Des Nouvelles du Front (2 ou 3)

Eléments de la pensée sauvage en temps de virus

A new World ? Foto: mchaudeur/Eurojournalist.eu/4.0Int

(Marc Chaudeur) – Après un peu plus de deux semaines de confinement, la vie des hommes suit son cours, si si. Et les représentations spontanées, épidermiques – ce que Lévi-Strauss nommerait sa « pensée sauvage » – suivent elles-mêmes leur cours. Car cette « pensée sauvage » existe aussi bien dans le XVIème parisien qu’en Amazonie profonde – si du moins une telle chose existe encore. A chaud, quelques-unes des structures immémoriales qui affleurent à présent, en ces mois de confins vireux.

En ce moment où l’usage des gants est tout à fait nécessaire, on peut observer le surgissement et la course folle de représentations ambivalentes : comme deux gants retournés.

A main gauche, la première, c’est la tendance apocalyptique : tout est fini, c’est la fin du monde, on va tous claboter, et à partir de demain matin, le nouveau Roi de ce Monde destroyed sera végan : nous aurons à broyer les pierres des chemins pour nous nourrir (puisque ni animaux, ni végétaux ne seront plus ni autorisés ni accessibles à nos appétits assassins). C’est bien fait, vous n’aviez qu’ à pas être si méchants et croquer en toute inconscience la chair tendre des pangolins à écailles réversibles et des pipistrelles à suspension hydraulique.

Retournons ce gant de la main gauche. On verra apparaître l’esprit utopique. Demain, tout sera mêêrveilleux, les pâquerettes refleuriront sur les autoroutes, tout le monde il sera gentil puisque tous les hommes ils sont frères et qu’intermarchés et leclercs auront implosé. Yves Cochet sera président de la République mondiale et Trump, pieds nus comme à Canossa, viendra manger du gomasio dans sa main. En somme, voilà ce qui est insupportable à jamais dans l’esprit utopique : cette impulsion profonde à prétendre prévoir l’avenir dans le moindre de ses détails, et à prendre ses désirs pour des réalités. Ce que Freud range dans la rubrique Illusion : c’est-à-dire le fait de conformer imaginairement la réalité à ses désirs profonds. De pratiquer le wishfull thinking. Et de s’empêcher ainsi de penser, ajoutera-t-on.

Sur le deuxième gant retournable, à main droite, maintenant. D’un côté, le désir irrésistible de se créer un Messie sauveur. Par exemple : le professeur Didier Raoult. Ce brillant médecin propose pour remède la chloroquine. A-t-il raison, a-t-il tort ? Rien n’empêche d’essayer, bien sûr , à proportion des dangers que ce remède peut contenir; encore que la chloroquine ne semble présenter de réelle efficacité qu’à un stade peu avancé de la progression de la maladie. Mais de là à faire de Raoult un second Einstein, un nouveau Newton, le sauveteur de l’Humanité souffrante… Non.

De l’autre côté de ce même gant, enfin, le besoin irrésistible et indécrottable de se trouver un bouc émissaire. Ou plusieurs boucs émissaires, d’ailleurs. Parmi ceux-ci, le préfet Lallement, qui a prononcé en substance cette parole sépulcrale et furieusement policière : «  Bin ceusses qui sont morts, eh bin c’est ceusses qui ont même pas confiné au début ! » De tels propos manquent de finesse, c’est vrai. Mais on ne peut demander à un préfet de d’exprimer comme Jean-Jacques Goldman ou comme François Cheng. Et plutôt que de s’en prendre à ce Monsieur point pire qu’un autre, supprimons plutôt cette fonction bonaparto-républicarde et vintage de préfet ! Voilà une belle occasion de le faire.

Ces quatre éléments de la « pensée sauvage » actuelle s’expriment dans un contenant plus large : l’affirmation que maintenant, nous allons sortir du processus de mondialisation, de la globalisation ; et que nous allons construire des cloisons plus ou moins étanches entre les Etats. Le petit village gaulois, et en face, Babaorum et Petibonum. Eh bien non, cent fois non ; c’est plutôt que la globalisation va changer de contenu et peut-être, de nature. Mais nous en avons nécessairement besoin : d’une part, pour échanger les informations scientifiques valables (vraiment valables, clic clic), et d’autre part, pour établir et surtout renforcer la collaboration internationale, notamment sur le plan économique. Par exemple, on ne peut pratiquer sans résultats catastrophiques le confinement que si des échanges reposant sur un minimum de confiance sont assurés.

Rappelons en effet la dernière des évidences : c’est que le virus ne connaît pas, ou très peu, de différences culturelles ou « raciales ». Et il se moque des limites d’Etats et des murs. La frontière ne doit pas passer entre les Etats, mais entre les hommes et le virus, comme on l’a fait lors de précédentes épidémies combattues ainsi avec succès.

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