Des blogueurs allemands poursuivis pour «haute trahison»

Les journalistes du site «netzpolitik.org» sont dans le collimateur du procureur général fédéral pour avoir publié des documents internes du service secret détaillant les plans de surveiller davantage Internet.

Les journalistes divulguant la "haute trahison" commise par les services secrets, sont à leur tour inculpés de "haute trahison"... Foto: https://netzpolitik.org

(KL) – Il faut remonter à l’an 1962 pour trouver le dernier cas où des journalistes allemands avaient été poursuivis pour «haute trahison». A l’époque, la cible de l’état était le fondateur du magazine DER SPIEGEL et l’histoire s’était terminée par la démission du ministre de l’intérieur de l’époque, Franz-Joseph Strauß. Aujourd’hui, nous voilà face à une nouvelle attaque sur la liberté de la presse. Suite à une plainte déposée par le chef des services secrets (Verfassungsschutz)), Hans-Georg Maaßen, le procureur général fédéral Harald Range a ouvert une enquête contre les deux blogueurs Markus Beckedahl et Andre Meister et – contre X. Car les deux avaient publié sur leur site «netzpolitik.org» des documents classés et internes au service secret qui détaillent les plans de surveiller davantage les utilisateurs privés d’Internet. Si l’état est furieux quant à la publication de ses documents, les services secrets cherchent maintenant la «taupe» ayant transmis ces documents à «netzpolitik.org».

«Haute trahison», c’est un chef d’accusation qui peut valoir jusqu’à 5 ans de prison. Juridiquement parlant, cette enquête ne pourra pas aboutir, car la loi stipule que la «haute trahison» doit poursuivre le but de «nuire à l‘état en divulguant des secrets» – mais les deux blogueurs-journalistes n’ont jamais cherché à nuire à l’état, mais à informer le public quant aux nouvelles actions de surveillance générale. On inverse donc les rôles – l’état nuit aux libertés de ses citoyens, en toute impunité, espionne ses citoyens en partageant les informations ainsi recueillies avec les services secrets américains, et poursuit ceux qui en informent le public. C’est le monde à l’envers, surtout en considérant que le même procureur général fédéral Herald Range avait clos l’enquête contre la NSA et le BND, pour «faute de preuves matérielles», suite aux publication d’autres documents par Edward Snowden. Et puisque Monsieur Range ne pouvait pas interroger Edward Snowden (après que l’Allemagne avait refusé de lui garantir un sauf-conduit), il estimait qu’il ne devait pas poursuivre cette enquête. Au lieu de cela, il préfère s’attaquer maintenant aux journalistes ayant le courage de publier des documents qui prouvent que les services secrets, malgré les scandales récents, continuent à étendre leur surveillance générale des citoyens allemands.

Même si la procédure n’a pas vraiment de chances d’aboutir, l’intimidation des journalistes bat de son plein, aussi en Allemagne. Quelle hypocrisie – lorsque des blogeurs dans d’autres pays sont mis en prison, poursuivis et menacés, nos gouvernements se montrent indignés, demandent leur libération, jouent les défenseurs de la liberté de la presse. Mais dès que leurs propres intérêts sont en jeu, ils agissent comme le gouvernement saoudien – ils déploient la justice contre les journalistes.

Le «X» dans la procédure, c’est la source à l’intérieur des services secrets ayant transmis les documents ainsi publiés à «netzpolitik.org». Car l’exemple que l’état veut statuer, s’oriente sur deux cibles – ceux qui coopèrent avec des médias critiques et les médias critiques eux-mêmes. Comme en Arabie Saoudite.

Toutefois, on constate que la chancelière Angela Merkel avait bien raison lorsqu’elle avait déclaré que pour son gouvernement, Internet constituait un «terrain inconnu» (Neuland). Car les réactions sur cette tentative de clouer le bec à un média critique, sont virulentes. Hormis la CDU dont les ténors soutiennent cette procédure et attaque sur la liberté de la presse, l’ensemble des autres partis a formulé des protestations vives contre cette procédure, et une vague de solidarité traverse le pays. Les messages de solidarité affluent, tout comme les dons pour permettre à «netzpolitik.org» de payer les avocats pour la défense. Plusieurs politiques de l’opposition ont demandé la démission du procureur Range, considérant que celui-ci se laisse instrumentaliser par les services secrets, ceux qu’il n’avait pas le courage de poursuivre.

Harald Range, visiblement surpris par la véhémence des réactions, a déclaré au quotidien FAZ qu’il allait «suspendre les poursuites», le temps de disposer d’une expertise juridique qui doit déterminer si effectivement, le fait de publier de tels documents constituent une «haute trahison» dans le sens de la loi. A se demander ce que font ses services toute la journée – ouvrir une enquête non-fondée constitue également un délit selon le code pénal allemand et on est en droit de se poser la question si cette affaire ne se terminera pas comme celle de 1962 – par la démission du ministre compétent.

L’ouverture d’une telle procédure par le plus haut procureur allemand, sans même avoir vérifié si le chef d’accusation constitue un délit ou pas, montre une nouvelle fois une proximité malsaine entre la politique (et les services secrets qui dépendent de la chancellerie d’état) et la justice. La démocratie est en péril – et elle le restera aussi longtemps que nous continuons à pratiquer des «votes utiles» pour ceux qui abusent de leur pouvoir pour détruire, l’une après l’autre, toutes les valeurs de la démocratie. Il faut, coûte que coûte, s’opposer à ces tentatives d’abolir la liberté de presse pour pouvoir contrôler l’opinion publique. Il n’est pas midi moins cinq, mais midi passé…

2 Kommentare zu Des blogueurs allemands poursuivis pour «haute trahison»

  1. Je ne peux que vous rejoindre sur le “vote utile”, et j’ajouterai : utile à qui?

  2. A “eux”, pas utile pour nous…

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