De Paris à Berlin, une convergence insoupçonnée dans la crise du politique.

Alain Howiller s'interroge : un « néo-Poujadisme » pour changer le monde ?

En France comme en Allemagne, la situation est actuellement assez chaotique... Foto: Hans-Joachim Fitting / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 2.5

(Par Alain Howiller) – Tant à Paris qu’à Berlin, on s’interroge sur les moyens de ré-activer une démocratie qui donne d’inquiétants signes d’essoufflement. Comment ré-intéresser l’électeur aux élus, comment rapprocher les institutions des abstentionnistes dont le nombre s’étiole d’une consultation à une autre ? Intéresser le citoyen : voilà un thème riche (!) qui, généralement, fleurit à la veille d’élections, se développe les soirs de scrutin pour être vite oublié en attendant… la prochaine consultation électorale. En France, les « gilets jaunes » d’aujourd’hui « bâtards » des bonnets rouges d’hier, en Allemagne des manifestants anti-murs d’hier aux extrémistes de Chemnitz d’aujourd’hui, les démocrates s’interrogent : la rue va-t-elle désormais imposer ses vues aux décisions sorties des urnes ?  « Vaste sujet de méditation » pour paraphraser une phrase du Général de Gaulle devenue célèbre en… août 1944 !

Vaste sujet aussi auquel devraient s’atteler ceux qui nous dirigent ou qui ambitionnent de nous diriger. Ils se déchirent, aussi bien à Berlin qu’à Paris, s’attaquent, se contredisent, tirent contre leur camp même s’ils sont ministres, reviennent sur leurs promesses et tout cela au nom de… notre intérêt général ! Et pendant ce temps, les populistes gagnent du terrain alors que selon un sondage TNS-Sofres, 56% des Français estiment que l’ex-Front National constituerait un danger pour la démocratie et qu’en Allemagne « l’Office Fédéral de Protection de la Constitution », le service de renseignements surveillant les activités contraires à la Constitution, est sollicité pour engager des investigations sur l’AfD !

C’était avant les… « gilets jaunes » ! – Selon une enquête de 2016 du « Centre de Recherches politiques de Sciences Po » (plus connu sous son ancien acronyme de CEVIPOF), 82% des Français avaient une vision négative de la politique et une majorité souhaitait un retour vers un système moins présidentiel ou « élyséen » : c’était bien avant la crise des « gilets jaunes ». Et sortent des tiroirs l’expression de la nostalgie de refonder le régime et d’ouvrir la voie à une autre République, moins élitiste et plus proche des citoyens : les Français n’ayant pas de mémoire ont oublié ce que la République précédente avait (ou n’avait pas) apporté au pays ! Tout comme les Allemands semblent avoir oublié, hormis la tragique sortie vers le national-socialisme, les épisodes ayant émaillé la République de Weimar !

Certains observateurs – et non des moindres – avancent que la situation actuelle de la France rappelle fâcheusement les années « 30 », d’autres (peut-être plus réalistes ?) observent, quant à eux, que la situation actuelle relève plutôt de ce que nous avons connu en au début des années 50 avec la révolte anti fiscalité des commerçants et artisans de « l’Union de Défense des Artisans et Commerçants – UDA » de Pierre Poujade, le « libraire de Saint Céré (Lot) » qui, en 1956, réussit à faire élire 52 députés (dont Jean Marie Le Pen qui avait 26 ans) avant de disparaître du paysage politique. D’autres encore évoquent 1957/1958 (et non 1968) lorsque, avec son retour, le Général de Gaulle créa la Vème République : la France, alors, était sous la menace d’attentats liés au conflit algérien, vivait une déconsidération du système politique, devait faire face à une crise économique et monétaire et le débat politique agitait clubs et groupes de réflexions (les « Denkfabriken » de l’époque) en dehors des partis et des institutions. En Allemagne, Heiner Geissler, l’ancien secrétaire général de la CDU – le père du referendum qui ouvrit la voie au projet de gare souterraine « S21 » de Stuttgart- n’y est pas allé de main morte : il avait vu, il y a deux ans déjà, dans la situation allemande et dans la montée de partis ou de mouvements anti-immigrés (AfD ou PEGIDA) des circonstances proches de celles qui, sous la République de Weimar, permirent l’émergence du…. parti national-socialiste et d’Adolf Hitler. Dans une interview à la station de radio allemande « Deutschlandfunk », il avait même déclaré : « En jouant avec la peur, on peut paniquer tout un peuple ! »

