Des voies multiples, mais pas n’importe lesquelles… (3/4)

Réunissant, intervenants compris, plus de 300 professionnels de la santé, dont certains venaient de bien au delà de la Région Grand Est, l’édition 2024 du colloque soignant de l’EPSAN, fut qualitativement d’un très haut niveau. - Retour sur la troisième demi-journée (8 Novembre 2024).

Une assistance très attentive, avec au premier plan de gauche à droite - David Martin (membre du CROC), Dr Julie Rolling (pédopsychiatre), Delphine & Nicolas Heid (membres de l’association 'Au bon entendeur'). Foto: JM Claus / CC-BY 2.0

illu epsan klein(Jean-Marc Claus) – C’est le psychologue clinicien et psychothérapeute Murat Bozkurt qui ouvrit la seconde journée du colloque, avec une intervention intitulée « Prise en soins psychologique dans une approche interculturelle ». Un exposé en deux parties, l’une consacrée à quelques spécificités relatives à la personne exilée volontairement ou par la force des choses, l’autre développant l’exil en trois temps. Ceci illustré par de nombreux exemples, tirés d’une pratique quotidienne, donnant ainsi toute sa valeur au propos du conférencier.

Pointant que la migration est très souvent objet de manipulation par les politiques, quels que soient leurs camps respectifs, Murat Bozkurt éleva d’emblée le niveau du débat, et le maintint sur le terrain de l’analyse scientifique. Une approche scientifique, non dénuée d’humanité, car « le rien de l’autre peut être écrasant » (sic), d’où la nécessité de trianguler le travail relationnel, pour ne pas s’enfermer dans une relation duale exclusive, où le transfert s’avère alors nocif. Les interprètes, en présentiel ou par téléphone, ont notamment cette fonction de tiers. Mais le lien de confiance doit aussi s’établir avec la personne en exil. Il ne s’agit pas juste de traduire des propos, comme le ferait une application sur un smartphone.

« Tout ne s’explique pas par les différences culturelles », dit Murat Bozkurt, mettant ainsi en garde les tenants de l’ethnocentrisme, qu’il renvoya dos à dos avec ceux tentés par le relativisme. Faisant preuve d’un souci constant d’équilibre, le psychologue développa aussi sur le rapport à la France des migrants issus des anciennes colonies, distinguant les primo-arrivants de ceux installées depuis plusieurs générations.

Distinguer la story (vécu personnel) de l’history (succession des événements), permet le va et vient entre le narratif de parcours individuels, donc plutôt subjectif et leur inscription dans un destin collectif, donc plus objectif. Or, les parcours migratoires longs et douloureux, pas assez pris en compte dans le discours ambiant sur l’exil, renforcent la story au détriment de l’history. Ce que rappela le développement en trois temps de l’exil, car on ne prend pas un ticket de métro à Bamako, pour arriver quelques minutes plus tard à Barbès.

La pédopsychiatre Julie Rolling prit la suite, avec une intervention intitulée « Des cauchemars aux rêves. Place de l’imagerie mentale et état des lieux de la prise en charge des cauchemars post-traumatiques. ». Un propos, tout comme le précédent, en prise directe avec l’histoire de Joseph, vignette clinique fil rouge de la journée. Après un rappel nécessaire sur les rôles du sommeil et du rêve, la praticienne expliqua les conséquences du trouble de stress post-traumatique sur le besoin naturel de dormir et se reposer, ainsi que sur le psychisme en général.

La fonction et la nature des cauchemars de Joseph, comme de toute personne traumatisée, furent détaillées non dans une démarche impersonnelle d’autopsie, mais d’examen du vivant pour le vivant par les vivants. Ceci donnant lieu, dans une étroite collaboration entre la personne soignée et ceux qui la soignent, à l’élaboration de stratégies, comme par exemple la Répétition d’Imagerie Mentale (RIM), permettant une certaine maîtrise du vécu cauchemardesque. Une thérapie brève encore méconnue, qui a pourtant fait ses preuves.

Plusieurs exemples donnés par le Dr Julie Rolling montrèrent comment à travers le déroulement des séances, comment chez des enfants, les cauchemars traumatiques furent remplacés progressivement par des rêves modifiant le fil de la story, dont parlait précédemment Murat Bozkurt, pour la rendre vivable allant même jusqu’à une happy end. Il ne s’agit pas là d’escroquer l’inconscient, car le souvenir ne s’efface pas, mais de réorienter le travail du rêve vers la vie, plutôt que de laisser la personne s’enliser dans la répétition mortifère d’un vécu traumatique.

Cette démarche, développée par une pédopsychiatre faisant aussi état des travaux de recherche de son équipe, ne s’applique pas qu’aux enfants. La Répétition d’Imagerie Mentale (RIM) peut aider tout individu sujet aux cauchemars, mais il faut préalablement procéder à quelques investigations, dont la mise en évidence de l’origine du trouble, car certains traitements médicamenteux peuvent générer des nuits cauchemardesques. La cible préférentielle reste donc le cauchemar post-traumatique, mais les traumatismes peuvent être de tous ordres.

Vint le moment de parler hypnose, ce qui fit monter sur la scène Guillaume Belouriez (praticien hospitalier) et Guillaume Grandidier (infirmier). Une scène de salle de conférence et non de spectacle, car c’est bien d’hypnothérapie dont il fut question. Une démarche dont on retrouve des traces en Égypte trois millénaires avant notre ère, mais qui fut prise en compte dans la médecine seulement à partir du XVIIIe siècle. C’est le chirurgien écossais James Braid (1795-1860), pratiquant l’hypnose anesthésiologique, qui inventa le terme d’hypnotisme. Encore un apport de la chirurgie à la psychiatrie, à l’instar d’Henri Laborit pour les neuroleptiques un siècle plus tard !

Se référant à l’hypnose eriksonnienne, les deux thérapeutes expliquèrent, exemples à l’appui, les indications et contre-indications de l’hypnose en psychiatrie, ainsi que ses bénéfices et ses limites. Comme pour toutes les interventions de ces deux jours de colloque, personne ne s’est prévalu de posséder une quelconque panacée. Explorer les voies multiples, mais pas n‘importe lesquelles et pas n’importe comment ! La mesure du propos de Guillaume Belouriez et Guillaume Grandidier, ne masquant pas pour autant leur enthousiasme quant à leur pratique, fut en parfait accord avec la démarche scientifique et réflexive nécessaire au soin.

Un tandem formé pour la circonstance, mais ne travaillant pas dans une même structure de l’établissement, démontrant ainsi la possibilité d’une certaine cohérence institutionnelle dans la prise en soins. Le docteur Belouriez reçoit au pavillon la Villa, pour des consultations de psychothérapie intégrative, au cours desquelles il pratique l’hypnose mais aussi entre autres, l’Eye Movement Desensitization and Reprocessing (EMDR)et la systémie. Guillaume Grandidier travaille lui, dans une équipe soignante, où en complémentarité avec son travail d’infirmier, il pratique des séances d’hypnose.

Comme on pouvait s’y attendre, les questions venant de l’auditoire, ne manquèrent pas. L’exemple d’une personne, souffrant de douleurs chroniques suite à des brûlures invalidantes, se réappropriant son corps meurtri grâce à l’hypnose, marquera assurément les participants à cette conférence. Mais comme pour les autres interventions, les deux thérapeutes soulignèrent que leurs pratiques ont aussi des limites et des contre-indications.

La suite, dès demain…

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