Encore quelques jours pour découvrir « La constellation Gustave Doré »

Thérèse Willer parle d'une exposition exceptionnelle à Strasbourg, la ville natale du grand illustrateur Gustave Doré. Une exposition qui vaut le déplacement !

Gustave Doré, Le Corbeau et la Mort, 1879. Dessin au crayon, à l’encre et au lavis pour Edgar Allan Poe, The Raven, 1883, Paris, 52,2 x 35,5 cm. Paris, Musée d’Orsay. Foto: © Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Sophie Crépy

(Thérèse Willer) – Dix ans après les expositions « Gustave Doré (1832-1883). L’imaginaire au pouvoir » au Musée d’Orsay, et « Doré & Friends » au MAMCS, « le plus illustre des illustrateurs » est une nouvelle fois mis à l’honneur à Strasbourg, sa ville natale. Franck Knoery, conservateur de la Bibliothèque des Musées et par ailleurs connaisseur de l’œuvre de Gustave Doré – il a été notamment co-auteur de Gustave Doré et le livre illustré (Actes des journées d’étude des 17-18 mars 2022) – a assuré le commissariat de « La constellation Gustave Doré », présentée à la Galerie Heitz dans le cadre de « Strasbourg Capitale mondiale du livre 2024 ».

Si des prêts se sont avérés nécessaires notamment auprès de la BnF et du Musée d’Orsay, les collections d’art graphique des musées et les bibliothèques de Strasbourg ont largement contribué à cette exposition qui se concentre non seulement sur les diverses thématiques que Gustave Doré a illustrées, mais également sur les différents moyens qu’il a utilisés dans ce but, dessins, gravures et bois gravés, lithographies, éditions illustrées, aquarelles et peintures.

Non seulement les éditions de La Sainte Bible, La divine comédie de Dante, Gargantua de Rabelais, Les Contes de Perrault, mais également celles de La Fontaine, Poe, Cervantès, Shakespeare, Hugo, Balzac, Milton, L’Arioste, Tennyson, ainsi que des personnages comme Le Juif errant, le Baron de Münchhausen ou le Capitaine Fracasse, ont contribué à faire connaître le nom de Gustave Doré depuis le Second Empire jusqu’à nos jours. Son œuvre est prolifique, chacun d’entre nous en connaît une partie : il « suffisait » de les réunir pour que le visiteur prenne la mesure du génie de l’illustrateur. Le pari est gagné. En effet, l’exposition permet d’appréhender non seulement l’univers iconographique du dessinateur qui puise à un imaginaire où l’Alsace joue le rôle de matrice, mais aussi les techniques qu’il a développées pour une reproduction industrielle comme celle du bois de bout, ou encore celles qu’il a privilégiées pour certains ensembles comme la gravure de teinte.

Le jeune Gustave Doré, alors très influencé par les œuvres de J.-J. Grandville et les « histoires en estampes » de Rodolphe Töpffer, a travaillé très tôt aux côtés de Daumier ou Cham pour le Journal pour Rire et le Musée français-anglais. Après avoir publié Les Travaux d’Hercule – une parodie en images de la vie du héros-, il a réalisé à partir de 1850 ses premiers livres illustrés, Histoire pittoresque, dramatique et caricaturale de la Sainte Russie, les Contes drolatiques de Balzac et les Œuvres de Rabelais. On connaît la suite : Doré allait s’attaquer à l’illustration des plus grands chefs-d’œuvre de la littérature, du passé comme de son époque. L’exposition, qui montre ces différentes productions dans un parcours thématique – le merveilleux, le fantastique, l’épique, le divin -, présente également un aspect moins connu de l’œuvre : la critique sociale et politique. N’oublions pas que les débuts de Doré se sont passés dans le registre de la caricature et de la presse, et que l’éditeur parisien Charles Philipon, à qui l’on doit les fameuses « croquades » de Louis Philippe en poire, l’avait engagé à l’âge de quinze ans. Tout au long de son parcours, Doré ne cessera de dépeindre la société de son temps pour en relever les inégalités et les injustices. En témoignent les reportages et journaux en images rapportés d’Espagne, où il s’est rendu pour se documenter en vue de son Don Quichotte, et où il est retourné avecle baron Jean Charles Davillier pour une commande du journal de la Librairie Hachette Le Tour du monde, ensuite regroupés sous le titre L’Espagne en 1861.

Il renouvelle l’exercice en Angleterre et dans London. A Pilgrimage (Londres : un pèlerinage) de Blanchard Jerrold paru en 1872, dépeint sans fards la société victorienne. A la satire sociale s’ajoute celle de la politique, comme le montrent ses descriptions de la guerre de 1870/1871 - il en est un témoin direct car il s’est engagé comme volontaire dans la garde nationale - et ses dessins satiriques de Prussiens. On sait que Doré fut particulièrement affecté par le rattachement de son Alsace natale à l’Empire allemand, et certaines de ses œuvres en allaient d’ailleurs devenir un symbole.

L’univers de Doré ne saurait se comprendre sans le contexte dans lequel il a été créé, et à cet égard, la mise en relation avec Jean-Baptiste Oudry, J.-J. Grandville, Rodolphe Töpffer, Tony Johannot – que Théophile Gautier tenait pour « le roi de l’illustration » -, Nadar, ou encore avec les Anglais John Flaxman et John Martin, est particulièrement cohérente. Il en est de même pour la présentation, avec les différentes étapes du processus de fabrication et de commercialisation des livres, du paysage éditorial complexe dans lequel l’artiste a évolué et qu’il a contribué à transformer.

Après s’être arrêté devant la dernière et inquiétante œuvre de Doré, « Le Corbeau et la Mort », qui illustre The Raven, un poème d’Edgar Allan Poe, le visiteur reprend son souffle. Car les images du « plus illustre des illustrateurs » ont littéralement le pouvoir d’emporter leur regardeur. Gustave Doré, qui a longtemps été considéré, notamment par Henri Focillon, comme un représentant du romantisme tardif, se révèle un artiste inclassable. C’est en définitive le lot de tous les génies.

Exposition « La constellation Gustave Doré », Galerie Heitz, Musées de la Ville de Strasbourg, jusqu’au 15 juillet. Catalogue d’exposition La constellation Gustave Doré (dir. Franck Knoery), Musées de Strasbourg, 2024

En complément de la visite :

- Des catalogues comme : Nadine Lehni, Marie-Jeanne Geyer (dir.), Gustave Doré, 1832-1883, cat. expo., musée d’Art moderne et Cabinet des estampes, 1983 ou Marie-Jeanne Geyer, Emmanuel Guigon (dir.), Gustave Doré : œuvres de la collection du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, cat. expo., Salamanque, Caja Duero, 2004

- Et au MAMCS, l’exposition permanente d’œuvres de Gustave Doré

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