Descanse en paz, Abdou…

Repose en paix Abdou Ngom, toi qui risquas tout pour rejoindre l’Europe, et y vécut finalement très peu de temps.

A l’autre extrémité de la frontière, le môle séparant du Maroc, la plage espagnole de Tarajal, est un lieu où se sont multipliées les tentatives de passage vers l’Europe. Foto: Adam Cli / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Jean-Marc Claus) – Le week-end dernier, la presse espagnole annonçait le décès d’Abdou Ngom, un Sénégalais entré illégalement à la nage et au prix de sa vie, sur le territoire de Ceuta en mai 2021. Arrivé épuisé sur la côte de cette péninsule nord-africaine appartenant à l’Espagne, il avait été récupéré par les militaires et la Cruz Roja. La photo d’une secouriste lui donnant l’accolade, fit le tour des salles de rédaction, mais ne suscita pas que de saines réactions.

Une jeune femme blanche consolant un jeune homme noir, il n’en a pas fallu plus, pour provoquer l’ire des adeptes de ce qu’Umberto Eco nommait l’ur-fascism, sans même parler des tenants de la théorie du grand remplacement. Plus de 10.000 Africains avaient, du 17 au 18 mai 2021, tenté leur chance en contournant le môle transfrontalier séparant les territoires marocain et espagnol. C’est ce qu’il fut alors convenu de nommer « La crisis de Tarajal », en référence à la plage attenante à cet édifice, mais aussi en mémoire, de ce qui se produisit sur ce site en 2014.

A l’époque, les 200 personnes tentant le contournement, se firent repousser par la Guardia Civil et les militaires. Résultat : 15 morts, 23 reconduites à la frontière à pied et tous les autres à la nage. Mariano Rajoy était alors chef du gouvernement. En 2021, lors de la tentative d’Abdou Ngom, Pedro Sanchez gouvernait depuis près de cinq ans et les migrants étaient accueillis avec plus d’humanité. Mais le parti d’extrême-droite Vox, dirigé par Santiago Abascal, avait 25 députés au Congrès soit près de 15% des élus, alors qu’en 2016, il était à zéro. A l’Assemblée de Ceuta depuis 2023, il détient 20% des sièges.

Le geste d’humanité de la secouriste Luna envers le migrant Abdou l’obligea à se retirer des réseaux sociaux, tellement elle fut l’objet de propos haineux, alors qu’un plongeur de la Guardia Civil sauvant un bébé, eut droit à un concert ininterrompu d’éloges. Abdou Ngom avait été ensuite reconduit à la frontière, et c’est en novembre 2024 qu’avec 58 autres personnes, il débarqua sur l’île de Lanzarote, après trois jours et deux nuits en mer. A l’issue de huit ans passés au Maroc, il pouvait enfin s’établir en Europe, un ami vivant à Málaga lui offrant l’hospitalité.

Abdou n’a jamais oublié le geste de la secouriste, comme il le rapportait lors d’une interview télévisée. A l’annonce de sa mort, certains commentaires circulant sur les réseaux sociaux n’honorent pas ceux qui les font, et questionnent même quant à leur appartenance à l’espèce humaine. Luna Reyes n’est plus prise directement pour cible, mais des réflexions comme « Yo no he visto a los de la cruz roja abrazar a los que perdieron la vida en Valencia » (Je n’ai pas vu ceux de la Croix-Rouge embrasser ceux qui ont perdu la vie à Valence) montrent bien qu’une certaine rancœur existe encore.

Il y a fort heureusement beaucoup plus de D.E.P (Descanse En Paz = Repose En Paix), que de commentaires désobligeants, mais le royaume d’Espagne n’est pas exempt d’un certain racisme… d’atmosphère. L’allusion faite aux sinistrés à Valence des inondations d’octobre 2024, témoigne aussi d’une conception concentrique de l’aide apportée à autrui. Or, très souvent, ceux qui se targuent d’aider d’abord leurs proches, ne se montrent pas dans les faits, aussi généreux qu’ils le prétendent. Un égocentrisme stratosphérique en quelque sorte.

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