Déconfinement – victoire ou défaite des maires ?

Alain Howiller sur le rôle des maires, des préfet et du gouvernement central – quels en seront les rôles futurs ? Et quid des élections municipales ?

Le ou la futur locataire de la maire de Strasbourg n'est pas encore désigné.e, tout comme à Mulhouse et Colmar. Foto: Jonathan M / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – Emmanuel Macron avait ouvert la fenêtre en soulignant que le déconfinement reposerait sur deux « piliers » essentiels : les préfets et les maires, représentants de la « République du quotidien » ! Edouard Philippe a, quant à lui, largement ouvert la porte lors de sa conférence de presse sur la sortie (très) progressive du dispositif anti-crise sanitaire en soulignant : « Je remercie les maires que nous avons placés au cœur des opérations de déconfinement et les Préfets ». Si l’hommage à ces derniers, représentants des pouvoirs publics, allait de soi, le coup de chapeau aux premiers venait confirmer un grand virage : les maires étaient désormais – nécessité fait loi ! – en odeur de sainteté après des mois de conflit avec le gouvernement sur le rôle des élus locaux et les ressources des municipalités systématiquement encadrées par l’Etat. Dans cette nouvelle partition, le Président de la République avait donné le « la », en présentant le déconfinement quatre heures durant en visio-conférence à 22 maires.

Les présidents des départements n’auront droit, tout comme les Présidents des 13 régions, qu’à une visio-conférence d’une durée limitée avec le Premier Ministre : la visio-conférence avec les représentants des régions a eu lieu depuis Strasbourg où Edouard Philippe visitait le « Centre Hospitalier Universitaire – CHU ». Cet échange depuis la capitale alsacienne n’est peut-être pas tout à fait étranger à la condamnation de l’ouverture des écoles dès le 12 Mai (« c’est de la pure folie ! ») par le Président du Conseil Départemental du Bas Rhin Frédéric Bierry ! Au delà du souci de la santé des enseignants et des élèves, il y a peut-être aussi la perspective du renouvellement des conseils départementaux lors des élections du printemps prochain…

Des préoccupations électoralistes – Un souci électoral qui n’est sans doute pas tout à fait étranger aux réactions venues des régions : « Emmanuel Macron fait semblant d’associer les régions au dé-confinement mais, en fait, il les contourne soigneusement », souligne un président de région alors que Xavier Bertrand, le Président des Hauts de France, met carrément les pieds dans le plat en soulignant : « Le problème, c’est qu’il (Emmanuel Macron) n’a jamais été décentralisateur dans l’âme, et cette crise n’y a rien changé. C’est bien dommage, car la crise nous oblige à repenser la répartition des rôles entre l’Etat et les collectivités locales » (interview dans le quotidien « L’Opinion »). Les élections du printemps prochain concernent également le renouvellement des conseillers régionaux qui espèrent que, d’ici à cette échéance, le gouvernement aura eu à cœur de soumettre au parlement le projet de la nouvelle loi de « décentralisation » dite « loi des trois D » (pour Décentralisation, Différenciation et Déconcentration ».

Du côté des maires, la prise en considération de leur rôle dans le déconfinement a évidemment été salué : « En donnant les clés du déconfinement aux maires, Edouard Philippe répond à la demande que nous ne cessons de formuler depuis le début de cette crise inédite : faire du local ! », souligne Arnaud Robinet, Maire LR de Reims (Le Monde du 30.04). Et si l’ancien Ministre François Baroin, Maire LR de Troyes, Président de « l’Association des Maires de France (AMF) » n’a pas exprimé officiellement sa satisfaction, c’est sans nul doute parce que la mission confiée aux maires s’inscrit dans un contexte très particulier. Certes, tous les sondages convergent pour souligner combien leurs administrés apprécient le travail des élus municipaux : 8 Français (83%) sur dix ont une bonne opinion de leur maire (sondage IFOP) alors qu’ils ne sont que… 33% à avoir une bonne opinion des élus en général ! Une marque d’adhésion qui n’a pas retenu 35% des maires sortants, échaudés par la difficulté d’une tâche souvent ingrate et mal récompensé, de ne pas se représenter devant les électeurs lors des élections municipales du 15 Mars.

