Elections en Ukraine et en Slovaquie

Un weekend palpitant

La candidate Zuzana Caputova bientôt présidente ? Foto: Slavomir Freso / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 4.0Int

(Marc Chaudeur) – Samedi et dimanche prochains se tiendront, dans deux pays du centre et de l’est de l’Europe, des élections importantes. En Slovaquie comme en Ukraine, il s’agira d’ élire rien moins que le président de la République. Deux pays différents, et pourtant dans une large mesure confrontés aux mêmes problèmes et aux même difficultés.

On rappellera ici quelques unes questions passionnantes et ardues qui se lèvent quand on évoque l’un et l’autre de ces deux pays.

Eurojournalist(e) a rendu compte de ces 2 élections, et évoqué le bon score de Zuzana Čaputová. Une candidate anti-corruption, écologiste dans une certaine mesure, qui représente les couleurs du centre et de la droite – qui, précisément, n’en ont pas beaucoup (de couleurs). C’est une excellente nouvelle que ces résultats du premier tour, à cette réserve près qu’une victoire libérale posera les problèmes que pose le libéralisme au pouvoir, et occasionnera des difficultés prévisibles. Espérons donc que le vilain populisme n’en profitera pas pour s’envoyer en l’air. Mais on sait que la Slovaquie sort d’une crise à la fois sinistre et salutaire (ce qui correspond d’ailleurs à la définition même du mot «crise « ) à la fois sinistre et peut-être salutaire : celle qui a littéralement mis hors d’elle une grande partie de la population slovaque, à Bratislava surtout, après l’assassinat du journaliste Ján Kuciak, dans lequel s’enchevêtrent dans un nœud de rats infernal mafiosi, membres du gouvernement, policiers,…

Un fait à première vue bizarre : le parti représentant la minorité hongroise de Slovaquie, le Most-Híd (c’est-à-dire : « Pont » dans les deux langues) soutient Madame Čaputová pour le second tour, qui aura lieu samedi prochain, alors même que le Híd appartient à une coalition qui le lie au parti au pouvoir, le SMER-SD. Il est vrai que le parti des Hongrois avait demandé la démission de Robert Fico, le premier ministre en exercice au moment de al mort de Kuciak et de sa compagne. Mais plus important : tout comme en Ukraine, le facteur de division provient de l’ogre Viktor Orbán : celui-ci, en effet, l’an dernier, a décidé d’octroyer un passeport hongrois aux Hongrois « de souche », donc aux membres de la minorité hongroise dans tout l’Europe, par delà leur nationalité effective. Les réactions ont été vives, tant de la part du gouvernement de Petro Porochenko en Ukraine que de celui de Fico en Slovaquie. A l’intérieur comme à l’extérieur, Orban joue la division, donc l’affaiblissement de la démocratie effective, et la polarisation nationalitaire. Déchirer pour régner.

En Ukraine, la situation est plus dramatique, et même tragique ; les candidats, eux, sont plus dépendants encore de leur image et de leurs prestations, notamment télévisuelles : on ne peut éviter la puissante impression qu’ils sont trop petits pour leur tâche immense – mais on connaît cela sous des cieux plus cléments, n’est-ce pas… Peut-être y a-t-il ici le besoin de s’illusionner sur la prospérité des années à venir.

N’oublions pas que l’Ukraine est en guerre, ou si on préfère (je préfère), est un pays agressé, où 13 000 personnes ont trouvé la mort en quelque 5 années : plus de 10 % des citoyens ukrainiens ne pourront guère aller voter, en Crimée ou dans le Donbass, dans ces parties que revendique le Tsar de toute la Russie (pour lui, apparemment, comme pour beaucoup de Russes, l’Ukraine est une partie de la Russie, et même le cœur historique de la Russie…). La difficulté presque ontologique, ici, est que de fait, la Russie est dans l’être même des gens, sinon de leur cœur ; on omet souvent de constater qu’une proportion très importante d’Ukrainiens parlent mieux le russe que l’ukrainien… Et c’est le cas du candidat qui risque fort de devenir le prochain président de la République.

Noa amis ukrainiens nous disent : Porochenko est corrompu, Timochenko promet la lune et nous prendrait nos tunes, Zelensky n’est qu’un guignol. C’est en effet ainsi qu’on résumerait le mieux la situation avant le second tour des présidentielles, qui aura lieu dimanche prochain. Volodymyr Zelensky, 41 ans, est candidat d’un parti gobe-moche fondé il y a tout juste un an, qui s’appelle Serviteur du peuple (Sluga Narodou) : une appellation dont tous les Ukrainiens saisissent immédiatement la saveur ironique, dans ce pays où la fonction publique n’est pas toujours très publique. Zelensky tire sa popularité de son show télévisuel du même nom – Serviteur du Peuple ! Bonne idée : pourquoi ne pas donner à nos partis politiques les noms de séries télé décérébrées ?

Zelensky se signale chaque jour par son ignorance de… de tout ce qui importe quand on veut diriger un pays de 45 millions d’âmes. En somme, en contraste presque tragique avec la situation très difficile du pays, on risque fort d’élire le président pour sa verve comique et sa truculence… Des lendemains incertains se dessinent à l’horizon.

Un avenir peut-être à la russe, structurellement : c’est-à-dire oligarchique et ploutocratique. Car un homme tire les ficelles du pantin Zelensky : c’est Ihor Kolomoïski, 55 ans, un sulfureux homme d’affaires, le 2e homme le plus riche d’Ukraine, notamment fondateur de la puissante PrivatBank. Kolomoïski finance des groupes armés pour aller défendre le Donbass. Mais ses troupes armées servent aussi parfois ses intérêts très privés, comme lorsque l’un de ses amis avait été démis de sa fonction de président du conseil d’administration de l’entreprise pétrolifère « publique » Ukrtransnafta, en 2015 ; les balles ont bien failli siffler entre ces pseudo-trouffions et l’armée régulière ukrainienne… Tant de choses à raconter sur Kolomoïski ! Et le 31 mars prochain au soir, il sera sans doute devenu encore plus fort grâce à la prestation de son poulain Zelensky. Il sera l’un des 2 ou 3 hommes les plus puissants d’ Ukraine.

Tout cela n’est guère réjouissant, certes, malgré le talent comique indéniable de Volodymyr Zelensky. Et cela dessine l’un des aspects dominants e l’Europe de demain, du moins d’une partie non négligeable de notre cher sous-continent.

 

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