« Dépasser les peurs et les stéréotypes… »

L’écrivaine Catherine Guibourg-Caillouët et son mari Michel Caillouët ont participé aux soutiens bénévoles pour les réfugiés à la Grande Synthe. Interview.

Catherine Guibourg-Caillouët (à droite) a participé à l'aide bénévole pour les réfugiés à la Grande Synthe. Foto: Michel Caillouët

(KL) – Les discours sont importants, l’action est encore plus importante. Ainsi, l’écrivaine Catherine Guibourg-Caillouët (« Hier ne finira jamais, résister hier et aujourd’hui », Editions l’harmattan) et son mari Michel Caillouët, ancien ambassadeur de la Commission Européenne, se sont rendus au camp de réfugiés de la Grande Synthe pour – aider. Interview.

Vous étiez à la Grande Synthe pour aider, comme bénévoles, dans les travaux du camp des réfugiés. Est-ce que vous êtes allés sur place dans le cadre d’un programme spécifique ? Lequel ?

Catherine Guibourg-Caillouët : Nous avons été sensibilisés à la nécessité de nous rendre sur place en entendant sur France Inter le message de Damien Carème, le maire EELV de Grande Synthe, près de Dunkerque. Il parlait de son initiative de créer un campement « modèle », et faisait un appel aux bénévoles, notamment français, pour soutenir son action. Nous avons alors pris contact avec Utopia 56, une association bretonne qui a essayé de mettre au point un lieu plus humain que la « jungle » de Calais. Le rôle des associations sur place, en particulier celle de Calaisiens, telles que Salam, le secours catholique ou l’Auberge des migrants est essentiel, puisque d’eux dépend l’essentiel de l’aide aux réfugiés. Ce qui est intéressant avec Grande Synthe (situé près de Dunkerque) c’est que des politiques (notamment EELV) ont pris conscience que l’aide publique ne pouvait pas se limiter à la sécurité, mais que l’humanité était nécessaire. Espérons que cette expérience puisse s’étendre à Calais !

En quoi consistait votre aide concrète sur place ?

CGC : Nous avons travaillé avec différentes associations pour mieux comprendre leurs modes de fonctionnement. Il est clair d’ailleurs qu’une meilleure coordination serait nécessaire, chacun possède un savoir-faire et il peut y avoir une bonne complémentarité. Le défi est tellement vaste, et la misère humaine tellement palpable que c’est une priorité.

L’appui consistait en la préparation et distribution de nourriture, de vêtements, de couvertures. Il y a également une aide juridique, un soutien scolaire dans les écoles provisoires qui ont pu être ouvertes (enfants et adultes). Des Européens assurent un bénévolat admirable à l’école laïque du chemin des dunes, au centre Jules Ferry ou dans le centre récréatif de Grande Synthe, pour permettre aux enfants une certaine scolarisation, ou aux adultes l’enseignement du français ou de l’anglais. Il est très émouvant de voir des Soudanais ou des Kurdes dépenser leur énergie à apprendre notre langue. Nous sommes alors bien loin du message de peur véhiculé par les médias, qui se limite à parler des conflits, inévitables entre communautés, dés lors que le gouvernement ne cesse de réduire le territoire qui est alloué aux exilés.

Quelle est votre impression de ce qui s’y passe ?

CGC : La première impression est que l’accueil vient de citoyens bénévoles. La réponse de l’état est trop axée sur la sécurité. Bien sûr qu’il faut de la sécurité, mais l’aide de l’état devrait être plurielle.

On peut comparer Calais à ce qui se passe ailleurs dans le monde : chaque année au niveau mondial, il y a plus de 50 millions de déplacés. Les conditions d’accueil en France ne respectent pas les normes internationales : manque d’hygiène, manque d’eau potable, manque de douches, insalubrité – le camp de Calais se situe sur une zone Seveso 2. C’est indigne de la part d’un pays qui reste encore la 5ème puissance économique mondiale. Il est vrai que le camp de Grande Synthe, avec des structures en bois, a amélioré la situation. Mais dans le Calaisis, c’est trop souvent le message de la peur qui domine. On craint que trop d’accueil ne fasse un « appel d’air », alors on ne parle que de démanteler, défaire, détruire, déconstruire, au lieu de pacifier ou de stabiliser !

Mais ce qui est réconfortant, c’est de voir la dignité et l’énergie d’êtres humains, qui ont fui les zones de conflit, ont voyagé dans des conditions très difficiles, ont parfois perdu en mer famille ou amis. Le désir de s’en sortir est palpable, les autorités devraient encourager, accompagner, stabiliser si possible, plutôt que de menacer systématiquement.

Un autre réconfort, c’est l’enthousiasme des bénévoles. Une Europe de la jeunesse (française, britannique, belge, allemande, italienne….) est sur place, motivée ! Elle ne compte pas son temps, pour venir en aide aux réfugiés C’est encourageant pour l’avenir.

Que faudra-t-il améliorer pour assurer un accueil digne aux réfugiés qui se trouvent en France ?

