De la vieille social-démocratie aux nouveaux parapets

A la Librairie Kléber

Le collectif "La Gauche en commun", auteur de l'ouvrage De la Gauche en commun aux nouveaux possibles, à la LIbrairie Kléber Foto: Eurojournalist / CC-BY-SA / 4.0Int

(MC) – Hier soir, les membres d’un collectif issu du Parti Socialiste et qui s’est baptisé « La Gauche en commun » a présenté à la Librairie Kléber le fruit de ses réflexions sur l’avenir de la gauche en France : un ouvrage de 175 pages intitulé De la Gauche en commun aux nouveaux possibles (Editions UPPR).

Un bilan et des propositions pour remettre en relief la pertinence politique et sociale de la gauche – et surtout, de la social-démocratie. Qui est presque trop évidente, et qu’on n’aperçoit plus pour cette raison même.

Pour commencer, les 5 auteurs (Anne-Pernelle Richardot, Adjointe au Maire de Strasbourg, et Sébastien Vincini, Pierre Jouvet, Gulsen Yildirim, Eduardo Rihan Cypel) expliquent qu’ils ont voulu développer leur compréhension des problèmes, puis des possibilités prometteuses ; non en partant de l’appareil d’un parti, mais de la perception des Français. Il y a bien, d’abord, une crise du futur : il faut donc « réarmer l’idée de progrès », comme l’écrit Patrick Boucheron, « réinventer une manière d’y croire à nouveau » – On notera en passant que cette considération sur le progrès entre en consonnance assourdissante avec l’ouvrage du philosophe Etienne Klein intitulé… Sauvons le Progrès (Aube, 2017)

Pourquoi, et comment, y croire à nouveau ? On ne peut pas ne pas faire la constatation que notre société est fissurée, en son sein même : elle subit une fracturation sociale et territoriale, dont certains signes et indicateurs émergent depuis bien longtemps maintenant, mais qui apparaissent plus brutalement depuis quelques années. Comment peut-on croire encore au progrès, alors même que la globalisation elle-même scinde notre société ? Car en effet, on dira qu’il y a les globalisés heureux et… les autres ; ce qui produit un ressentiment face à l’avenir, un déracinement, une désillusion quant à un avenir meilleur : on entrevoit maintenant que les enfants n’auront peut-être pas un avenir meilleur que leurs parents…

Il faut d’abord verbaliser le malaise, mettre des mots sur nos maux, comme l’a dit Pierre Jouvet. Et face à ces maux, reste la solution social-démocrate : « La social-démocratie est une utopie solide », déclarent nos 5 mousquetaires de la gauche. Ce qui a rendu quelques auditeurs perplexes : existe-t-il donc des utopies liquides ? Sans doute non ; mais nous savons de fait qu’il en existe de gazeuses, malheureusement… La formule est cependant frappante : elle renvoie aux réalisations immenses de la social-démocratie, en bien des pays occidentaux, et de toute manière, aux effectuations les plus durables et les plus utiles du socialisme, loin des rêveries… gazeuses.

En tout cas, nous sommes tous les enfants d’un grand échec, dit l’un des conférenciers : celui d’un certain socialisme, mais plus encore, celui du capitalisme et de son développement actuel. La société est profondément déshumanisée. Et nous perdons notre foi dans le progrès. Dans ce tableau où règne la défiance face au politique, liée à ce double échec, se profile de plus en plus durement le risque populiste, à partir précisément de la dévaluation de la notion de progrès social. Face à un système politique et social gouverné par de stricts gestionnaires, la social-démocratie, « c’est ce que nous avons à réinventer pour retrouver un équilibre », estime Cypel.

Les conférenciers font remarquer que bien évidemment, l’échec remonte bien au-delà de 2017 : quand un parti, en l’occurrence le PS, devient une pure machinerie électorale, estime Gulden Yildirim, c‘est nécessairement le début de la fin… Mais ensuite, comme redevenir audible ? L’attente est forte, mais « l’envie de gauche » a presque disparu…

Comment faire, alors ? La réponse qu’apportent les auteurs, c’est qu’il faut partir des territoires, y compris de la « France périphérique », et non plus des machineries partisanes. A ce propos, Anne-Pernelle Richardot précise que le débat lui-même doit s’effectuer à l’intérieur même des cercles politiquement actifs, et sur le plan local. Ainsi, par exemple, fait-elle remarquer, les gilets jaunes montrent un vrai respect pour les élus locaux, parce qu’ils savent l’importance de la proximité et l’activité vérifiable des personnalités locales. Il faut donc réécrire un récit collectif en France, qui doit partir des territoires.

Mais comment la gauche, et le PS, pourront-ils renouer le lien avec les Français ?

Le phénomène des gilets jaunes est très significatif à cet égard. C’est une population qui n’est plus ni vue, ni entendue, ni considérée – ni respectée. Il faut l’écouter et la comprendre. En réalité, cela fait des décennies que le mal s’est installé ; et voilà pourquoi notre petite équipe de socialistes a effectué des passages sur les barrages et ronds points. Anne-Pernelle Richardot, elle, a noué une discussion et mené un débat à Roppenheim (temple de la consommation démarquée….) durant 4 heures et demi. Elle n’y a entendu aucun irrespect pour les gens du PS ; bien plutôt, elle y a entendu le malaise des gens et l’expression formulée de leurs revendications.

N’est-ce pas clairement que le système est à bout ? Oui, estime Pierre Jouvet. C’est son aspect pyramidal, cette pratique qui lui est propre de « promesse verticale », jupitérienne, qui est à bout, pour diverses raisons dont la moindre n’est pas l’omniprésence des réseaux sociaux, qui font dialoguer d’égal à égal une « dirigeante » de gilets jaunes et le ministre de l’Intérieur – la verticalité ne fonctionne tout simplement plus. Lié à cela, la société française subit (depuis bien longtemps aussi!) le mépris et… l’oubli des corps intermédiaires. O combien depuis 2017 !

A ces maux, des remèdes : en somme, il convient de considérer absolument les territoires comme le lieu d’où partira la réactivation du politique. De préférence en donnant vie à la subsidiarité.Celle-ci, fait bien remarquer Sébastien Vincini, ne suppose pas la pratique permanente de la démocratie directe, mais … la confiance entre dirigeant et dirigé. Corps intermédiaires, subsidiarité : les grandes lacunes de la République française, assurément. Non pas depuis 2017 ni 2012, mais depuis ses origines…

Une question venant du public a reposé le problème actuel des socialistes français en termes plus vifs encore : dans son livre-mémoire, demande un auditeur, François Hollande n’ a consacré qu’un minuscule chapitre à ses échecs, à ses erreurs : mais qu’en est-il ? Et que vont faire les gens de gauche, maintenant, et donc les sociaux-démocrates ?

On lui a répondu qu’encore une fois, un bilan complet est indispensable. François Hollande explique son échec aux présidentielles de 2017 par le travail de sape des frondeurs… Ce qui n’est vrai que très partiellement ! Mais par ailleurs, le quinquennat de Hollande a connu des réalisations positives dont il y a lieu de tirer fierté : le mariage pour tous, la prime d’activité, l’obligation de payer des pensions aux femmes divorcées.

Selon les auteurs du livre, Hollande a commis 3 erreurs : la première, d’avoir critiqué (par démagogie?), le « monde de la finance », lors de son discours au Bourget. La seconde : le slogan « Le changement, c’est maintenant », irréalisable parce que l’État était « en faillite » bien avant le début du quinquennat Hollande, et qu’il fallait trouver bezef de flouze pour renflouer ses caisses. La troisième, c’est l’insuffisante revalorisation du SMIC, alors qu’il s’agissait d’une promesse de campagne… Il y a eu cependant, complète Eduardo Rihan Cypel en fin de débat, des décisions politiques qui ont représenté, hélas, un choc symbolique pour la société française : le vote de la loi-travail et de celle portant sur la déchéance de la nationalité.

Un bilan et un état des lieux plus complets seront dressés ces prochains mois, nous promet Anne-Pernelle Richardot. Dont acte. L’analyse que font ces 5 brillantes personnalités de la gauche française se distingue indiscutablement par son honnêteté et son courage. Espérons en tout cas que les lignes directrices de la social-démocratie classique trouveront grâce à eux et à d’autres une traduction et une application contemporaines pertinentes.

De la Gauche en commun aux nouveaux possibles
Sous la direction d’Anne-Pernelle Richardot, Sébastien Vincini, Pierre Jouvet, Gulsen Yildirim, Eduardo Rihan Cypel, Editions UPPR, décembre 2018.

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