Economie : un été difficile…

Le pessimisme s'est installé chez les entrepreneurs sur les deux rives du Rhin... Foto: Vladimir Makovsky / Belorussian National Art Museum / Wikimedia Commons / PD

(Par Alain Howiller) – Est-ce un fléau, une démarche liée à la prudence, une addiction ? Les sondages sont formels : 67% des Français ne décrochent pas de leur travail pendant leurs vacances et près de 90% d’entre eux trouvent que cette impossibilité de rompre ce lien augmente d’année en année (sondage pour le site Qapa.fr). De leur côté, 72% des Allemands peuvent être joints par leur employeur pendant leurs vacances et les 3/4 d’entre eux gardent un contact avec leur travail (sondage FAZ/Statista). C’est dire avec quel intérêt Français et Allemands suivent l’évolution d’une économie qui, de part et d’autre du Rhin, tousse sans que cela soit lié à une quelconque allergie de saison !

En cet été déjà bien engagé, le moral « de l’homme de la rue », pour reprendre cette belle expression anglo-saxonne, s’est dégradé en Allemagne pour le deuxième mois consécutif alors qu’il s’est redressé en France où il retrouve le niveau relativement bon d’avril 2018. Les acteurs de l’économie entrepreneuriale, quant à eux, se rejoignent, de Paris à Berlin, pour jeter un regard circonspect sur le niveau de leurs affaires. Selon l’Institut IFO de Munich, la « Stimmung » des chefs d’entreprise est au plus bas depuis Novembre 2014 et, si le taux de chômage reste à 5%, dans l’attente de jours meilleurs, 3,8% des industriels ont déjà eu recours au travail à temps partiel et 8,5% prévoient d’y faire appel à la rentrée.

Le difficile climat des affaires. – En France, pour l’INSEE, le climat des affaires s’est lui aussi légèrement dégradé et pour la Banque de France, l’indice du climat des affaires est passé de 99 à 95 (de 94 à 91 dans le Grand Est) de Mai à Juin. Moins de la moitié (44%) des chefs d’entreprise français ont confiance en l’économie. Il y a fort à parier que les dernières prévisions publiées par la Commission Européenne ne contribuent guère à promouvoir la sérénité des vacanciers : la croissance dans la zone euro serait de +1,2% en 2019 et de +1,4% (contre 1,5%) pour 2020 (1,9% réalisés en 2018)(1).

Pour Pierre Moscovici, encore Commissaire Européen aux Affaires Economiques et Financières, la situation est essentiellement liée à la guerre commerciale menée par les Etats-Unis et la Chine sous la houlette du nouveau « Captain America alias Donald Trump » et par les perspectives incertaines d’un Brexit dominé désormais par la personnalité trouble de Boris Johnson. La situation politique dans (et entre) les Etats de l’Union Européenne n’est pas non plus étrangère à un climat de doute préjudiciable à des perspectives positives pour l’économie.

Des pouvoirs publics en manque de résultats. – Plus des deux tiers des citoyens des pays membres de l’OCDE estiment que leurs pouvoirs publics n’obtiennent pas les résultats espérés, les Français champions du Monde du doute pensent à 52% (contre 40% en Europe) que leurs suffrages n’ont pas le poids espéré sur les politiques souhaitées (rapport McKinsey cité lors de la réunion à Aix en Provence du « Cercle des Economistes »). L’infernal mouvement des gilets jaunes comme les progrès, de consultation en consultation, de l’abstention constituent une illustration de ces constats sur ce que Jean-Marc Sylvestre appelle sur le site Atlantico « …un sentiment d’inutilité démocratique » !

Ce n’est pas par hasard si le « Cercle des Economistes », qui compte dans ses rangs des chefs d’entreprise, des intellectuels, des représentants de ce qu’on appelle la « société civile », a choisi « La confiance » pour thème de leur rencontre d’Aix. Pour le « Cercle », la confiance « c’est le risque assumé de s’en remettre à l’autre ou aux autres en vue d’une coopération répétée dans le temps, quelle qu’elle soit et fondée sur notre perception de l’intérêt commun. » Par les temps que nous traversons, la confiance ne risque pas d’être au rendez-vous de la politique et de l’économie ; et plus que jamais, on a l’impression que la guerre économique, les confrontations commerciales sont devenues les formes modernes de la guerre : la géo-économie complète, voire remplace la géo-politique (2), et l’économie pour un Clausewitz d’aujourd’hui devient « la simple continuation de la politique par d’autres moyens ». On assiste à « un ébranlement structurel de la confiance », constate le rapport McKinsey et une majorité des citoyens des 29 pays sondés « expriment de vives inquiétudes pour l’avenir de leurs enfants. »

Devoirs de vacances pour adultes ! – « L’Europe se fragmente au gré de stratégies agressives et nationalistes de concurrence économique. Dans d’autres régions du monde, la situation géo-politique est tout aussi critique. Il y a évidemment des chocs technologiques et démographiques, des fractures sociales et territoriales, des tensions militaires, autant de facteurs d’instabilité qui se renforcent les uns les autres », écrit Jean-Marc Sylvestre de retour d’Aix en Provence.

En Allemagne, 70% de la tranche d’âge des 18/29 ans ne sont pas satisfaits de leur vie alors que (sondage Deloitte/cadremploi, premier site privé pour le recrutement des cadres) 76% des Français pensent que le climat social va se détériorer. 90% d’entre eux pensent que leur métier va connaître une évolution qui se traduira pour 23% par sa disparition pure et simple alors que 23% estiment que les robots vont… les remplacer ! 53,3% des Allemands pensent que la situation économique va se dégrader dans les 12 mois qui viennent. Il reste quelques semaines de vacances pour qu’on y réfléchisse et que les…. politiques en charge de nos destins jouent aux pompiers pour arroser des feux qui ne s’éteindront pas tout seuls ! Qui disait que les devoirs de vacances créés pour permettre aux écoliers en vacances d’entretenir leur aptitude à apprendre étaient devenus inutiles, alors que nous venons de découvrir ensemble, à l’instant, une forme de devoirs pour adultes responsables ?

(1) Eurojournalist.eu du 7.06.2019.

(2) « La guerre économique forme moderne de la guerre », par Eric Bosserelle dans « Revue Française de Socio-Economie » – Numéro 8, Editions La Découverte.