Entendrez-vous Umberto Eco ?

Partant de son vécu au temps du fascisme en Italie, Umberto Eco en a listé dès 1995, les signes précurseurs. Nos contemporains sauront-ils et/ou voudront-ils l’entendre ?

Intellectuel de premier plan, Umberto Eco était aussi un excellent pédagogue et un homme d’une grande simplicité. Foto: Aubrey / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 1.0

(Jean-Marc Claus) – Appelé très respectueusement, « le plus lettré des rêveurs » par Philippe-Jean Catinchi dans le Monde à l’occasion de son décès, Umberto Eco (1932-2015) ne rêvait pas quand il nous parlait du retour du fascisme en Europe. Son opuscule intitulé « Reconnaître le fascisme », paru en 2010 aux éditions Grasset & Fasquelle et republié en 2017, ne laisse aucun doute sur sa totale lucidité à ce propos.

Partant de « Ur-Fascism », un essai publié en 1995 dans la New York Review of Books et adapté d’un discours tenu à la Columbia University, Umberto Eco s’appuyait sur son vécu personnel au temps du fascisme en Italie, pour développer une grille d’analyse des signes précurseurs du basculement des régimes politiques, vers cette idéologie inhumaine. Il en est sorti un opuscule d’une cinquantaine de pages, tellement clair que son actualité glace le sang du lecteur contemporain.

Quid de cet « Ur-facisme », notion de base de l’argumentaire de l’auteur ? Umberto Eco place sous cette appellation, quelque peu déroutante, le fascisme qu’il qualifie de primitif et éternel. Ainsi, cette orientation, sociale et politique, est-elle en quelque sorte enracinée au cœur des sociétés humaines, comme un virus pouvant demeurer des années en sommeil et soudain se réveiller, provoquant perte et fracas, non seulement à l’organisme qui l’héberge, mais pouvant aussi contaminer tous les autres ?

Le problème majeur réside dans le fait que le réveil de l’Ur-fascisme, n’a jamais rien de soudain. Il se fait de manière progressive, innocente, sournoise et séduit par son caractère faussement rassurant. D’où l’importance d’en connaître les signes précurseurs. Signes qu’Umberto Eco a très clairement listés et expliqués, dans ce petit opuscule qui devrait être lu par tout un chacun. Leur présence dans la société, pouvant s’exprimer de différentes manières et à des degrés variables, seule compte la construction d’ensemble à laquelle ils participent.

Culte maladif de la tradition, refus obstiné du modernisme, irrationalisme et action pour l’action, désaccord vécu comme une trahison, rejet systématique de la différence, instrumentalisation de la frustration des classes moyennes, obsession du complot de préférence international, rhétorique de l’ennemi à la fois trop fort mais aussi trop faible, dénigrement du pacifisme, car collusion avec l’ennemi, la vie n’étant alors qu’une guerre permanente, élitisme populaire, culte de l’héroïsme personnel et de la mort, machisme invétéré, prévalence du groupe sur l’individu, développement d’une novlangue – tels sont, selon Umberto Eco, les signes précurseurs du fascisme.

Prétendre notre société occidentale du premier quart du XXIe siècle exempte de tous ces symptômes, relève soit de l’absolue indigence morale, soit de la pire malhonnêteté intellectuelle. Depuis plusieurs années, l’attirance d’une partie de nos concitoyens pour des mouvements développant des thèses d’extrême-droite, ne fait que croître. Hormis quelques rares illuminés, très peu de gens se réveillent fascistes un beau matin, alors que la veille, ils s’étaient couchés démocrates ! Ce basculement se fait tout en souplesse, et parfois même partiellement à l’insu des individus. D’où l’importance de connaître et d’identifier les signes de l’Ur-fascisme…

Reconnaître le fascisme
par Umberto Eco – Éditions Bernard Grasset
Dépôt Légal 04/2017 – ISBN 978-2-246-81389-7
51 pages – 3€

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