Dans les tiroirs : un désir de renouvellement. – L’enquête du CEVIPOF est révélatrice de la crise qui s’est installée entre les citoyens et ceux qui les dirigent : 67% des Français estimaient que la démocratie ne fonctionnait pas bien, 81% exprimaient leur désenchantement, 88% pensaient que les politiques ne se préoccupaient pas de ce que pensent les citoyens, 39% étaient méfiants vis-à-vis des politiques, 54% étaient déçus par eux. Dans une étude menée précédemment par « l’Association Nationale des Conseils d’Enfants et de Jeunes – ANACE », 71% des sondés pensent que les hommes politiques mentent, 43% des jeunes estiment qu’ils pourraient voter pour des partis extrémistes voire participer (à 25%) à des manifestations violentes. En Allemagne, la désillusion vis-à-vis des partis, dont les dirigeants accusent un âge se situant autour de 60 ans, se traduit par une abstention croissante aux élections et la dernière enquête « Shell » sur les jeunes met en lumière que si ceux-ci s’intéressent à la politique, c’est en dehors de toute participation aux activités des partis qu’ils ne tiennent pas en haute considération. Ici, comme du côté français, les partis perdent non seulement des électeurs, mais aussi des adhérents. Du reste les… syndicats aussi ! Alors que ces constats ont mené au pouvoir la « République en Marche » et, en Allemagne, les « Verts» à un certain succès en Bavière et en Hesse, qui se souvient de ces études soigneusement rangées dans un tiroir dont elles ne sortiront sans doute jamais ?

L’enquête du CEVIPOF a souligné le désir de renouvellement de l’offre politique. Les Français souhaiteraient un régime moins présidentiel : 64% des sondés sont prêts à supprimer un système donnant trop de pouvoirs à un homme et 44% seraient favorables à un mandat unique pour leur Président. 77% seraient favorables au non-cumul des mandats électifs (limitation à deux législatures ou mandatures), 76% estiment que, une fois élus, les fonctionnaires devraient démissionner de la fonction publique, 66% sont d’accord pour introduire une limite d’âge à ceux qui se présentent à une élection, 51% seraient favorables à un regroupement des élections intermédiaires, 48% seraient favorables à l’introduction de la proportionnelle, 39% seraient favorables au vote par internet et 38% ne seraient pas hostiles à la… suppression du Sénat !

Des bords de la Seine à ceux de la Spree. – Les propositions ne manquent pas : elles recoupent, tant sur les bords de la Seine que sur ceux de la Spree, un certain nombre de solutions qui ont été mises sur la table (…où elles sont restées !). Un groupe de travail présidé par Claude Bartolone, alors Président de l’Assemblée Nationale, réunissant parlementaires et « personnalités qualifiées » conduites par l’historien Michel Winock, avait émis 17 propositions pour « restaurer le lien entre les citoyens et leurs représentants ».

Parmi les propositions, le retour à un septennat (unique) pour le Président de la République, l’Assemblée doit pouvoir s’opposer aux nominations effectués par le Président de la République reconnu comme chef de la majorité (le groupe avait envisagé la suppression du poste de Premier Ministre !), introduction d’une dose de proportionnelle a l’Assemblée Nationale, fusion du Sénat et du « Conseil Economique, Social et Environnemental », diminution du nombre de députés (400 au lieu de 577), recours au referendum y compris d’initiative populaire… En Allemagne, un groupe inter-partis a fait des propositions : vote électronique élargi, multiplication des bureaux de vote même en dehors des bureaux « officiels », réforme électorale simplifiant un système jugé « trop compliqué », vote obligatoire, vote par correspondance. Dieu seul le sait ! Auront-elles, un jour, une application ? A quelques mois à peine d’une nouvelle échéance électorale (l’élection européenne en Mai), il serait surprenant qu’on puisse encore ouvrir les tiroirs dans lesquels elles ont été soigneusement rangées ! Certaines dispositions – notamment en France – ont avancé, la plupart non. Alors qu’attend-t-on ? D’autant que contrairement à ce qu’on pense généralement, les citoyens, des deux côtés du Rhin, s’intéressent à la politique, même si, échaudés, ils se méfient des « politiques » !

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