Economie du Grand Est : attendre le pire ou résister ?

Alain Howiller analyse les conséquences économiques des tensions sociétales actuelles.

La lecture des chiffres n'est pas donnée à tout le monde - mais Alain Howiler vous les explique ! Foto: Karl Krall / Wikimedia Commons / PD

(Par Alain Howiller) – Et si, pour une fois, on posait les problèmes autrement en marge de la crise des « gilets jaunes » ? Pendant des mois, des années, la préoccupation première des Français était l’emploi et le chômage et voilà que les « gilets jaunes » placent en tête des revendications le pouvoir d’achat, la pauvreté et la justice fiscale. Les priorités auraient-elles changé paradoxalement au moment où le chômage marque des signes de reflux et où les conjoncturistes les plus sérieux s’accordent pour relever que le pouvoir d’achat a augmenté en 2018 (+1%) et que cette évolution, grâce aux mesures prises par les pouvoirs publics, se poursuivra en 2019 (+2,4% prévus : la hausse la plus importante depuis 2007 !). La confusion s’étend si on ajoute à ces états le fait que le moral des ménages s’est amélioré de 5 points alors qu’au mois de décembre, l’indice avait été le plus bas relevé depuis 2014 ! De son côté, le moral des chefs d’entreprise a également progressé (légèrement : de 1 point) inversant la tendance des derniers mois.

Pour certains, l’inversion des préoccupations s’expliquerait par le fait que la majorité (74%) des gilets jaunes est constituée de représentants de familles monoparentales, de travailleurs précaires et de chômeurs (sur les ronds points, le pourcentage de ces catégories représenterait le double de ce qu’elles sont dans la réalité nationale). L’étude à laquelle vient de procéder l’Institut d’Etudes Politique de Grenoble est significative à cet égard : elle éclaire les spécificités de cette partie du peuple de France que représentent les gilets jaunes(1). Pour d’autres observateurs, ces contradictions traduiraient en fait l’émergence en économie d’une notion qui a été intégrée, depuis longtemps, aux prévisions météorologiques : le ressenti !

Au delà de la… météo ! – Le constat réjouirait mon professeur d’économie politique de la Faculté de Droit, qui a consacré sa vie d’enseignant à la vulgarisation de la notion « d’économie psychologique », mais il est loin de faciliter la tâche de ceux qui sont chargés d’étudier, de proposer et d’appliquer les mesures correctives sensées favoriser de provoquer la sortie de crise ! Déjà que les débats portent en eux un volume (notamment sonore !) de confusion dont, à vrai dire, les médias riches en échanges où il faut, surtout, parler plus fort que le voisin – qu’on écoute d’ailleurs rarement – portent une part de responsabilité. Peut-être notre « alma mater » -l’université- et nos écoles de journalisme pourraient en profiter pour créer une formation nouvelle : celle de journaliste organisateur et animateur de débats ! Les crispations actuelles autour de la perception de l’information diffusée s’en trouverait sûrement améliorée !

Mais trêve de fiction, retour aux réalités et pour commencer, à celles du marché du travail dont les responsables régionaux de la Banque de France, de l’URSSAF et de la Chambre de Commerce et d’Industrie dresseront, comme chaque année, un bilan et en ouvriront les perspectives(2). Alors que sur un plan national, le chômage a reculé (-1,4%) sur un an atteignant le niveau le plus bas enregistré depuis 2014, le Grand Est a connu lui aussi une régression (- 2,1%), tandis qu’en Alsace, la diminution a été de -0,9% dans le Bas-Rhin et de -1,3% dans le Haut-Rhin. Alors que sur le plan national, d’après l’INSEE, la croissance, grâce aux exportations, a été de 1,5% en 2018 (contre 2,3% en 2017, le FMLI estimant qu’elle a été de 1,7%, l’Institut National prévoyant +1,5% en 2019). Pour Bruno Lemaire : « Malgré la dégradation de l’environnement international et le mouvement des gilets jaunes… notre politique donne des résultats ! » Comme aurait dit Laetizia Bonaparte, la mère de Napoléon 1er : « Pourrvou qué ça dourre !… »

Sur le Rhin, un climat régénéré - Dans sa dernière note de conjoncture, la Banque de France Strasbourg relève à propos de la région Grand Est : « Augmentation de la production industrielle en décembre. Carnets de commandes convenables. Anticipations favorables de l’activité pour le début d’année avec quelques recrutements. Dans les services marchands, légère progression de la demande et des prestations avec une intensification de cette tendance dans les prochaines semaines. » Prévisions que confirme la progression de l’indicateur du climat des affaires qui a grimpé, de Novembre à Décembre, de 99 à 102 (101 à 103 au niveau national), alors que l’indicateur pour les services est passé de 102 à 106 (il s’est stabilisé à 102 au niveau national). Le Grand Est avec l’Alsace font de la résistance et semblent être épargnés – pour l’instant ?- par le poids des prévisions peu optimistes relevées au plan national et international : à cet égard, la conjoncture en Allemagne et en Suisse commencent à inquiéter sur les bords du Rhin (voir eurojournalist.eu du 24.01.2019) !

D’après la note de conjoncture, le niveau des commandes est jugé convenable dans l’industrie (qui représente près de 19% de l’emploi total). C’est le seul secteur à avoir procédé à un accroissement de ses effectifs… Les chefs d’entreprise prévoient une progression limitée de leur activité à court terme qui s’accompagnerait de quelques recrutements, notamment dans le secteur des équipements électroniques.

Ceux qui pensent augmenter leurs effectifs - Dans ce secteur, celui de l’industrie, quelques « sous-secteurs » prévoient d’augmenter leurs effectifs ; c’est le cas des producteurs d’équipements électriques, électroniques et informatique et autres machines qui représentent un peu plus de 17% des effectifs industriels. Une légère majorité des sous-secteurs (prés de 59% des effectifs) tablent sur un maintien de l’emploi : c’est le cas de ce qu’on appelle les « autres produits industriels » (chimie, plastique, pharmacie, caoutchouc, métallurgie et produits métalliques, bois, papier, imprimerie, textile, habillement, cuir, chaussure, autres industries manufacturières). Les secteurs automobile et fabrication de denrées alimentaires et boissons (un peu plus de 12% des effectifs chacun) prévoient une diminution des intérimaires. Les services marchands (prés de 18% de l’emploi total dans l’économie) prévoient des effectifs stables.

En ce début d’année, le champ des prévisions reste évidemment vaste et instable : avec 1,5% de croissance en France, un risque de récession en Allemagne, la conjoncture sur les bords du Rhin est loin d’être confortée. Mais comme l’écrivait Daniel Pennac, Prix Renaudot 2007 pour son roman autobiographique « Chagrin d’Ecole » : « Le pire dans le pire, c’est… l’attente du pire ! »

(1) Voir sur le site de l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) de Grenoble la « Grande enquête sur le mouvement des gilets jaunes », réalisée par cinq chercheurs du laboratoire Pacte.
(2) La rencontre a lieu le 7 février à partir de 17h30 au Campus de la CCI-Strasbourg au 234 Avenue de Colmar (Strasbourg.conjoncture@banque-france.fr).

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