«En Mai, fais ce qu’il te plaît» : un juste retour aux sources

Notre expert Nicolas Colle présente le nouveau film de Christian Caron, un film plein de poésie et d'émotion cher à son réalisateur.

Un magnifique film de Christian Carion, sur fond d'une musique d'Ennio Morricone - à voir absolument ! Foto: Pathé Distribution

(Nicolas Colle) – Après le chef d’œuvre «Joyeux Noël» d’il y a dix ans, c’est avec une nouvelle déclaration d’amour au cinéma que nous revient Christian Carion avec ce lyrique et romanesque «En Mai, fais ce qu’il te plaît» qui nous plonge dans l’exode de Mai 40. Le cinéaste a accepté de répondre à nos questions et d’évoquer pour Eurojournalist(e), ce sujet qui lui est très personnel.

Contrairement à «Joyeux Noël» qui se déroulait également dans le Nord de la France mais que vous avez été contraint de tourner à l’étranger, cette fois-ci vous avez pu tourner sur les lieux de l’histoire. C’était quelque chose d’important pour vous ?

Christian Carion : En effet, je tenais à filmer le pays de mon enfance. Tous les chemins et toutes les routes que vous pouvez voir dans le film, je les connais par cœur. Et puis il faut savoir que beaucoup de figurants locaux avaient des grands parents ou des parents qui ont connu l’exode de Mai 40. Donc j’ai eu la chance et le bonheur d’avoir une figuration qui se sentait incroyablement concernée par ce film car cette histoire leur était très personnelle. En plus, il faut savoir qu’on a demandé à toutes ces personnes de «s’autogérer» sur le tournage parce qu’on n’avait pas les moyens de payer des dizaines de costumiers et de maquilleurs pour s’occuper de ces centaines de figurants. Donc on leur a donné des costumes de Mai 40 puis on les a laissé les porter comme ils l’entendaient. Et puis je tenais à faire ce film pour ma maman qui a également vécu ces événements quand elle était enfant. J’ai donc fais le film pour elle car elle est maintenant âgée de 90 ans et je tenais à ce qu’elle le voie. Je voulais lui faire ce cadeau. Elle a vu le film, elle l’a aimé et m’a confié que c’était conforme à ce qu’elle avait vécu.

Ce qui est agréable avec ce film, c’est que vous montrez peu la guerre, mais la suggérez suffisamment pour qu’on puisse croire à l’histoire et pour qu’on ressente quelque chose d’assez épique mais sans trop en voir. Comment avez vous procédé pour cela car j’imagine que vous n’aviez pas le même budget que peut avoir Spielberg ?

CC : Disons que je ne démarre pas la préparation du film avec un plan comptable en tête, même si je sais qu’à un moment donné un budget devra être fixé. Donc au début, je conçois le film avec un point de vue qui est le récit. Et ma mère m’a confié que quand elle a vécu l’exode, elle n’avait pas vu la guerre. À partir de là, je savais qu’on verrait peu les combats. Je voulais me concentrer sur ce peuple des routes qui fuit l’occupation. Mais bien sûr, il fallait tout de même montrer les combats car ma mère m’a bien expliqué qu’ils avaient été attaqué une seule fois par des avions, d’où la scène d’attaque aérienne. Mais d’une façon générale, ces gens n’ont pas vu directement la guerre et les combats, donc il ne fallait pas que le film soit noyé dans l’action. D’ailleurs c’est pour cette raison que Ennio Morricone a accepté de composer la musique du film. Il m’a dit qu’il ne souhaitait plus travailler sur des films de guerre car il en avait déjà fait beaucoup mais en voyant le film fini, il m’a dit clairement que ce n’était pas un film de guerre car on ne la voit pas. Tout au plus, on la sent, on l’entend et on la voit à un moment mais on n’est pas dedans.

Justement, Ennio Morricone, comment dirige-t-on un grand compositeur avec une filmographie si impressionnante ?

