En Russie : virus et antagonismes sociaux
Les Bouriates se rebiffent
(Marc Chaudeur) – Dans des pays où les inégalités sont encore bien plus brutalement apparentes qu’en France, le COVID-19 met de plus en plus à nu les antagonismes sociaux. Avec seulement quelques mois d’avance sur la France ? En Russie, en tout cas, ces antagonismes sont particulièrement coriaces et n’ont fait que s’aggraver depuis les années 2000. Mais qu’en sera-t-il en Occident dans quelque temps, si les dégâts que produit le virus devaient se prolonger?
En Russie, actuellement, le COVID-19 aggrave les tensions sociales : entre l’élite qui gouverne et les gens du peuple, entre les riches et les pauvres, entre les capitales et les régions ou républiques dont le plus souvent, elles siphonnent les énergies pour bien peu de profit à l’ensemble de la population.
Le très pertinent Moscow Times, rédigé en langue anglaise, fait l’état des lieux pour ce qui concerne principalement une République très éloignée de Moscou, la Bouriatie. Cette région se situe loin, très loin en Asie, en bordure de la Mongolie et au Sud du Lac Baïkal. Elle est très étendue et compte environ 1 million d’habitants, avec une densité de 3 habitants au km². Elle a pour capitale Oulan Oudé.
Les chiffres que donnent les autorités russes ne sont pas transparents, ni très fiables. Mais dans l’Est et le Nord, on semble compter peu de personnes infectées et contaminées. Les personnes qui y ont introduit le virus sont donc assez aisément repérables – attention cependant aux rumeurs…
C’est ainsi qu’en Bouriatie, on montre du doigt l’un des rares personnages qui ait réellement eu les moyens et le loisir de quitter la région et de séjourner à Moscou, et peut-être, à l’étranger. Il s’agit de Vladimir Bredny : propriétaire d’une chaîne alimentaire et membre du Conseil municipal d’Oulan Oudé, la capitale, Bredny est revenu de Moscou le 12 mars. Il est testé positif le 26 mars à l’hôpital militaire. Les autorités médicales renvoient alors tous les autres patients chez eux, n’étant pas prêtes ni équipées pour faire face à l’épidémie. Bredny, de plus, a contaminé sa femme et sa fille.
Alors éclatent de violentes protestations, dans les rues et dans les médias locaux (journaux et blogs, surtout). Une association de défense des consommateurs rapporte qu’après son retour de Moscou et pendant une semaine, Bredny a été en contact avec exactement 232 personnes, rencontrées lors de réunions publiques… Sur les blogs, on peut lire des choses du genre : ” C’est intolérable ! Et bien sûr, cela n’aura aucune conséquence pour Bredny : c’est une grosse légume !” Ou bien encore : ” Maintenant, les gens ordinaires souffrent à cause de Bredny ! ” Et beaucoup appellent au boycott des magasins alimentaires appartenant au grand petit magnat.
Les observateurs ont ainsi la forte impression que les divisions de classe se montrent à fleur de société, dans les réactions des gens modestes et des autres. Le critère qui devient essentiel, c’est l’opposition entre ceux qui ne peuvent pas aller à l’étranger (ou à Moscou) et ceux qui le peuvent. Les autres.
Les autres, ce sont le dirigeant de la République bouriate, Alexej Tsidenov, les autres conseillers municipaux de la capitale, des collègues d’affaires de Bredny, et last but not least, le métropolite, c’est-à-dire le chef de l’Église orthodoxe dans ces confins asiatiques. Son porte-parole a ainsi déclaré : ” Nous pensons vraiment qu’il a agi de manière responsable. Il n’a pas essayé de dissimuler sa maladie, bien qu’il disposait d’assez d’argent pour faire déclarer aux médecins qu’il ne s’agissait que d’une affection respiratoire bénigne “.
Ce qui témoigne, on l’avouera, d’une conception particulière de la morale. Cela ne choque pas grand monde pour l’instant ; on est habitué à bien d’autres turpitudes. Mais peut-être le COVID-19 aura-t-il ceci d’excellent, ici comme ailleurs, que les esprits vont appréhender le pouvoir et la domination sous un éclairage et avec un œil tout différents.
A voir : https://themoscowtimes.com/
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