Des élus dans 30.000 communes. – Et si ces dernières ont permis la désignation  des équipes municipales dans 30.000 communes sur 35.000, le processus d’élection des maires élus lors du premier tour de la consultation électorale de Mars a été stoppé net, tout comme l’organisation d’un deuxième tour dans 4.800 communes, par la mise en place des mesures de confinement. Les conseils municipaux n’ont pas pu se réunir pour élire leur maire et le deuxième tour nécessaire dans les communes qui n’ont pas pu désigner de vainqueur sorti des urnes dès le premier tour. Le tout au moment où le pouvoir sollicite l’aide des maires pour contribuer au succès des mesures de déconfinement !

Le Premier Ministre a promis de prendre très prochainement des mesures qui permettront la réunion des conseils municipaux pour élire leur maire : ce qui permettra de mettre un terme à la coexistence souvent difficile (campagne électorale oblige !) entre nouveaux élus et élus maintenus et au maintien de maires sortants qui ne souhaitaient plus de se représenter qui doivent rester en place en attendant leur successeur ! Edouard Philippe s’est également engagé à dire, le 23 Mai au plus tard, ce qu’il adviendrait du résultat des communes qui attendent un deuxième tour faute d’élus désignés au premier tour. Organisera-t-on dans ces communes un deuxième tour ou, au contraire, faudra-t-il revoter en deux tours ? Les élections auront-elles lieu -en cas de deuxième tour- le 21 Juin, date parfois avancée ou en Septembre s’il faut recommencer l’élection ?(1)

L’Etat va-t-il céder de son pouvoir ? – Cette situation pèsera-t-elle sur le succès des opérations de déconfinement ? « Les maires ne veulent plus être les simples exécutants de décisions prises au dessus d’eux sans concertation… », souligne Jean-François Vigier, maire dans l’Essonne, conseiller régional (UDI) d’Ile de France. « Au delà de relayer le message de l’Etat, je crois que les collectivités sont aussi désireuses de se hisser à la hauteur des enjeux. Nos élus sont capables. Mais encore faut-il que l’Etat leur fasse confiance », écrit Véronique Loumagie, députée LR de l’Orne, dans la « Gazette des communes, des départements et des régions ». Elle poursuit : « Je crois sincèrement qu’il n’est plus approprié de tout décider du haut de la pyramide. Je ne suis pas une adepte de l’exercice vertical du pouvoir, c’est à dire de l’application locale d’un remède unique décidé par l’Etat seul… La décentralisation permet à l’Etat de se concentrer sur les missions essentielles, mais surtout d’associer toutes les compétences et volontés à la réussite de la Nation… »

A cet égard, le test du déconfinement sera une épreuve intéressante. Elle le serait, sans doute, davantage encore si les maires étant en place, les conditions idéales de réussite d’une nouvelle coopération entre élus locaux et services de l’Etat représenté par ses Préfets. A l’heure où ces derniers se sont vus reconnaître par le gouvernement un « droit à la dérogation », c’est à dire la possibilité d’adapter, dans certaines conditions, des règles nationales aux conditions locales, l’attelage « Maires/Préfets » va connaître l’épreuve du feu. Le droit à la dérogation est-il un autre moyen de sauver la pyramide du pouvoir telle qu’elle était debout avant la crise sanitaire ? Ou l’épreuve du Covid-19 conduira-t-elle à revoir réellement – entre autres -  les rapports entre l’Etat et l’ensemble des collectivités locales (Régions, Départements, Communes) ?

(1) Il devra, par exemple, y avoir un deuxième tour à Strasbourg, Colmar et Mulhouse.

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