CC : Selon moi, un grand compositeur, c’est comme un grand acteur. Et les grands acteurs, on ne les dirige pas, on les dose. Donc Morricone, c’est pareil. On ne le dirige pas, on le dose. Au départ, c’est lui qui propose toute la couleur musicale du film. Il m’a expliqué qu’il ne voulait pas de musique sur les quelques scènes de guerre et de combat. Ce qui l’intéressait avant tout, c’était le peuple des routes. Et puis le titre du film évoquait pour lui, le printemps et l’espoir. Il a donc composé une musique pour ce peuple qui avance et qui cherche sa liberté.

Vous mélangez l’historique et l’intime. Comment vous est venu l’idée de ces personnages, notamment cet Allemand qui fuit l’Allemagne avec son enfant. Et cette institutrice qui prend en charge le petit au moment où il est séparé de son père ? Personnellement, c’est cet aspect qui m’a le plus touché dans ce film.

CC : L’idée de l’Allemand et de son enfant qui fuient l’Allemagne pour se réfugier en France est arrivée très tôt dans l’écriture du scénario. Je voulais rappeler que les premières victimes du nazisme étaient les Allemands eux-mêmes. Car tous ceux qui ne «collaient pas sur la photo» et qui ne correspondaient pas à l’idée de la pureté que se faisait Hitler, étaient exterminés. Donc près de huit cent mille Allemands ont fuit l’Allemagne dont des cinéastes comme Fritz Lang d’ailleurs, et près de trois cent mille d’entre eux ont immigré en France. Après bien sûr, le fait que l’enfant soit séparé de son père au moment de l’exode et comment ils vont se retrouver est un élément de fiction pur qui permet d’apporter de l’émotion et du romanesque au récit même s’il faut savoir qu’il arrivait que des personnes ayant été séparées au moment des combats, se soient finalement retrouvées notamment par le biais des messages écrits sur les tableaux des salles de classe des écoles abandonnées. C’est de cette façon que ma maman a pu retrouver une de ses tantes qui lui avait écrit le nom du lieu vers lequel elle se dirigeait.

Quant au personnage de la jeune institutrice, j’ai pensé que cette profession était particulièrement centrale dans les villages de l’époque. Mais à travers elle, je voulais surtout raconter comment cette jeune fille en vient à prendre une ampleur au moment de l’évacuation et à devenir une femme. Elle se rapproche de l’enfant car elle se sent un peu responsable du fait qu’il ait été séparé de son père. Donc elle cherche à se racheter de son pêché originel en essayant de le protéger. Et c’est là qu’elle s’attache à lui et qu’elle développe un instinct maternel. Ce qui correspond aussi à son développement en tant que femme dont je parlais à l’instant.

Ce qui est surprenant, c’est qu’avec un film sur la guerre on peut très vite tomber dans les clichés et les codes du genre, mais ici vous jouez avec les codes tout en les contournant légèrement pour mieux faire jaillir l’émotion ?

CC : Vous avez raison, j’assume totalement cette notion de code. Quand j’ai commencé la préparation du film, j’ai dis aux financiers que j’allais aborder le film comme un western, avec des chevaux et des grands espaces. Par exemple, la scène où les deux Allemands pénètrent dans la ferme abandonnée, c’est une référence directe à «Il était une fois dans l’Ouest». Pour moi, jouer avec les codes c’est tout simplement aimer le cinéma. J’aime rendre aux gens qui m’ont nourri des moments d’émotion et de cinéma mais en faisant quelque chose de cérébral, sans jamais tomber dans la caricature ou le pastiche. Avec mon directeur de la photographie, pour préparer le tournage, on a également revu tous les films de Terence Malick, parce que cet homme a une façon extrêmement rare de filmer la nature. Et ses films possèdent un lyrisme très maîtrisé.

En somme, un sujet fort, traité avec beaucoup de sensibilité et juste ce qu’il faut de spectacle malgré quelques situations convenues et un dénouement un peu attendu. Le tout bercé par une musique du toujours envoûtant Morricone.

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