécu et une conception très psychotique du monde. A ceci près, histoire de rassurer les puristes, il n’y a visiblement pas eu de forclusion dès la tendre enfance du futur Felipe VI, quoi que…

Felipe VI peut avoir des raisons personnelles, de passer sous silence les frasques sentimentales et les malversations financières de son père. Cela s’entend s’entendre car rien n’est plus humain. Pourtant tout humain qu’il soit, un souverain comme un chef d’État, se doit de faire passer les intérêts du pays avant les siens, y compris ceux de son « économie psychique ». Ainsi, pour que la maison de Bourbon ne s’enferme pas dans la psychose, et le discours de Felipe VI ne devienne pas de plus en plus stérile, une parole libératrice sous forme de prise de position claire vis-à-vis de son père serait la bienvenue.

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