Elections européennes : n’auraient-ils rien appris ?

Après les élections européennes, on se pose la question où sont passés les 10.000 Alsaciens qui avaient protesté en 1997 contre Jean-Marie Le Pen à Strasbourg…

Plus de 10.000 Alsaciens avaient manifesté contre la venue de son père. Ils sont où, aujourd'hui ? Foto: Kenji-Baptiste Oikawa / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – il y a 17 ans, presque jour pour jour, 17 ans à peine, mais 17 ans déjà, comme aurait pu chanter l’américano-français Mort Shumann (1) ,au deuxième tour des élections législatives de Mai/Juin 1997 : le résultat inattendu portait une majorité de gauche à l’Assemblée Nationale française : Lionel Jospin devenait -sous Jacques Chirac, Président de la République- Premier Ministre de cohabitation droite-gauche. Deux mois plus tôt, le Front National avait tenu son Xème congrès à Strasbourg où plus de 10.000 Alsaciens battaient le pavé pour protester contre la présence de Jean Marie Le Pen et des congressistes de son parti.

La réaction de J.M. Le Pen avait été violente et, symboliquement, il avait exhibé sur un plateau, la tête en carton de Catherine Trautmann, alors maire de la ville du congrès. En réaction, les Strasbourgeois envoyaient deux députés socialistes -dont la Maire- à l’Assemblée : une première dans une ville où, jusque là, seuls des représentants de droite avaient été élus. 5 ans plus tard, aux élections présidentielles d’Avril/Mai 2002, Lionel Jospin, candidat, était éliminé dès le premier tour et Jean-Marie Le Pen se retrouvait au deuxième tour face à Jacques Chirac, finalement élu avec 82,21% des voix. Entre les deux tours, les Français étaient descendus dans la rue et tous les partis (hormis le mouvement de J.M. Le Pen et «Lutte Ouvrière») avaient appelés à «voter utile» pour J. Chirac !

Un «tsunami électoral» français. – Il y a de cela 17 ans et le 25 Mai, aux élections pour le Parlement Européen de Strasbourg, le Front National de Marine Le Pen recueillait 25% des voix en France et devenait de ce fait le premier parti français devant l’UMP (à droite avec 20,8% des voix), le PS (13,98% des voix), les centristes de l’UDI/MODEM (au centre : 9,93%). Certes, l’abstention (57,57%) devrait amener à relativiser ces données brutes, mais il n’en demeure pas moins que le score du FN (dont on trouve un reflet dans la plupart des pays de l’Union Européenne marqués par une montée des eurosceptiques et des anti-européens) semblait devoir correspondre à une sorte de tsunami générateur de toutes les régénérations politiques. Qu’en est-il ?

Si le résultat a amené un peu plus de 10.000 manifestants -des jeunes pour la plupart- à défiler dans une dizaine de villes (2.000 à Strasbourg, 6 à 7.000 à Paris) -(il y avait 1,5 million de manifestants le 1er Mai 2002 !)- son impact sur une part essentielle de l’enjeu des élections européennes laisse rêveur ! (voir eurojournalist.eu du 30 Mai). Je suis allé voter le 25 Mai, notamment parce que on m’avait dit que l’élection des députés orienterait le choix du successeur de José Manuel Barroso, le Président de la Commission, le soi-disant exécutif de l’Union Européenne. Jusqu’ici, le «Conseil des Chefs d’Etat et de Gouvernement» choisissait le Président de la Commission. Cette fois, le Conseil -m’avait on affirmé !- proposerait au vote du Parlement, le représentant du groupe le plus important désigné par les suffrages des électeurs.

Assez d’Euro-Bashing maintenant ! – Cette procédure, prévue par les Traités, aurait ainsi donné plus de poids au Président moins tributaire du «Conseil» qui sous l’ère Barroso avait pris le pas sur une Commission dirigée par un président assez faible, pour ne pas dire falot ! Cela n’empêchait d’ailleurs pas qu’on pratique, dans les pays de l’Union, l’Euro-bashing : «C’est la faute à l’Europe, voire à l’Euro!» La chanson est connue : trop de politiques en ont entonné, trop souvent, le refrain contribuant ainsi au prurit d’opposition que nous avons eus à regretter. Le vote du Parlement confortait le Président de la Commission et renforçait les pouvoirs de l’Assemblée. C’est bien ce qui semble finalement avoir pesé sur les choix (ou plutôt non choix !) du Conseil.

En tête du groupe, le plus important -le «Parti Populaire Européen» (conservateur)- Jean Claude Juncker aurait du être proposé au Parlement par le Conseil qui n’en a rien fait ! Le britannique David Cameron, notamment, estimait que Juncker était trop fédéraliste, partisan des pouvoirs de la Commission contre les Etats, François Hollande n’a, apparemment, pas renoncé à pousser la candidature d’un Français proche de lui (Pierre Moscovici ?). Angela Merkel a essayé de naviguer selon son habitude : après avoir soutenu Juncker, conservateur-démocrate chrétien comme elle, elle avait vacillé en avançant que cette candidature ne s’imposait pas avant de revenir à Juncker après avoir subi la pression de ses… partenaires social-démocrates de la Grande Coalition qui entendaient qu’on respecte le principe du candidat représentant le groupe le plus fort ! Il n’y a guère que Juncker, qui bénéficierait -s’il est proposé- des voix socialistes, à croire qu’il a encore des chances ! Encore la faute à l’Europe ? Ou aux états qui essayent de préserver leurs intérêts nationaux tout en évitant de perdre le… contact avec les électeurs eurosceptiques ou partisans des partis d’extrême-droite.

