Des tracts qui détraquent !

Avec ses « Tracts », la maison Gallimard contribue activement à détraquer la machine à penser-en-rond.

Chaque exemplaire ressemble vraiment à un manifeste imprimé et assemblé dans un atelier clandestin. Foto: Tom Parnell / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 2.0

(Jean-Marc Claus) – Lancée le jour de la Saint Valentin 2019, la collection a démarré de la maison Gallimard avec « L’Europe fantôme ». Un texte rédigé par l’écrivain et journaliste Régis Debray, traitant alors de « ce qu’il reste d’emprise sur les esprits de cette idée sublime d’Union Européenne » (sic). Un mois plus tard, par « Europe, mes mises à feu », c’était le romancier et poète Erri de Lucca qui exprimait son attachement à une Europe humaniste. Actuellement, « Tracts » en est à son 25e titre, d’un panel des plus variés.

Une série à laquelle s’est parallèlement développée « Tracts de Crise – Un virus et des hommes », initiée en mars 2020 par « Quitte ou double » de Régis Debray, méditant sur la dialectique guerrière développée par Emmanuel Macron, lorsque l’impact du SarsCoV-2 sur la population française ne pouvait plus être minimisé. En mai 2020, cette « collection dans la collection », avait généré 69 titres ! Le dernier, reprenant des extraits de « L’enracinement », écrit pas la philosophe Simone Weil en 1949, mettait l’accent sur la nécessité de créer des conditions pour que le risque ne se transforme pas en sentiment de fatalité.

Il y a tout lieu de penser que, durant cette période de confinement qui dura du 17 mars au 11 mai 2020, les auteurs se sont pressés au portillon de la maison Gallimard. Évidement, Erri de Luca a apporté sa contribution avec « Le samedi de la terre », où il parlait de l’obsession de la croissance qu’il voyait alors sauter de son piédestal. Dans la même veine pandémique, se sont succédés entre autres Alain Badiou, Pierre Bergounioux, Johann Chapoutot, Claire Chazal, Caherine Cusset, Didier Daeninckx, Annie Ernaux, Anna Hope, Adèle van Reeth, Anne Sinclair et bien d’autres encore, pour arriver à 69 titres.

Se présentant sous un format A5, soit 14,8 x 21 cm de côtés, agrafé en son milieu, comptant 32 ou 48 pages, sans couverture d’un autre grammage que celui de feuilles de son contenu, chaque exemplaire ressemble vraiment à un manifeste imprimé et assemblé dans un atelier clandestin. Réalisé en papier certifié PEFC (Pan European Forest Certification)  , il participe activement au développement durable. Ce qui lui donne un caractère militant supplémentaire.

Autre « collection dans la collection », la série « Grand Format », jusqu’ici riche de seulement 4 exemplaires, offre un meilleur confort de lecture. Elle a débuté en janvier 2020 avec « Le siècle vert » de Régis Debray, pour se poursuivre avec des textes de Jean-Noël Jeanneney, Alice Kaplan et Danièle Sallenave. Une série qui tendrait à adopter un rythme de publications trimestrielles. Depuis juillet 2020, la collection « Tracts en ligne », pour l’heure riche de seulement 2 titres, permet le téléchargement.

Renouant avec les « Tracts de la NRF » publiés dans les années 1930, la maison Gallimard entend aujourd’hui inviter dans le débat, des femmes et des hommes de lettres, en publiant de courts textes, destinés de par leur format original et leur prix relativement peu onéreux, à passer dans toutes les mains. C’est ainsi que des auteurs contemporains, sans renier pour autant leur statut d’écrivain, se fendent d’essais en prise directe avec l’actualité, comme l’ont fait en leur temps André Gide, Jean Giono et Thomas Mann.

Antoine Gallimard, dans sa présentation de cette collection, qualifiable d’utilité publique, se positionne dans une époque où prévaut le soupçon. Ne voyant, à partir de ce constat, que deux attitudes possibles, il opte pour celle du regain d’attention et non de la désillusion ayant pour corollaire le renoncement. Sans chercher à comprendre, la liberté de penser n’a guère de sens, car elle ne correspond plus alors qu’à un copier-coller d’idées reçues. La collection « Tracts » conduit autant le lecteur à, quitter la zone de confort de ses propres opinions, qu’à prendre le risque de se faire un avis différent, fut-il même partiel et juste temporaire.

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