De l’agression russe, selon Jonathan Littell

A travers cinq tribunes rédigées de mars à octobre 2022, Jonathan Littell livre son analyse de la tentative d’invasion de l’Ukraine par la Russie, dans un fascicule qui se lit comme un roman et apporte de nombreux éléments de compréhension et de réflexion.

Un ouvrage qui se lit comme un roman, mais qui fourmille d’informations. Foto: JM Clauss / CC-BY 2.0

(Jean-Marc Claus) – Alors que durant tout le week-end dernier, de très nombreux médias étaient focalisés sur le premier « anniversaire » de la tentative d’invasion de l’Ukraine par la Russie, depuis maintenant une semaine, les rédactions ont retrouvé leur rythme de croisière antérieur. Raison de plus pour s’autoriser à penser, en dehors des moments dictés par la pression médiatique et hors du champ de réflexion imposé par les autoproclamés spécialistes. Comme André Markowitz, qui publiait en juin 2022 « Et si l’Ukraine libérait la Russie ? », Jonathan Littell a une approche très personnelle de la situation, qu’il nous livre à travers un recueil de cinq tribunes rédigées de mars à octobre 2022.

Né à New York, issu d‘une famille d’émigrés russes, ayant passé son enfance en France et installé actuellement en Espagne, l’écrivain a vécu plusieurs années en Russie et en Ukraine, pays où il a de nombreux amis. C’est donc par l’écrit que Jonathan Littell s’adresse tant à ses amis des deux côtés de la frontière, qu’au reste du monde. Et pour cela, il remonte aux origines de l’actuel conflit, qu’il situe dans la personne même de Vladimir Poutine, cet « inconnu du grand public » qui en 1999, « fut nommé premier ministre quand son prédécesseur refusa de soutenir une invasion totale de la Tchétchénie » (page 3).

Un homme qui « existe grâce à la guerre, et a prospéré par la guerre » (page 3), alors que certains narratifs le présentent surtout comme un super-oligarque, viscéralement antidémocrate et ultra-réactionnaire. Ce qui n’est pas moins vrai, mais occulte le bellicisme fondamental de ce sinistre personnage qui, en complet décalage avec son époque, « au XXIe siècle mène une guerre du XXe pour atteindre des objectifs du XIXe » (page 39). Quand Jonathan Littell affirme que « La Russie doit perdre cette guerre » (page 36) et entend par là « une défaite militaire complète des forces russes en Ukraine » afin de « ramener un semblant de sécurité sur le continent » (page 41), il précise qu’il est « loin de suggérer que nous laissions le conflit se transformer en Troisième Guerre Mondiale », mais réclame des sanctions économiques encore plus fortes contre la Russie et des livraisons d’armes suffisantes à l’Ukraine pour qu’elle puisse repousser efficacement l’agresseur jusqu’à la frontière des deux pays.

Or, nous sommes déjà d’une certaine manière dans la Troisième Guerre Mondiale, sur un format, heureusement pour l’instant différent des deux précédentes, mais rien ne garantit que Vladimir Poutine se contentera de se livrer à « une sorte de slow war, une nouvelle forme de guerre froide – une guerre de disruption, de désinformation et d’économie politique » (page 31). Si rien ne l’arrête, le basculement vers un conflit plus classique se fera inévitablement, selon Jonathan Littell, qui en appelle à la mobilisations de ses amis russes, en leur disant : « C’est l’heure de votre propre Maïdan. Soyez malins, soyez stratégiques et faites en sorte qu’il advienne. » (page 22). Ces derniers n’ont maintenant plus le choix , car il voit venir la révolte non de ses amis lettrés et pour la plupart citadins, mais « le plus probablement des provinces, des villes moyennes ; là-bas, quand les prix s’envoleront et que les salaires ne seront plus payés, tous ces gens qui ont voté Poutine parce qu’ils voulaient du pain et la paix, descendront dans les rues » (page 21).

C’est là qu’il compte sur l’implication de ses amis russes, pour coordonner les mouvements de révolte, advenant inévitablement. La partie de poker menteur dans laquelle Vladimir Poutine a actuellement la main, notamment dans son pays, ne pourra durer éternellement. Or, si « jusqu’à maintenant, le bluff a bien servi à Poutine, […] il manque à Poutine la principale qualité du bon joueur de poker : la capacité de juger son adversaire, de le lire. Poutine, incapable même de comprendre les esprits libres de son propre pays, n’a rien compris aux Occidentaux qu’il déteste et méprise. Ainsi, il n’a jamais compris que malgré tous nos accommodements, tous nos renoncements, nous avions aussi des limites, au-delà desquelles il n’y aurait plus de retour possible. » (page 42).

« De l’agression russe », un fascicule se réclamant très clairement des écrits polémiques publiés par Gallimard, qui se lit comme un roman et apporte des éléments tant de compréhension que de réflexion, sur ce conflit que certaines chaînes autoproclamées d’information, commentent d’une manière diamétralement opposée aux laconiques communiqués de CNN durant la Guerre du Golfe, mais sans plus d’esprit critique…

De l’agression russe par Jonathan Littell
Éditions Gallimard – Collection Tracts 11/2022
ISBN 978-2-07-302019-2 56 pages, 3,90€

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