CGC : Une certaine sécurité d’abord, au niveau des conditions de vie, vivre de manière infrahumaine peut conduire à des révoltes et à un profond ressentiment vis à vis de notre pays ! Ces personnes déplacées ont le téléphone portable, c’est vital pour eux, ils communiquent, quelle image donnons-nous de notre pays?

Il semble évident que tout est fait pour ne pas accueillir selon les standards internationaux, alors que la plupart des déplacés sont des réfugiés de guerre, et qu’il existe des règles internationales, que l’on bafoue sciemment.

On crée ainsi de manière provisoire des campements de fortune, (Sangatte hier, Calais aujourd’hui) que l’on détruit ensuite pour mieux reconstruire ensuite, un gâchis (dé) organisé !

La création plus pérenne de petites structures d’accueils, avec le minimum vital, encadré par des bénévoles qui ont le savoir-faire, pourrait être un point de départ d’une solution.

Paradoxalement le manque de l’Etat pour accueillir dignement les réfugiés pourrait à terme augmenter les risques d’insécurité, puisqu’au lieu de réunir les migrants dans un seul lieu, ces derniers choisissent des zones qui échappent au contrôle de l’Etat !

Et que devrait faire l’Europe pour résoudre la question des réfugiés arrivant en Europe ?

CGC : L’Europe n’a pas anticipé le phénomène, qu’il faut toutefois relativiser dans sa dimension. Le gouvernement socialiste français a d’ailleurs une responsabilité particulière. Face à l’émergence de gouvernements souverainistes et xénophobes en Europe, on pouvait attendre plus de courage, d’humanisme, et de respect des droits de l’homme de la part d’un pays tel que la France qui n’a pas su se montrer visionnaire, promouvoir les valeurs européennes, et prendre les bonnes décisions de soutien à Madame Merkel, au moment opportun. On parle d’un flux au niveau européen de 2 à 3 millions, et nous sommes dans l’UE 508 millions de personnes, on parle de 0,5 % de personnes, en grand dénuement, que l’on ne pourrait absorber ou accueillir ?

L’Union Européenne a un savoir faire au niveau international en coopération au développement, il n’est utilisé que de manière marginale en France. Il semble qu’en Allemagne, l’expérience soit plus positive. Par exemple 6000 Syriens accueillis à Stuttgart, seraient déjà en voie d’intégration en Allemagne. Sur les 6000 migrants à Calais, 1500 environ ont été accueillis dans des Centres d’Accueil et d’Orientation répartis sur toute la France. Encore une fois, sans l’aide de bénévoles et d’associations, ces réfugiés ne rencontreraient pas le soutien qu’ils reçoivent.

Les inflexions au droit d’asile apporté par l’Europe, l’accord Turquie-UE sont indignes. Le concept de « pays sûr » permet des déviations et des renvois de masse, mais aussi des dangers évidents. Il est clair aussi que cet accord sera inapplicable en l’état. D’autres solutions doivent être trouvées !

Il est urgent de réformer les accords dit de Dublin, par lequel un réfugié ne peut présenter un dossier d’asile que dans le premier pays d’accueil (la charge revient alors essentiellement à l’Italie et la Grèce..), il faut mettre en commun au niveau européen les solutions permettant un accueil humain, digne de nos vraies valeurs européennes.

Le fonds du problème est que la politique d’immigration reste du domaine des Etats européens. C’est d’une politique européenne dont nous avons besoin, avec gestion commune de nos frontières externes, et les moyens financiers et humains qui doivent suivre… L’organisation de la solidarité au niveau européen en quelque sorte, qui devrait rester un des principes essentiels de l’Union Européenne.

Comment est-ce que d’autres personnes souhaitant agir de manière solidaire, peuvent s’impliquer ?

CGC : Il est primordial en tant que citoyen de participer à l’aide apportée aux migrants. C’est grâce à cette mobilisation que les migrants survivent. Cette expérience concrète de bénévolat permet une prise de connaissance réelle de la situation sur le terrain, indispensable pour prendre de la distance par rapport au phénomène médiatique qu’est devenu le Calaisis ! C’est en effet devenu un enjeu médiatique, pour les gouvernements de droite et de gauche, et il est regrettable que le gouvernement français, pourtant socialiste, n’ait pas été capable, à côté des enjeux sécuritaires, d’avoir une parole humaniste, à l’égard d’hommes, de femmes et d’enfants exilés qui pour beaucoup n’avaient entendu parler de la France que comme le pays des droits de l’Homme !

Un mouvement citoyen européen serait très important comme prise de conscience par rapport aux migrants. Il est bon que des bénévoles, des associations travaillant à Calais se rendent en Allemagne, en Italie ou en Grèce, pour une meilleure connaissance de la situation et pour développer les liens de solidarité dans toute l’Europe. Dans tout phénomène humain, la rencontre est essentielle. Aller à la rencontre des migrants permet de dépasser les peurs et les stéréotypes…

Photos : Michel Caillouët

Grande Synthe 4 MC OK

Grande Synthe 1 MC OK

Grande Synthe 2 MC OK

Grande Synthe 5 MC OK

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