De part et d’autre du Rhin, deux découvertes estivales

Thérèse Willer présente deux expositions dans le monde de l’illustration et du dessin qui valent le détour : à Renchen dans l'Ortenau au Simplissicimus Haus et à Bassemberg dans le Bas-Rhin, au musée Gérard Gachet.

La liberté du dessin est aussi la liberté de la presse. Thérèse Willer présente deux expositions exceptionnelles. Foto: Organisateurs / privée

(Thérèse Willer) – « Sajtinac. Dessins de presse sans frontière / Pressezeichnungen ohne Grenzen », au Simplicissimus Haus, jusqu’au 10 septembre (textes de l’exposition en français et en allemand).

Qui connaît encore le nom de Hans Jakob Christoffel von Grimmelshausen ? C’est pourtant un personnage qui a vécu au XVIIe siècle non loin de Strasbourg, et plus précisément, dans l’Ortenau, et qui fut l’auteur, comparable à un Rabelais en France, d’un roman picaresque, Der abenteuerliche Simplicissimus Teutsch (Les aventures de Simplicius Simplicissimus). Sans doute l’une de ses autres œuvres littéraires est plus connue du grand public, car son titre et son thème ont été repris par Bertolt Brecht dans une pièce de théâtre devenue célèbre, Mutter Courage und ihre Kinder (Mère Courage et ses enfants). Ecrit en 1668, Simplicissimus est le récit à portée satirique des aventures d’un jeune homme pendant la Guerre de Trente ans, un conflit en Europe particulièrement meurtrier. C’est ce chef-d’œuvre quelque peu oublié que le Simplicissimus Haus de Renchen s’emploie depuis 25 ans à faire revivre par une présentation permanente ainsi que par des expositions temporaires d’éditions et d’illustrations de l’ouvrage.

En parallèle, et en résonance, l’institution allemande a entamé en 2015 un cycle d’expositions consacrées à l’illustration satirique franco-allemande. Après Tomi Ungerer, se sont succédé en alternance des artistes venant de part et d’autre du Rhin : Franziska Becker, Claire Bretécher, F’Murrr, Peter Gaymann, Frank Hoppmann, Thomas Nast. C’est une sélection de 70 œuvres originales de Borislav Sajtinac, actif entre autres dans le registre du dessin de presse, qui est cette fois proposée au public. Elle se donne pour objectif de retracer les grandes lignes du parcours « sans frontière » d’un dessinateur qui s’est longtemps partagé entre les deux pays. Né en 1943 en Serbie, il est considéré comme l’un des derniers représentants du dessin d’humour en Europe, et a obtenu en 1987 le Grand Prix du dessin d’humour du Wilhelm Busch Deutsches Museum für Karikatur & Zeichenkunst à Hanovre et le Grand prix de l’humour noir 2004 en France grâce à son livre Peinture fraîche paru aux éditions Glénat en 2003. Ses œuvres graphiques sont aujourd’hui conservées dans plusieurs collections publiques, entre autres au Musée Tomi Ungerer-Centre international de l’Illustration à Strasbourg et au Musée national de l’histoire de l’immigration à Paris, et au Wilhelm Busch Deutsches Museum für Karikatur & Zeichenkunst à Hanovre. Un autre aspect non négligeable de son œuvre, le film d’animation, a de son côté été couronné par de nombreux prix internationaux.

L’exposition montre les différentes étapes de l’œuvre de Sajtinac pour la presse. Le dessinateur trouve son style, empreint d’absurde, de fantastique, de macabre et de grotesque, dès le début de sa carrière et c’est déjà sur un ton corrosif qu’il cible la place de l’homme opprimé par la société. En 1965, paraît en Yougoslavie son premier livre, Kaziprst (L’Index). Au même moment, le jeune artiste est remarqué à Paris par Cavanna, le co-fondateur du journal satirique Hara-Kiri auquel collaborent à l’époque Topor, Reiser, Cabu, Wolinski, entre autres. Le travail de Sajtinac convient parfaitement au ton subversif de la revue, et celle-ci va le publier par intermittence jusqu’en 1969. Avec ces œuvres graphiques de la première heure, marquées presque exclusivement par l’usage du noir et blanc et du trait à la plume, il appartient d’emblée à la famille des dessinateurs satiriques. Lassé par la politique socialiste de son pays, il s’installe à partir de 1972 en Allemagne, à Essen. Ses dessins paraissent alors dans la presse du pays, Die Süddeutsche Zeitung, Frankfurter Allgemeine Zeitung, Zeit Magazin, Stern, Öko-test, Lui, Transatlantik, Playboy. Dans certains journaux, ses dessins sont même publiés chaque semaine, sous la forme d’une chronique illustrée. Son style s’adapte, et il introduit la couleur dans ses illustrations. Si son iconographie est dans la plupart des cas liée à l’actualité politique, certains thèmes en revanche y sont récurrents, notamment ceux qui sont liés au communisme et au bloc de l’Est, dont il fut le témoin direct, ainsi qu’à la chute du mur et à ses multiples conséquences. Parmi les autres sujets qui lui tiennent à cœur et pour lesquels il s’engage figurent également l’environnement, la guerre, l’atome, l’immigration, et la construction de l’Europe, qui reste pour lui une grande déception. La lune de miel avec la presse allemande s’arrête brutalement avec la guerre de Bosnie. Sajtinac, qui s’est installé à Paris en 1989, renoue alors avec la presse française. Le Canard Enchaîné, Le Point, Le Monde, L’Evénement du Jeudi, ont publié ses dessins qui se focalisent cette fois sur la politique française et internationale. Les sujets portent entre autres sur l’extrême-droite, dont il fustige les positions contre l’immigration, sur le comportement des politiques, dont il dénonce l’hypocrisie, sur l’égalité des chances, qu’il juge irréaliste. Depuis une vingtaine d’années, modernité oblige, Sajtinac publie ses dessins d’humour et de satire, qui jadis paraissaient dans la presse ou qui étaient publiés dans des recueils, via Instagram. Ils continuent d’illustrer ses propos : « J’ai besoin d’opposition pour attaquer. Le mécontentement fait bouger les choses. ».

Simplicissimus Haus, Hauptstrasse 59, Renchen
Deux liens pour ceux qui ont envie d’en savoir plus sur l’œuvre de Sajtinac.
Le site de l’artiste
Le site du musée Tomi Ungerer

Musée Gérard Gachet

Foto: Musée Gachet

Foto: Musée Gachet

Ouvert depuis peu au public à Bassemberg dans le Val de Villé, le musée Gérard Gachet présente l’œuvre graphique d’un artiste hors normes. C’est grâce à son fils Christian et à sa famille que le dessinateur (Maroc, Fez, 1935- Strasbourg, 1985), qui a vécu et créé en Alsace, est présenté pour la première fois de manière permanente. Il reste peu connu du public, car, même si quelques rares œuvres sont conservées au MMACS et au Musée Tomi Ungerer/Centre international de l’Illustration à Strasbourg, il n’a eu les honneurs jusqu’à présent ni d’une exposition dans un musée ni d’un catalogue raisonné. Les dessins originaux, lithographies, gravures et ouvrages qui sont exposés dans deux salles, au rez-de-chaussée de l’ancienne mairie de la commune, donnent un aperçu de sa production graphique, et l’envie d’en découvrir davantage.

Après des études à l’Atelier des Beaux-Arts de Paris et l’Ecole des Arts décoratifs de Strasbourg, puis au Centre dramatique de l’Est dans la section scénographie-costumes, et après avoir entre autres métiers enseigné le dessin, il se fixa définitivement en 1965 dans la capitale alsacienne pour y exercer son art et y redevenir professeur en 1980. Il collabora à un certain nombre de revues comme Plexus, Planète, Penthouse, Anthologie du fantastique. Chefs-d’œuvre de l’érotisme, et illustra des livres, comme en 1971 Le Bahut Noir de Claude Seignolle, en 1974 Isabelle d’Egypte d’Achim von Arnim, ou encore en 1979 Carmilla de Joseph Shéridan Le Fanu.

