Défense franco-allemande : quand AKK monte au créneau contre Macron

Alain Howiller se penche sur les relations entre le parti gouvernemental allemand, la CDU et sa présidente Annegret Kramp-Karrenbauer et la France d’Emmanuel Macron. Pas évident…

La Brigade franco-allemande, un premier pas vers une politique de défense commune ? Foto: © Marie Lan Nguyen / Wikimedia Commons / CC-BY 2.5.jpg

(Alain Howiller) – Dominée par la crise de la Covid-19, l’actualité conduit à relativiser tout ce qui ne concerne pas la pandémie et ses conséquences sanitaires, sociales, économiques, sociétales, économiques, technologiques… Pourtant au-delà de la crise, il y a des évènements qui « impriment » : on aurait tort de vouloir ignorer les risques de conflits, les conflits eux-mêmes qui prospèrent – si on peut dire ! – à travers le monde jusqu’à nos portes. C’est dans ce contexte de risques retrouvés qu’Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK), ministre allemande de la défense et encore présidente de la CDU, a engagé avec le président Emmanuel Macron une vive polémique sur une « autonomie stratégique de l’Europe » et plus généralement, sur les rapports franco-allemands en matière de politique de défense.

Le débat -la querelle devrait-on dire- revêt un intérêt particulier au moment où Jean-Yves Le Drian, ministre français des affaires étrangères et son collègue (SPD) allemand Heiko Maas (SPD) ont signé une tribune commune (dans Le Monde) dans laquelle ils dressent un bilan élogieux des rapports entre européens : un bilan « pour renforcer notre propre sécurité ». Et la tribune de conclure : « De fait, nous avons, au cours des dernières années, fait des pas importants dans la construction de notre souveraineté européenne ! » Alors, les deux Ministres des Affaires étrangères défendent la thèse de la « souveraineté européenne » en matière de défense, approche contestée par AKK avec laquelle il est en profond désaccord. Emmanuel Macron conclut ainsi ce qu’il appelle un « contresens de l’Histoire » : « Heureusement que la chancelière n’est pas sur cette ligne, si j’ai bien compris ! » Voire !…

La défense européenne : une illusion ? – En fait, tout avait commencé par deux interviews d’Emmanuel Macron parues récemment dans lesquelles il défendait sa conviction sur la nécessité d’une « stratégie européenne de défense » dont il avait précisé les contours dans plusieurs discours, en particulier dans cette interview parue dès Novembre 2019 dans l’hebdomadaire « The Economist » où il disait : « L’Europe doit se doter plus que jamais d’une autonomie stratégique et capacitaire sur le plan militaire… ». Et d’ajouter qu’on « ne pouvait plus remettre la sécurité (de l’Union Européenne) aux seuls Etats Unis. »

Revenu sur ce thème le mois dernier, Emmanuel Macron s’attirait les foudres de la ministre allemande de la défense qui soulignait, le 2 Novembre sur le site « Politico » : « L’idée d’une autonomie stratégique de l’Europe va trop loin. Si elle nourrit l’illusion que la sécurité, la stabilité et la prospérité de l’Europe pourraient être garanties sans l’OTAN et les Etats Unis… Les européens ne pourront pas remplacer le rôle crucial de l’Amérique en tant que fournisseur de sécurité. Les illusions d’autonomie stratégique européenne doivent cesser !… »

AKK dit-elle ce que Merkel pense tout bas ? – Difficile d’imaginer que ces propos n’ont pas été soumis à Angela Merkel qui y a peut-être vue un ultime signal d’ouverture envoyé au… futur président américain ! La Ministre a-t-elle dit tout haut ce que sa chancelière pense tout haut et ce à un moment où on prête à cette dernière, actuelle présidente du Conseil de l’Union Européenne (UE), une certaine lassitude voire une irritation devant les propos du Président français sur le Premier turc Recep Tayyip Erdogan, sur l’islamisme, sur le manque de respect des valeurs européennes de la Pologne et de la Hongrie, sur la solidarité européenne, le Brexit ou l’espace Schengen. La présidente de l’UE doit assumer l’impact des initiatives françaises au moins jusqu’au 31 Décembre avant de céder sa responsabilité à Emmanuel Macron qui présidera l’UE pour 6 mois, à partir du 1er Janvier !

Voilà donc AKK, dont la gestion de son ministère est plus que contestée (comme l’a été la gestion de Ursula von der Leyen, la précédente ministre de la défense !) et qui ne s’est guère illustrée dans l’exercice de la fonction de Présidente de la CDU dont elle a démissionné, promue porte-parole de ceux qui ne se retrouvent pas, outre-Rhin, à la CDU, en particulier dans les orientations du Président français.

Macron écrit aux citoyens de l’Europe. – Déjà elle avait joué ce rôle, en Mars 2019, lorsque, présidente de la CDU, elle était montée au créneau pour répondre à Emmanuel Macron qui venait de publier dans plusieurs journaux une « Lettre aux citoyens d’Europe » où il plaidait pour « une renaissance de l’Europe » contre le piège des nationalismes. Sa réponse, parue sur le site de la CDU, était révélatrice de ses réticences : elle s’intitulait « Faisons l’Europe comme il faut ! » En réfutant les thèses défendues par Emmanuel Macron, AKK décoche la flèche du parthe en soulignant : « Jamais l’idée européenne n’a connu de tels niveaux d’approbation ! »

Visiblement, Angela Merkel, désirant conforter la stature internationale de celle qu’elle espérait encore voir lui succéder comme chancelière, avait laissé AKK répondre au président français. Ce sera pourtant Merkel elle-même qui répondra à Macron lorsqu’il évoquera la « mort cérébrale de l’OTAN ». Elle déclarera à ce propos : « je ne pense pas qu’un tel jugement intempestif soit nécessaire. (Ces) termes radicaux ne correspondent pas à mon point de vue au sujet de la coopération au sein de de l’OTAN. »

Trois programmes franco-allemands. – Dans ce climat de tension qui veut être « soft », une coopération militaire s’installe entre les deux pays dans le prolongement du « Fonds Européen de la Défense » (FEDEF) créé à l’instigation de la Commission Européenne pour financer les projets industriels communs à plusieurs pays, dans le domaine de la défense (production et recherche). Le budget initial de ce fonds (13 milliards d’euros) a malheureusement été ramené à… 7 milliards.

Les deux pays pilotent, en hoquetant, trois programmes actuellement : la conception et la production d’un avion, d’un char de combat et la rénovation des moyens de patrouille maritime. Le projet de porte-avions pourrait être lancé prochainement dans le cadre du plan de relance, mais ce sera, en l’état, la concrétisation d’un projet national parce que le secteur de la défense représente 13% de l’emploi industriel en France !

Sous le parapluie nucléaire américain. – Il est clair qu’une bonne part de la politique européenne en matière de défense, dépendra de la solution d’un vieux débat que, déjà, le Général de Gaulle avait symbolisé : quel sera le rôle de l’OTAN et de son « parapluie américain ». Au contraire de Donald Trump, Joe Biden acceptera-t-il une autonomie européenne y compris en matière de conception et de production d’armements ou poursuivra-t-il une politique visant à imposer une hégémonie américaine ? Les choix de l’Allemagne sont largement tributaires de ses relations avec les Etats-Unis. Lorsque l’Allemagne a choisi, récemment, d’acheter « européen » en acquérant des « Eurofighter » fabriqués par un consortium piloté par Airbus, elle a, en même temps, commandé aux Etats-Unis des avions-bombardiers « F/A-18 Super Hornet-35 » qui sont conçus pour transporter des bombes nucléaires tactiques US. Révélateur…

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