«Devons-nous vraiment manger des fraises en hiver ?»

Le 2e Forum des «10e Rencontre culturelles franco-allemandes» à Freiburg portait sur le sujet «Mondialisation et/ou démocratisation» - et la réponse transparaissait clairement des débats.

"La bourse ou la vie" était le sujet des 10e Rencontres culturelles franco-allemandes à Freiburg - un plein succès. Foto: Eurojournalist(e)

(KL) – On aurait pu avoir l’impression que le plateau prestigieux passait à côté de la question. Olaf Zimmermann (Secrétaire Général du Conseil allemand de la culture), Pierre-Yves Le Borgn’ (Député PS des Français à l’étranger), Thierry Vedel (Chercheur CNRS et cofondateur du réseau «Démocratie électronique) ainsi que Dietrich Murswiek (Professeur de droit public à l’Université de Freiburg) discutaient et ce, surtout au sujet du traité sur les libres échanges TAFTA. Et si les intervenants n’ont fait qu’effleurer la question de la «démocratisation», ceci était déjà la réponse à la question «Mondialisation et/ou démocratisation» – la démocratie s’estompe face à une mondialisation concertée par les grands groupes économiques.

Le TAFTA, est-ce une opportunité ou une menace pour nos sociétés ? Pour Olaf Zimmermann, qui défend le point de vue de la culture, la réponse est simple – oui. Pierre-Yves Le Borgn’, tout en critiquant l’opacité autour des négociations, souhaite d’abord avoir une vue d’ensemble, estimant que le TAFTA puisse aussi présenter des avantages pour l’économie européenne. A Thierry Vedel de poser la question-clé – «devons-nous vraiment manger des fraises en hiver ?», comprendre : «devons-nous tout sacrifier tout pour renforcer les structures économiques au niveau mondial ?» Dietrich Murswiek, lui, considère la question surtout sous un angle technique, soulignant la «coopération régulatrice» prévue par le TAFTA, permettant à un conseil composé de représentants institutionnels et d’entreprises de valider ou d’infirmer tout projet de loi si une nouvelle loi pourrait potentiellement avoir un impact sur les intérêts des entreprises. L’arbitrage privé entre les entreprises et les états se trouvait également au centre des critiques, car cet arbitrage hors des circuits judiciaires, place les intérêts économiques des grands acteurs au-dessus des intérêts des états. Un exemple récent : un groupe américain qui souhaitait exploiter une mine d’or en Colombie et qui s’est vu refuser l’autorisation pour son projet par le gouvernement colombien, réclame maintenant des dommages et intérêts à hauteur de 16 milliards de dollars à l’état colombien pour «manque de gagner». Si de tels litiges devraient être décidés à l’avenir par des avocats d’affaires, sans possibilité de recours devant la justice, cela voudrait dire que les acteurs économiques s’accaparent ouvertement du pouvoir politique.

La mobilisation contre le TAFTA. – Pour l’ensemble des participants, les discussions autour du TAFTA représentent une sorte d’éveil de la conscience citoyenne. La seule différence entre la France et l’Allemagne sur ce sujet reste la mobilisation des opposants à ce traité – sur l’ensemble des plus de 3,5 millions de signatures contre le TAFTA, 1,5 millions proviennent de l’Allemagne, seulement 360 000 de la France. Pour Olaf Zimmermann, cette mobilisation contre le TAFTA exprime avant tout une chose que d’autres mouvements, comme celui de «Nuit debout» en France articulent d’une autre manière en véhiculant le même message : «Ecoutez-nous enfin !».

Pierre-Yves Le Borgn’, qui, en tant que député pourrait être appelé à voter pour ou contre le TAFTA, il s’agit maintenant d’attendre qu’un texte définitif soit porté à sa connaissance. S’il considère que ce traité pourrait offrir des perspectives de croissance («il n’y a que deux producteurs de charcuterie dans ma région, la Bretagne, qui peuvent exporter vers les Etats-Unis»), il est conscient des dangers que le TAFTA peut comporter pour la démocratie. «Si une rupture démocratique devait se trouver dans les documents finaux, je voterai contre…»

Et si on essayait autre chose ? – Thierry Vedel, lui, favoriserait une autre approche à la mondialisation, une sorte de retour aux sources. Il préfère un rapprochement entre producteurs et consommateurs locaux et régionaux, non seulement pour améliorer l’empreinte climatique des produits, mais aussi pour renforcer les petits producteurs de proximité. Pour cela, il faudrait une sorte de «contrat» entre les consommateurs et les producteurs.

La discussion passait ensuite vers le comportement des grands groupes Internet – avec le postulat de la mise en œuvre d’un moteur de recherche européen financé par l’Europe et qui devrait faire contrepoids contre le pouvoir global qui est celui de groupes comme les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) – mais des doutes existent quant à la faisabilité et l’acceptation par les consommateurs.

A Olaf Zimmermann de ramener les débats vers une note franco-allemande en proposant que la France et l’Allemagne puissent prendre l’initiative d’un développement d’un tel moteur de recherche non-commercial pour toute l’Europe.

Et la «démocratisation» dans tout cela ? – Elle était la grande absente de cette discussion de haute qualité, et ce non pas parce que les intervenants n’avaient pas envie d’en parler ou parce que l’excellent modérateur de ce débat, Christian Schubert, correspondant économique du grand quotidien FAZ à Paris, aurait oublié de l’évoquer, mais parce que les questions démocratiques ne jouent pas vraiment un rôle dans le débat de la mondialisation – qui est un débat entre les puissants et les grands groupes économiques dont les intérêts ne sont pas citoyens, mais financiers. «Money makes the world go round» et force est de constater que nous sommes en train de brader nos valeurs démocratiques contre une vague promesse de croissance – le tout pour permettre aux grands groupes de gagner encore plus d’argent.

Ces «10e Rencontres culturelles franco-allemandes» à Freiburg, portées par des partenaires allemands et français, issus autant du secteur public que privé, constituaient un temps fort du calendrier franco-allemand dans la région. Vivement la 11e édition en 2017 !

Kulturgespräche Forum 2 OK

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