De PiS en PiS

L’ambiance en Pologne

Varsovie... Foto: ANBI/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 4.0Int

(Gaspard Vicario) – L’attribution à Olga Tokarczuk du Prix Nobel de littérature 2018 aurait pu passer comme une habile distinction de la Pologne elle-même à quelques jours d’un scrutin national majeur pour l’histoire de cet État autant que pour celle de l’Union européenne. Pour l’Académie suédoise qui ne dédaigne visiblement pas les expressions politiques quoique sibyllines, cela n’aura pas davantage valu qu’un coup dans l’eau.

La reconnaissance de la Pologne parmi les grandes nations de la création littéraire n’aura pas suffi à endiguer l’appétence de l’électorat pour le parti Droit et Justice (PiS, Prawo i Sprawedliwość), lequel a trouvé hier dans les urnes un regain d’énergie pour poursuivre son œuvre. Oeuvre destructrice vu depuis l’Europe.

Mais ce n’est bien sûr pas l’opinion qui prévaut à Varsovie, du moins pour le moment.
Car c’est bien d’un immense besoin de reconnaissance dont il faut parler pour comprendre cet élan qui favorise une Pologne réactionnaire, pays qui aura traîné comme un boulet l’absence de témoignages un tant soit peu sincères.

Dès les débuts de la phase de libéralisation post chute du mur, la Pologne a été un vaste territoire de conquête pour les nations qui en avaient les moyens. Le pays a vu proliférer sur son sol les enseignes des grands groupes industriels et commerciaux (allemands bien sûr, mais également français, citons à titre d’exemples Obi pour les uns et Auchan pour les autres) lesquels ont aussitôt introduit ou fait introduire des pratiques ultra-libérales qui ne pouvaient que nourrir de profonds ressentiments : marketing agressif encourageant une consommation débridée, « bousculement » culturel, pratiques managériales violentes, salaires très bas, etc. Bref, ce qui fut rapidement perçu comme un envahissement par la rive gauche de l’Oder et de la Neisse.

Autant les méthodes des entreprises françaises restent sans doute considérées avec un relatif mépris – il demeure dans l’inconscient collectif polonais le souvenir des multiples trahisons de la France – autant celles des compagnies allemandes et donc de l’Allemagne suscitent une aversion profonde. Ce qui se lit, c’est avant tout et pour paraphraser Günter Grass, un triomphe de l’Allemagne de Bonn. Par conséquent et à l’instar de ce qui transparaît dans l’ex-RDA, la Pologne rejette un modèle de paupérisation collective. C’est d’ailleurs sur ce succès de l’amélioration des prestations sociales, de l’augmentation du salaire minimum, des conditions de travail, de la chute du chômage que le PiS vogue au sommet de la vague politique. A tel point que les partis concurrents ne semblent avoir guère mieux à proposer.

Surnage dès lors comme argument « l’ennemi » identifié dans le discours du PiS, très clairement l’Allemagne : la réécriture polonaise de l’histoire pour la période 1940-1945 en a récemment apporté la démonstration.

Allemagne de Bonn, donc, qui aspirerait selon le PiS à renouveler économiquement le « Drang nach Osten », et confondue, à tort ou à raison, avec l’Union européenne elle-même dans un même rejet. Car l’expérience européenne vécue au cours des vingt dernières années par la Pologne est bien celle-ci : un enrichissement et un développement manifestes de grands groupes étrangers, un appauvrissement et une insécurité sociale des Polonais. Les habituels bénéfices inversement proportionnels de la libéralisation.

Depuis les capitales des États fondateurs de l’UE, il n’y a donc pas lieu de s’étonner des résultats des élections du 13 octobre 2019. A moins d’une sacrée dose de mauvaise foi. C’est bien la diffusion d’une « certaine idée » de l’Europe – une Europe de l’argent et non une Europe des peuples pour paraphraser cette fois-ci Jean Gabin – qui est cause de la victoire de l’extrême-droite en Pologne et de son maintien.

Après les élections régionales des länder de Brandebourg et de Saxe au cours desquelles le parti d’extrême-droite AfD (Alternative für Deutschland) a atteint des scores dramatiquement forts, cette victoire du PiS en Pologne qui se bâtit sur le malheur des minorités – politiques, sexuelles, étrangères – et la désagrégation de l’Union européenne en faveur du Groupe de Visegrád est un énième coup de semonce en direction de Bruxelles et des Etats fondateurs : il faudrait enfin comprendre la nécessité d’abaisser la superbe des pouvoirs économiques pour réincarner l’altérité, pour réinsuffler un sens humain à la construction européenne. S’il n’est pas déjà trop tard.

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