Vers un accord électoral CDU/AfD dans l’Est du pays ? – N’a-t-on pas été peu surpris d’entendre, dans le cadre d’une rubrique qui s’appellerait «la poussée des extrêmes ne leur a rien appris», que les membres de la CDU de Thuringe, de Saxe et du Brandebourg envisagent de faire alliance avec le parti eurosceptique «AfD» (Alternative für Deutschland) lors des élections régionales qui doivent avoir lieu à l’ automne. Il faut savoir, à ce propos, que la chancelière a affirmé qu’elle ne traiterait pas avec l’AfD qui enverra 7 députés au Parlement Européen et dont le Président a déjà fait savoir qu’il quitterait le parlement de Strasbourg, s’il était élu député au Bundestag en 2017 ! Certes, dans cette approche un peu dilettante voire méprisante pour un parlement où on vient, à peine, d’être élu, il y a (il y aura sans doute) pire. Les élus d’extrême-droite -qui donnent si facilement des leçons aux autres- seront-ils davantage présents qu’ils ne l’ont été ? Les élus français en général, montrés du doigt pour leur absentéisme, changeront-ils ? Et puis, petit poucet au Parlement, Martin Sonnebom, élu unique d’un parti fantôme issu d’une revue satirique appelée «Titanic», mettra-t-il sa menace à exécution ? Il veut faire siéger au Parlement Européen, les… 60 membres de son parti, à tour de rôle (un par mois).

La poussée extrémiste a finalement plus pesé sur l’image du Parlement qu’un abstentionnisme (en léger repli d’ailleurs) qui reflète plus la désillusion des électeurs par rapport à des structures trop éloignées du citoyen que le désintérêt vis à vis de l’idée européenne. Tous les sondages ont souligné l’attachement des Français à l’Euro et leur refus de quitter l’Union. Alors ? Alors à force de clamer que c’est la faute à Bruxelles, à force de constituer des listes en dépit du bon sens en offrant des retraites et des sièges à des candidats ayant échoué ailleurs, à force de présenter des listes sans ancrage réel dans des circonscriptions, on a fait le lit de l’abstention et de l’entrisme contestataire. Les médias -autant que les partis- ont un énorme «mea culpa» à faire, en particulier dans l’ audio-visuel.

La part d’un «journalisme civique» ! – Coincés par des lecteurs, des télés-spectateurs ou des auditeurs trop souvent tentés par le vote extrémiste, ils biaisent, esquivent trop souvent : comme les partis qui veulent se laisser ouvertes les portes d’accès vers le plus large électorat possible. Ils tombent dans le piège qu’ouvrent les extrémistes de droite (comme de gauche d’ailleurs). Ils ont tous remarqué que les journalistes n’aiment pas être accusés de partialité : alors, ils les attaquent brutalement et les représentants des médias veulent montrer que, démocratie oblige, ils ne refusent la parole à personne. Le piège est parfait, parfois accentué -dans les médias français particulièrement- par une préparation insuffisante et une connaissance des dossiers qui laisse à désirer face à des interlocuteurs qui ont le temps et les moyens de se préparer.

Dans le journalisme, chacun admire le travail réalisé par le Washington Post dans l’affaire du Watergate : ce travail a forcé le président US, Richard Nixon (surnommé Tricky Dixie), à démissionner. Mais ce qu’on ne sait pas généralement, c’est que l’approche du Post a indisposé de nombreux lecteurs, qui -tout en admirant le travail accompli- ont estimé que les journalistes étaient allés trop loin. Cela a été à l’origine de la création, par les journalistes eux-mêmes, d’un mouvement baptisé «journaljisme civique». Hostile au «tous pourris», ses promoteurs, que j’ai rencontré plusieurs fois aux Etats-Unis, entendaient non seulement critiquer ce qui était critiquable dans leur pays, mais aussi valoriser les côtés positifs y compris de la politique. Une démarche d’équilibre qui ne doit rien à une quelconque complaisance, mais qui, face à l’extrémisme, ne peut qu’accompagner un «mea culpa», enfin assumé par des politiques soucieux de creuser leur réflexion, de cultiver leur proximité avec les citoyens et leurs problèmes, de se consacrer résolument à leur mandat avec responsabilité et sans cumul. Une leçon d’Europe, bonne à prendre ! Pour peu, qu’on n’oublie pas ce qui a amené les élections présidentielles de 2002.

(1) «Un été de porcelaine» par Mort Shumann (1978) : «Il y a quinze ans à peine, il y a quinze ans déjà, ma mémoire est incertaine, mais mon cœur n’oublie pas !»

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