Elections présidentielles : l’Europe absente et la question du «jour après»

Alain Howiller rappelle des faits historiques qui devraient guider certains choix dans les jours à venir…

Est-ce que l'Europe sera emportée cette fois par les élections en France ? Foto: Sailko / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – A « Sciences Po », mon professeur de Relations Internationales avait l’habitude de nous rappeler que la « souveraineté nationale » était une notion à manipuler avec beaucoup de prudence : « Même l’adhésion à l’ONU est une démarche qui altère la souveraineté nationale ! » C’était il y a bien longtemps, mais tellement proche encore de ce 9 Novembre 1956 où radio « Pecs », dans cette Hongrie écrasée par les chars soviétiques, lançait cet ultime message avant de se taire de à jamais : « Nous arrivons à la fin de nos réserves en munitions et en vivres. Notre sang, c’est tout ce qui nous reste à verser… ».

Quelques jours auparavant, Radio « Hongrie Libre » avait lancé un dernier message, sur fond de la 9ème symphonie de Beethoven (qui deviendra hymne européen) : « … Notre navire coule. La lumière faiblit. Les ténèbres s’épaississent d’heure en heure. Entendez notre cri. Faites quelque chose, tendez-nous une main fraternelle. Peuples du monde, sauvez-nous. SOS ! Au secours, au secours, au secours ! Dieu soit avec vous et avec nous ! » Divisés, en pleine guerre froide, les états européens, engoncés dans leur souveraineté nationale déjà si fragile, ne bougeront pas.

De la Hongrie assassinée à la débâcle de Suez ! – Il est vrai que, presque au même moment, deux des « grands états européens » -la France et la Grande Bretagne (qu’Israël rejoindra) !- seront obligés à replier leur drapeau et à renoncer à leur dernière grande aventure nationale : leurs troupes devront se retirer de Suez, Port-Saïd et Ismaïlia où elles avaient débarquées pour « libérer l’Egypte » de la domination d’un jeune colonel -Gamal Abdel Nasser- qui avait eu le culot de nationaliser le Canal de Suez et de léser les intérêts franco-britanniques.

Affront suprême pour la souveraineté nationale des Français et des Britanniques : leur armée avait du se retirer, sans gloire, sous la… menace des deux superpuissances, pourtant divisés par la guerre froide, l’Union Soviétique et les Etats-Unis d’Amérique du Nord ! Les Européens semblaient avoir compris la leçon : l’année suivante, ils signaient le « Traité de Rome » et lançaient le « Marché Commun ». La leçon fera de moi un Européen convaincu, même si aujourd’hui, l’amnésie aidant, les états européens et en particulier ceux qui, dans l’élection présidentielle française, briguent la magistrature suprême, ont une singulière faculté d’oubli !

Cette faculté les amène même, eux qui, pour la plupart, ont participé au pouvoir, à ne plus se souvenir que dans une Union Européenne qu’ils critiquent tant, la défense, la politique sociale et fiscale, la politique étrangère relèvent avant tout (et parfois exclusivement !) des états membres !

Au secours – l’échec de la constitution européenne revient. – Rien d’étonnant si on considère (mais qui l’a relevé pour la clarté des débats ?) que sur les 11 candidats à l’élection présidentielle, dix ont voté contre le projet de Constitution au référendum de 2005 alors que le 11ème candidat -Jean Lassalle- s’est abstenu ! Celui qui a été le Premier Ministre de Nicolas Sarkozy et acteur du « Traité de Lisbonne » n’avait-il pas souligné qu’il « était pour l’Europe des Etats » et qu’il n’avait « jamais cru à l’intégration de l’Europe ». Finalement, il ressort du débat des présidentielles que huit des onze candidats envisagent de sortir de l’Union Européenne et de la zone euro, et si la candidate de lutte ouvrière -Nathalie Arthaud- rêve d’une des « Etats-Unis socialistes d’Europe », seul Emmanuel Macron, le candidat d’En Marche, fait preuve dans ses meetings d’enthousiasme à l’égard d’une Europe qu’il fait, à chaque fois, applaudir !

Est-ce du à la présence dans ses meetings de nombreux jeunes, un récent sondage, conduit par l’Ifop, a révélé que 28% des jeunes de 18 à 25 ans avaient l’intention de voter pour E. Macron. Il est vrai que le même sondage a souligné que 29% d’entre eux voteront Marine Le Pen (11% voteraient Fillon, 15% Benoît Hamon et 14,5% Jean-Luc Mélenchon). C’est cette approche résolument européenne qui explique que Wolfgang Schäuble, regrettant de ne pouvoir voter en France, a apporté son soutien à Emmanuel Macron, Sigmar Gabriel et Martin Schulz apportant leur soutien à Benoît Hamon : il est vrai que les uns et les autres pourront témoigner de leurs sentiments pro-européens lors de la campagne pour les élections législatives allemandes du 24 Septembre !

Une « pudeur de gazelle » !… – La « pudeur de gazelle » (expression emprunté à J.L. Mélenchon qui l’a utilisée, il est vrai, dans un autre contexte !) dont font preuve les candidats à l’égard des thèmes européens, ne s’expliquent guère son songe que les Français marquent régulièrement leur attachement à l’Union Européenne et à l’Euro ! D’après le sondage évoqué plus haut, seul 33% des jeunes sont favorables à une sortie de l’Union Européenne et d’après un sondage réalisé après le « Brexit », 67% des Français (81% des Allemands, 59% des Italiens et… 89 % des Polonais !) considéraient que « c’est plutôt une bonne chose que d’appartenir à l’Union Européenne ».

La « tentation européenne » jouera lors des élections présidentielles dont certains voudraient faire -à tort ou à raison- une sorte de nouveau referendum sur l’Europe. Mais bien plus que cet enjeu-là, les élections présidentielles poseront la question de la survie du système présidentiel tel qu’il a été géré depuis la réforme constitutionnelle voulue par le Général de Gaulle.

Il est d’ailleurs assez piquant de voir que tous les candidats ont été amenés tout au long de la campagne électorale à évoquer l’ombre omniprésent du fondateur de la Vème République. S’ils estiment pour la plupart qu’il faut sortir de la « république monarchique » créée par la constitution de 1958, ils n’ont pas encore (à part Mélenchon qui rêve carrément d’une assemblée constituante pour y arriver !) la clé pour ouvrir la voie à une VIème République.

1958 : le mauvais souvenir ! – La situation de 2017 rappelle, à bien des égards, celle qui a régné en 1957/1958 au moment de l’arrivée au pouvoir de Charles de Gaulle !

Comme, alors, règnent une grande fébrilité dans l’opinion, un malaise dans la police, le relais des partis politiques par des « clubs », des groupes de pression et des « think tanks », une déconsidération des partis et des institutions.

Lorsque, il y a plus de un an, je me suis risqué à dresser un parallèle entre 1958/2017, j’ai rencontré beaucoup de scepticisme. Aujourd’hui, les choses sont claires : la question n’est plus de savoir si le diagnostic est juste, mais de réfléchir à la manière dont on se sortira de la situation.

Il n’est pas certain que l’élection présidentielle sera un moyen suffisant ! Comme pour les « films-catastrophes » : la question qui se pose est « que se passera-t-il… les jours d’après ? »

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