Ce qui frappe au premier regard, c’est la technicité éblouissante de son œuvre, qu’elle résulte de l’emploi non seulement du crayon, du fusain, de la plume, de la lithographie ou de la gravure, mais également d’outils nouveaux pour l’époque comme l’aérographe, ou rarement utilisés comme le stylo bille. L’univers de Gachet est peu colorisé, car l’artiste préférait travailler dans une gamme de monochromes, rarement de bichromes. Il ne pratiquait d’ailleurs qu’occasionnellement la peinture, se réclamant avant tout du dessin. Ses créations graphiques sont complexes, très fouillées, d’un style qui reste inclassable même si d’emblée il évoque le réalisme fantastique. L’artiste admirait effectivement ce mouvement aux multiples expressions picturales, et plus particulièrement l’œuvre d’Ernst Fuchs, l’un des fondateurs de L’Ecole de Vienne. Il se disait aussi sensible au romantisme allemand, qui avait nourri l’expressionnisme. En revanche, même si ses dessins font penser au surréalisme, leur auteur avait pris ses distances avec ce courant encore vivace à l’époque, préférant par exemple chez Max Ernst et Leonor Fini leurs productions non-surréalisantes.

Dans le registre du fantastique, certaines images de Gachet évoquent incontestablement celles de H. R. Giger, dessinateur de la créature et du vaisseau interplanétaire du film « Alien, le huitième passager » en 1979. Comptant parmi la dizaine d’artistes en France qui, comme Pierre Clayette, étaient publiés dans des revues spécialisées dans ce domaine, il se démarque cependant de leur démarche. Pour lui, en effet, « Le fantastique met en scène un certain nombre de tabous. ». L’un d’entre eux est l’érotisme, qui est devenu une constante dans son œuvre au point que celle-ci y est trop souvent réduite, à tort. Gachet s’était toujours défendu d’appartenir à la catégorie des dessinateurs érotiques tel son contemporain Bertrand (Raymond Bertrand, dit), préférant mettre en avant le côté onirique voire cauchemardesque de ses images. En effet, à Eros il associe souvent Thanatos, en soulignant que la présence de la mort l’angoisse, et que selon sa propre expression, le dessin représente pour lui « un catalyseur pour s’en débarrasser ». Squelettes et crânes se confondent aux corps vivants pour créer une danse macabre. Mais avant tout, l’artiste s’intéresse, tel un moderne Arcimboldo, à l’imbrication des formes, qu’elles appartiennent au règne de l’humain, de l’animal ou du végétal. Dans ce but il fait montre d’une précision d’entomologiste, témoignant d’un sens aigu de l’observation, n’hésitant pas dans certains cas à travailler d’après des photographies. A ces différents éléments figuratifs qu’il entremêle de manière parfois inextricable, il lui arrive de juxtaposer des formes abstraites, sans connexion avec le réel. Devant nos yeux, la confusion de ces différents univers révèle ce qui constitue la thématique essentielle de l’œuvre de Gachet : la métamorphose. Elle est mise en scène de manière théâtrale, dans un décor complexe et foisonnant. Cet effet est encore renforcé par la composition rigoureuse du dessin, structuré d’après des normes définies à la Renaissance et d’après le nombre d’or, auxquelles l’artiste s’astreignait, selon ses dires, pour chacune de ses réalisations.

Musée Gérard Gachet, 40 rue Principale à Bassemberg
Ouvert sur rendez-vous, contact par mail chgachet@orange.fr
Pour ceux qui ont envie d’en savoir plus sur l’œuvre de Gérard Gachet

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste