Economie française : une malade imaginaire ?

Alain Howiller se demande si la France se porte vraiment aussi mal que ça...

La France, malade imaginaire ? Les chiffres traduisent pourtant une amélioration... Foto: Artiste inconnu / Wikimedia Commons / PD

(Par Alain Howiller) – Le slalom est une compétition noble de la saison, les observateurs – économistes, conjoncturistes, élus, membres du gouvernement – n’avaient pas le choix : ils ont été amenés à intégrer le… slalom dans l’examen clinique de l’économie française ! Et le citoyen, même éclairé, surfe entre optimisme, pessimisme ou simple approche prudente d’une situation inédite qui voit une interminable grève dérouler son tapis de colères et d’interrogations sur fond de croissance inexplicablement maintenue ! Personne n’avait vu venir la crise des « Gilets jaunes » ; rares étaient ceux qui pensaient que l’opposition à la réforme jetterait autant de protestataires dans la rue, et plus rares encore étaient ceux qui pensaient que l’économie française tiendrait un choc qui, en un peu plus d’un an, risquait fort de l’emporter ! A la crise qui a fait éclater le monde politique condamné désormais à se relever de ses ruines menaçait de succéder une crise économique nourrie, en plus, par de sombres perspectives de croissance dans l’Union Européenne et à travers le monde.

Alors que, comme le 5ème Forum Economique de Davos vient encore de le souligner, la majorité des chefs d’entreprise sont dans l’ensemble inquiets face à la dégradation de la croissance mondiale, Bruno Le Maire, le Ministre français de l’économie, a souligné, imperturbable : « La France est devenue, économiquement, le pays le plus attractif d’Europe… elle recrée des emplois industriels, les investisseurs -notamment étrangers- viennent… L’endroit où il faut être, où il faut investir, c’est la France ! »
On ne fermera aucun commerce !… – Rien n’y fait, le cabinet « PricewaterhouseCoopers – PwC », multinationale londonienne (avec bureaux à Strasbourg et Metz) du conseil en management, expertise et audit, souligne de son côté que 51% des chefs d’entreprise français consultés pour la rédaction de son « 23ème Global Geo Survey » s’attendent, cette année, à une faible croissance économique qui sape la confiance : seuls 18% d’entre eux pensent que leur chiffre d’affaires va progresser en 2020 ! Le climatosceptique Donald Trump a beau fustiger ceux qui sont pessimistes quant à l’avenir en les gratifiant du titre de « prophètes de l’apocalypse » – la vérité est là : le climat des affaires n’est pas orienté à l’optimisme et, selon PwC, le pourcentage des chefs d’entreprise de la planète qui voient chuter le « PIB » mondial est passé de 5 à… 53% en… deux ans, ce qui ne doit pas faire oublier que les défaillances d’entreprises ont fortement reculé en France et que, par contre, la création d’entreprises a, elle, progressé.

Dans ce contexte, que penser du propos de ce représentant de « l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques – OFCE » soulignant qu’en France « la croissance est molle, mais positive » ? Que penser des déclarations de Bruno Le Maire : « Notre économie est solide, elle a montré qu’elle était capable de traverser les épreuves » (il évoquait les « Gilets jaunes » et les grèves). L’opposition à la réforme des retraites n’aurait, selon lui, aucun impact sur la croissance et l’emploi… S’engageant à ce « qu’aucun commerce ne ferme à cause de la grève », le ministre ajoute : « Je préférerais qu’on offre moins d’images de grève et de blocages à la communauté internationale et aux investisseurs. » Rodomontades, méthode Coué ? La France est-elle un malade imaginaire, hypocondriaque qui s’ignore ? Les déclarations du ministre ont précédé de peu les informations sur la situation du chômage diffusées par le Ministère du Travail.

Quand le chômage recule ! – En 2019, souligne le ministère, le chômage a reculé de 3,3% tous territoires confondus (Outre-Mer compris) : c’est la plus forte diminution depuis 2007 ! Le recul a touché plus ou moins fortement toutes les tranches d’âge y compris celles qui apparaissent souvent en retrait : les seniors (-2,1%) et les jeunes (-1,4%). « Même si le nombre de demandeurs d’emploi reste à un niveau élevé (3,554 millions), il enregistre une baisse qu’il faut saluer », commente l’OFCE tandis que Bruno Le Maire, rappelant que le Président de la République s’était engagé à ramener le taux de chômage à 7% à la fin de son mandat (il devrait être à 8,2% mi-2020), affirme : « Mon objectif, c’est le plein emploi. Je ne sais pas à quelle échéance, si c’est en 2025 ou un peu plus loin. Mon objectif, c’est 5% ». Dans la région du Grand Est, le recul sur un an aura été de 2,4%, tandis qu’en Alsace, il aura été de -2,9% dans le Bas-Rhin et de -1% dans le Haut-Rhin. Les moindres performances par rapport aux résultats nationaux pourraient s’expliquer par la prudence des entrepreneurs allemands toujours confrontés au risque de récession.

Dans sa dernière note de conjoncture, la Direction Régionale-Strasbourg de la Banque de France note pour la fin 2019 une : « Hausse modérée (pour l’industrie) de la production avec une légère contraction de la main d’œuvre. Carnets de commande convenables globalement. Orientation à la baisse de l’activité à court terme avec une réduction du personnel. Nouvelle progression de la demande dans les services marchands. Poursuite de cette tendance dans les semaines à venir avec une croissance des effectifs ». L’indice du Climat des Affaires, reflet de l’activité dans le Grand Est, s’est établi à 95 en Décembre contre 96 en Novembre (97 au niveau national) pour l’industrie. Pour les services marchands, il s’est établi à 106 contre 99 (Novembre) et 97 (Décembre). La bataille pour la croissance n’est pas encore gagnée : même si elle n’est pas, pour autant, perdue sur les rives du Rhin où on compte évidemment beaucoup sur les investisseurs étrangers pour relancer l’emploi.

La France reste attractive. – L’évolution en la matière ouvre des perspectives que plusieurs études récentes confirment : qu’il s’agisse, notamment, de celle du cabinet d’audit international « EY » (Ernst et Young, premier cabinet d’audit et de conseil du monde) ou celle de l’institut Kantar (anciennement TNS-Sofres, société française d’enquêtes par sondage). L’une et l’autre confirment que pour les investisseurs, l’attractivité de la France n’a pas été vraiment impactée par les grèves, que les mouvements sociaux montrent que les pouvoirs publics réforment, que la France reste le deuxième pays le plus attractif (derrière l’Allemagne) de l’Union Européenne pour les investisseurs étrangers. Mais ces éléments positifs ne doivent pas faire oublier que les mêmes enquêtes soulignent que l’image de la France peut évoluer dans un sens comme dans l’autre, que 30% des investisseurs ont reporté leurs projets, que le pourcentage des sondés optimistes pour l’avenir s’est légèrement érodé à 70% (-9 points).

Entre le recul du chômage, la création d’entreprises (500.000 ont été créées depuis 2017), l’affirmation de l’attractivité du pays, l’amélioration du pouvoir d’achat des Français à travers les mesures (17 milliards d’euros dégagés) prises par les pouvoirs publics, une croissance maintenue à 1,3% du PIB (toujours selon le Ministre de l’Economie et des Finances), les observateurs pourraient croire que la perception de la situation mènera à la résorption des mouvements qui secouent le pays depuis le 5 Décembre dernier. Il n’en est rien, comme peuvent en attester différents sondages. Selon un sondage « Odoxa / BFM / AVIVA / Challenges », 77% des sondés ne croient pas que 2020 leur apportera une amélioration du pouvoir d’achat, 74% ne pensent pas que le chômage diminuera, 57% s’attendent à une augmentation des impôts et 77% pensent que la croissance économique sera cette année de faible niveau ! Pour le baromètre « Vivavoice / HEC-Paris » (Le Figaro-Economie / BFM-Business du 28 Janvier), 6 Français sur dix ne pensent pas que la diminution du chômage serait due à l’action du gouvernement. Difficile dans cette approche d’apprécier la relative stabilité (voire plus !) dont pourtant bénéficie l’économie française. Ignorants reconnus en matière d’économie, les Français, depuis Molière, se complaisent dans un rôle de Malade Imaginaire. Auraient-ils, en plus, perdu la clef de leur armoire à pharmacie ?

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