Elections européennes en Pologne

Une société clivée

Janus, de Tony Grist Foto: Tony Grist/Wikimédia Commons/CC-BY-SA PD

(Marc Chaudeur) – En Pologne, selon les derniers sondages, un tiers des voix ira au parti national-populiste au pouvoir, le PiS, un autre tiers, à la coalition d’opposition libérale… La partie sera serrée ! Mais ces prévisions ne reflètent pas la nature profondément clivée de la société polonaise. Campagne contre ville, base contre « élite », catholiques contre athées… Quels seront les facteurs de cohésion de cette société ? Celui qui trouvera aura gagné !

Une fois de plus, la gauche brillera par son absence : quelques pour cent (peut-être 1%) pour la liste Razem, et 10 % pour Wiosna, la liste du charismatique Robert Biedroń (https://eurojournalist.eu/pologne-larc-en-ciel-et-la-betterave/) qu’on peut classer au centre gauche, avec une orientation libérale très marquée. Pourquoi donc la gauche est-elle si faible en Pologne ? Sans aucun doute un héritage de la période stalinienne – et aux yeux de la population, Razem notamment n’est pas assez démarquée de l’ancien régime ; à tort ou à raison. Dans l’esprit de la grande majorité, « gauche » se confond avec « élitisme » : elle se représente à ces mots les gens qui ont exercé le pouvoir et qui ne l’ont plus, leurs amis et leurs descendants : des gens éduqués, cultivés, des gens de l’abstraction, une intelligentsia un peu ou très coupée du peuple.

Cette attitude fondamentale produit des partis « épidermiques », comme cette Konfederacja Europejska de 4 partis que les sondages créditent de 8 %. Elle regroupe plusieurs groupuscules nationalistes, libertariens, monarchistes, anti-avortement et tout et tout. Le dirigeant du Parti Liberté , qui en fait partie, s’est d’ailleurs distingué naguère comme député européen, lorsqu’il a fait ce fameux discours d’anthologie où il déclarait qu’il était normal que les femmes gagnent moins que les hommes, puisqu’elles sont « plus faibles et moins intelligentes » ! Or, 8 %, c’est bien loin d’être négligeable ; ce panier de crabes pourrait peser sur ces élections – et sur les prochaines.

Pour le PiS, une prévision de 35 % points. Pourquoi, malgré sa gestion autoritaire, ses manquements assez graves à la liberté du pouvoir judiciaire, à celle de la presse et des médias, son règlement pour le moins rigide des conflits sociaux ? Pourquoi une telle constance dans les suffrages ? Une mesure sociale a eu grande importance : la somme allouée à partir du deuxième enfant, en vertu d’une optique très familialiste. 500 zlotys (100 euros environ), ce n’est pas négligeable, certes, quand le salaire minimum brut s’élève à 520 euros. S’ajoutent à cela la défense surtout rhétorique et démagogique des « faibles », apparence d’ « ordre », et peut être surtout, le discours récurrent sur la fierté nationale, le vieux narratif héroïco-victimaire polonais. Ce discours qui fonctionne toujours très bien, dans le pays… Il est lié à un prurit pérenne sur l’identité et l’orgueil nationaux, anciens et quasi-constitutifs.

La division entre le vote PiS et le vote d’opposition recouvre largement les clivages profonds de la société polonaise. On vote beaucoup plus PiS à la campagne qu’à la ville ; ses électeurs se trouvent surtout dans la classe inférieure à moyenne. Et la majorité des catholiques plus ou moins traditionalistes (ou traditionnels) s’y trouvent et s‘y retrouvent.

En face du PiS, le parti Razem (Ensemble). Ce parti de social-démocrates conséquents  unit socialistes et « transfuges » des Verts. Il s’est bâti contre les apparatchiks opportunistes du genre Leszek Miller, après la chute du communisme. Mais hélas (ter) ! Il continue à pâtir de la contigüité et de l’association dans l’esprit populaire avec l’ancien POUP. Ses résultats électoraux sont insignifiants.

Très significative est la variété bariolée du grand rassemblement d’opposition au PiS : la Koalicja Europejska. Elle regroupe 5 partis libéraux et de centre gauche, et 7 autres partis affiliés de même tendance – mais cela va du centre gauche au centre droit, de l’Initiative féministe à la Ligue des Familles polonaises ! Un inconvénient majeur : on n’y trouve aucune personnalité marquante (du moins pour le grand public électoral). De plus, le problème demeure de savoir ce qu’il adviendra de ce patchwork plus ou moins bien cousu après ces élections européennes – et plus encore après les prochaines élections nationales…

Mais la société polonaise est en train de bouger considérablement, et les lignes de front s’en trouveront peut-être bientôt déplacées – dans 5, 10 ans ? En témoigne la prévision des votes pour Robert Biedroń : 10%. Ce candidat libéral, gay et athée militant suscite beaucoup d’espoirs – on avancera : davantage à Paris ou à Berlin qu’en Pologne même… En tout cas, ses éventuels 10%, qui manqueront à la Konfederacja, pèseront lourd face au PiS et peut-être, face aux 5 ou 8 % de l’extrême-droite.

Robert Biedroń est un symptôme : un symptôme de la lame de fond qui traverse incontestablement la société. A côté des réactions populaires au meurtre du Maire de Gdansk en janvier, et plus encore, du succès gigantesque remporté par 2 productions consacrées à la pédophilie dans le clergé polonais : une fiction en automne 2018, et un documentaire tout récemment, que des millions de citoyens ont pu voir. Deux films particulièrement précis et impressionnants. La discussion est ouverte sur la nature, la fonction et l’avenir de l’Eglise polonaise…

La société polonaise aujourd’hui, c’est quasiment 2 moitiés qui se font face. Laquelle mangera l’autre ?

 

 

 

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