Den Danske Bank : le piège russe

Hamlet a-t-il raison ? Le Danemark manque-t-il de fraîcheur ?

Le tram - et le bâtiment de la filiale estonienne de la Danske Bank à Tallinn. Foto: Pjotr Mahhonin / Wikipédia Commons / CC-BY-SA 4.0Int

(MC) – Sans doute Thomas Borgen, le directeur de la Danske Bank, espérait-il se cacher dans un trou de souris et échapper à l’évidence et à la chute de sa banque… Le banquier norvégien a démissionné le 19 septembre dernier. Mais on sait depuis l’automne 2017, voici déjà un an, que les premières informations inquiétantes lui étaient parvenues dès octobre 2013 – donc un mois après sa nomination. Des informations concernant des flots torrentiels de roubles et de dollars qui parvenaient à la plus grande banque danoise, qu’il dirigeait, et qui provenaient de sa filiale estonienne… Des comptes que des clients principalement ukrainiens et azerbaidjanais approvisionnaient et submergeaient.

Durant 5 années, donc, le directeur a laissé passer le mistigri de main à main – en détournant le regard ? Sale temps pour la solide réputation du système bancaire danois, qui passe pour être l’un des moins corrompus au monde : en 2016, Transparency International l’a classé au tout premier rang mondial dans son Index. Mais les banques danoises ont été critiquées vertement par l‘Autorité danoise de surveillance financière pour n’avoir pas observé les régulations  d’évitement du blanchiment d’argent. Que s’est il passé, au juste ?

Un fait embarrassant et gros comme Helsingør : avant d’être nommé directeur, Thomas Borgen était chargé, entre 2009 et 2012, des opérations internationales de la Danske Bank, ce qui comprenait les opérations bancaires estoniennnes… Du 27 décembre 2013 au mois d’avril 2014, un lanceur d’alerte estonien a livré des informations précises sur des phénomènes étranges ; mais aucune velléité d’enquête ne s’est alors manifestée. La banque n’a fermé sa filiale estonienne qu’en 2015.

L’affaire éclate en mars 2018. La filiale estonienne de la Danske Bank apparaît clairement comme une pièce maîtresse du blanchiment d’argent russe : le vénérable journal danois Berlingske Tidende, en partenariat avec l’OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project, http://www.occrp.org), a révélé que 20 milliards de dollars au moins avaient été transférés hors de Russie grâce à des tribunaux et des banques corrompus vers la Moldavie et la Lettonie.Une fois là, l’argent pourri pouvait s’écouler dans le monde entier sans problème. Entre 2011 et 2014, plus d’un milliard de dollars de cet argent sale a été transféré vers la DB par plus de 1500 transferts.

Thomas Borgen, mis devant le fait accompli, a présenté ses excuses et prétendu que cette situation vénéneuse n’avait été découverte qu’en 2014. Mais un courriel interne obtenu par le Berlingske Tidende indique que les problèmes liés à la branche estonienne étaient connus dès le printemps 2013. Ce courriel avait été envoyé par un manager au département de surveillance du blanchiment au management de cette branche de Tallinn et à la direction estonienne.

Le courriel expose clairement qu’au Danemark comme en Estonie, la direction était au courant des activités de « clients russes » de la branche estonienne. Il fait état aussi de ce que l’Autorité de surveillance financière de Tallinn aurait informé la DB du problème et aurait été surprise que ses informations n’avaient pas été traitées « très sérieusement ».

Qui donc aurait blanchi une telle somme ? Réponse : des proches de la famille de Poutine, des membres éminents des services russes (FSB), des clients ukrainiens, et… des Azerbaidjanais. Le régime dictatorial d’Azerbaidjan – un pays de riche production pétrolifère, avec le grand port de Bakou – a été porté aux nues ces 10 dernières années, comme c’est bizarre, par un politicien allemand, un député allemand au Conseil de l’Europe, un chef de parti politique italien, et puis … cette azerilâtrie pétrolimorphe n’est nullement étrangère à certaines grandes villes françaises.

Au moins, on sait où va l’argent…

Pour ce qui est de l’entrée en Europe dudit argent : en 2008, 37 millions d’euros sont entrés dans les banques estoniennes ; en 2013, la somme a grimpé à 213 millions, et en 2013, à 1 milliard d’euros…

Autre phénomène troublant mis en lumière par diverses sources, dont certaines en provenance de New York : des millions de couronnes danoises provenant de « l’Affaire Sergei Magnitsky » se sont introduits dans la branche estonienne en 2008.

Rappelons l’essentiel de cette Affaire. Sergei Magnitsky, un avocat d’origine russe, avait découvert et exposé publiquement des fraudes massives : en effet, certaines personnalités très haut placées avaient manipulé et falsifié des documents de l’entreprise qui employait Magnitsky, Heritage Capital, pour bénéficier d’un surplus énorme de soi-disant taxes, en réalité indues. Mais c’est Sergei Magnitsky lui-même que les autorités poutiniennes ont arrêté sous l’accusation de malversation.

L’avocat a ensuite été, peu de temps plus tard, battu à mort dans sa prison. En Russie, il est devenu l’un des symboles du combat pour une justice transparente.

Or, en septembre 2013, l’employeur de Magnitsky, Bill Brownder, président de la Hermitage C., avait averti les autorités danoises que l’argent récolté frauduleusement  lors de cette opération criminelle circulait par et dans la Danske Bank, et dans une moindre mesure, par la Nordea, une autre banque danoise. Brownder a donc pressé le gouvernement danois à mener des investigations à ce sujet .

Mais sa requête a été rejetée plusieurs fois par l’Unité de Renseignement Financière de la police danoise, pour des motifs de délai légal.

Le Danemark est-il donc en train de pourrir par la tête, comme un vieux hareng ?

 

 

 

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste