ENA supprimée : des questions, mais on attend les réponses !
Alain Howiller sur la fermeture de l’ENA à Strasbourg. Mais est-ce vraiment une fermeture ou seulement un changement d’étiquette ?
(Alain Howiller) – A vrai dire, on avait un peu oublié le sujet et pour tout dire, ils étaient vraiment rares ceux qui pensaient que, 12 mois avant les élections présidentielles et en campagne contre le Coronavirus, Emmanuel Macron ferait rebondir un thème lancé dans la foulée du « Grand Débat National » né de la crise des gilets jaunes : la suppression de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) installée à Strasbourg.
Il en avait déjà lancé l’idée dans un discours prononcé à Saint-Brieuc en Bretagne, en avril 2019 devant 900 maires bretons avant de souligner, le même mois lors d’une conférence de presse : « Je pense que pour faire la réforme (de la haute fonction publique), il faut supprimer, entre autres, l’ENA ! ».
Le poids de l’ENA au gouvernement. – Cette idée qui s’inscrivait dans le souci, fondement essentiel de sa campagne présidentielle, de réformer une administration trop éloignée des citoyens, semblait être une obsession chez cet ancien étudiant de l’ENA, pourtant entouré, aujourd’hui, de 6 Ministres (dont Jean Castex, le chef du gouvernement) formés à l’école, sans oublier le strasbourgeois Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée. Sans oublier non plus Edouard Philippe, le prédécesseur de Jean Castex qui était, lui aussi, un ancien de l’ENA, à qui avait été remis un premier rapport de réforme de l’ENA dont les propositions avaient été à l’origine de divergences entre lui et le Président de la République.
C’était en février 2020, à un moment où l’irruption de la crise sanitaire semblait devoir (pouvoir ?) enterrer le projet de suppression ! D’autant que le directeur actuel de l’Ecole menait, tambour battant, un certain nombre de réformes et que le Président de la République annonçait, lui-même, en février (!), la création d’un cinquième concours d’entrée à l’ENA ouvert aux jeunes de milieux modestes !
Strasbourg : quel avenir pour l’Ecole ? – Une poignée de semaines plus tard, le 8 Avril, Emmanuel Macron, en visio-conférence avec 600 hauts fonctionnaires, annonce le remplacement de « l’Ecole Nationale d’Administration » par un « Institut du Service Public-ISP ». Le président souligne : « Il ne s’agit ici, en aucun cas, de céder aux facilités du temps présent, de jeter l’opprobre sur cette école… Je n’oublie pas non plus par où je suis passé et ce que je dois à cette formation… »
Mais voilà, le président veut introduire une révolution profonde de la haute fonction publique où la formation soit la pierre angulaire d’une administration proche des citoyens, qui comble le fossé qui s’est installé apparemment entre ces derniers et les fonctionnaires, qui reflète la diversité de la nation au lieu de recruter ses éléments dans la « caste » des privilégiés.
Il s’agit aussi de couler l’administration dans un moule de valeurs communes et reconnues qui permette la cohérence entre services dans la gestion de la vie publique. La relance de la réforme doit certainement beaucoup à la gestion souvent aléatoire (c’est un euphémisme !) de la crise sanitaire. L’ISP offrira donc un enseignement qui sera le socle commun de la formation des hauts fonctionnaires (des « administrateurs civils » préfets, sous-préfets, responsables des grands corps de l’Etat, chefs de service etc…) chargés de la gestion administrative du pays.
L’ISP, socle et tronc commun pour 13 écoles ! – La nouvelle école offrira aussi un tronc commun de formation à ceux qui se destinent à poursuivre leurs études dans l’une des 13 écoles « techniques » du pays (y compris l’Ecole de la Magistrature, l’Ecole des Mines, des Eaux et Forêts, des cadres de la santé, les administrateurs de l’INSEE etc…) Ce « tronc commun » se retrouvera aussi en matière de formation continue pour les diverses administrations.
La complexité des tâches, leur concrétisation à travers l’école de Strasbourg (voire des « filiales » dont la mise en place avait été envisagé dans un premier projet (voir eurojournalist.eu des 18 et 21 Février 2020 !) devront être précisées rapidement, car la création de l’ISP ne pourra être officialisée que d’ici au 7 Juin, date limite qui permet au gouvernement d’agir par ordonnance dans le cadre de la « loi de transformation de la fonction publique », adoptée à l’été 2019.
C’est Amélie de Monchalin, Ministre de la Transformation de la Fonction Publique, formée notamment à l’Université de Harvard et à HEC, qui sera chargée de mettre en musique le « livret » défini par le Président de la République. Les nouvelles mesures s’appliqueront après 2022 et les élections présidentielles.
Les « pour » et les « contre » de la réforme ! – Pour l’opposition, la création de l’ISP s’inscrit, en fait, dans la campagne électorale précédant ces élections. C’est une opération de diversion, destinée à faire oublier les véritables problèmes du pays pour le parti des « Républicains », comme pour les élus de la « France Insoumise », Jean Luc Mélenchon en tête, qui n’oublie jamais les leçons tirés de son passage (1997/2002) ministériel dans le gouvernement de Lionel Jospin !
C’est la preuve que, malgré la pandémie, le gouvernement continue de moderniser et de réformer, rétorquent les partisans d’Emmanuel Macron. Et d’avancer la mise en place le 1er Juillet, de la réforme du chômage, la loi contre le « séparatisme », la prochaine loi sur la décentralisation dite « loi 4 D » (pour Décentralisation, Déconcentration, Différenciation, Décomplexification).
Au moment où la crise sanitaire pèse sur la santé, le moral et sur l’économie, la suppression-réforme de l’ENA ouvre des perspectives, mais la question que posait Daniel Keller, Président de l’Association des Anciens Elèves de l’ENA, lors de la première version de la réforme, reste d’actualité : « La question n’est pas de savoir quelle ENA on veut, mais bien, quel Etat on veut servir ! » La question reste ouverte !
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